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L’inscription aux camps de jours est un enfer pour les parents québécois

L’inscription aux camps de jours est un enfer pour les parents québécois

Ou « le quart d’heure le plus stressant de l’année » des mamans.

Par
Marie-Ève Martel
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Ça y est, le moment est enfin arrivé. Elles sont toutes devant leur ordinateur, carte de crédit en main, et elles attendent que la plateforme débloque. Aussitôt le signal donné, c’est la cohue! Les plus chanceuses réussiront à sécuriser une place, les autres repartiront bredouilles. En quelques minutes à peine, toutes les places se sont envolées. De quelle rockstar est-il question? Absolument aucune : bienvenue à la période d’inscription aux camps de jour.

« J’appelle ça les hunger games avec mes amies! », blague Marie-Pier C. Comme de nombreuses autres mamans, elle n’a pas tardé à répondre à mon appel lancé sur Facebook pour parler de cette « période de 18 minutes » archi-stressante.

« Casse-tête chiant », « angoissant et horrible », « nerve wracking » et on en passe : les mamans – parce que oui, ce ne sont que des mamans qui ont répondu à mon appel à témoignages, signe qu’elles sont plus souvent responsables d’inscrire leur kid au camp de jour – grincent des dents à l’approche de cette période où on se dispute une place comme un rouleau de papier de toilette en temps de pandémie.

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« Ouverture du site d’inscription à 19 heures. Je rafraîchis la page furieusement entre 18h56 et 19h. Et puis, dès l’ouverture, il y a 1189 personnes devant moi! Chaque année, c’est l’enfer! », relate Sophie P., qui s’est résolue à réduire le nombre de semaines que son fils fréquentera le camp de jour.

« J’ai ciblé seulement la semaine où je travaille, ensuite il sera en vacances avec moi, indique-t-elle. Il a pleuré, il était impatient d’y retourner… »

Jessica D. a vécu le même genre d’expérience. « On ne dispose que de quelques minutes au moment des inscriptions en ligne, témoigne-t-elle. Dans mon cas, depuis que mes enfants vont au camp de jour, il n’y a pas eu une année où le service informatique n’a pas eu un bug. Et il n’y a jamais de place garantie! »

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Il n’y a pas non plus de garantie que le camp de jour disposera d’un nombre suffisant de moniteurs pour encadrer son enfant avec des besoins particuliers, poursuit-elle.

À deux enfants et plus, le casse-tête se complique. « Je ne veux pas envoyer mes enfants à deux camps différents », plaide Valérie L. Déjà, la Montréalaise a eu du mal à trouver une place pour sa plus jeune qui entrera en maternelle l’an prochain.

Les pas fins qui prennent la place des autres

D’autres mamans en avaient gros sur le cœur. Selon elles, certains parents réservent tout un été au camp de jour pour leurs enfants, quitte à annuler à la dernière minute les semaines où leur famille partira en vacances, accaparant du même coup une place qui aurait pu être prise par un autre enfant.

Active sur des groupes de mamans, Valérie L. témoigne : « Il y en a qui s’informent très tôt sur les modalités d’annulation. Moi, je trouve que ce n’est pas correct de réserver tout un été pour ensuite annuler. »

« Il y a des parents qui inscrivent leurs enfants à deux ou trois camps pour les mêmes semaines pour choisir à la dernière minute et libérer des places pour ceux qui sont sur la liste d’attente », renchérit Andréanne M.

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Parfois, les parents se résignent à coordonner leurs vacances avec les disponibilités restantes du camp de jour, plutôt que l’inverse. C’est le cas de Sarah T., dont les vacances « serviront à couvrir les semaines entre l’école et le camp en juin et entre le camp et l’école en août. »

« C’est le camp de jour qui décide pour moi », déplore-t-elle.

Si t’as pas de chance, t’en paies le prix

Quand elles perdent à la loterie du camp de jour municipal, les mamans n’ont alors d’autre choix que de se tourner vers les camps privés, qui sont aussi beaucoup plus cher.

« Ça coûte un bras et il faut que tu puisses payer une grosse partie [de la facture] dès l’inscription », explique Andréanne M.

À cela s’ajoute la complexité des familles recomposées. « Ça peut être royalement pire, note Andréanne M. L’ex de mon chum avait le privilège de choisir ses semaines avec les enfants et nous annonçait son choix à la fin-mai. On était pris pour les inscrire dans des camps hors de prix, essayer de modifier nos vacances, prendre des sans solde… L’enfer! »

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Pourquoi est-ce comme ça?

Plusieurs facteurs peuvent expliquer le bordel de l’inscription aux camps de jour. À l’été 2024, ce sont environ 274 000 enfants d’âge scolaire et préscolaire qui ont fréquenté un camp de jour municipal, qu’il soit administré par la ville, un OBNL ou un organisme privé, indique Anne-Frédérique Morin, directrice générale adjointe de l’Association des camps du Québec. En incluant les camps privés spécialisés, c’est près d’un demi-million d’enfants qui passent au moins une semaine dans un camp à travers la province.

L’augmentation des naissances a ainsi contribué à faire pression sur la demande. « Il y a effectivement plus d’enfants en âge de s’inscrire, et on ajoute à ça le fait que maintenant, il y a plus de familles dont les deux parents travaillent, explique Mme Morin. Dans les décennies précédentes, plus d’enfants restaient à la maison avec un parent. »

Une pénurie de moniteurs peut aussi expliquer le nombre limité de places. « Aujourd’hui, les jeunes ont la possibilité de travailler ailleurs, et c’est plus payant », poursuit Mme Morin.

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La directrice générale adjointe rappelle également que les places réservées puis abandonnées par des parents ne trouvent pas toujours preneur. La surréservation aurait donc pour effet de priver des enfants d’un séjour.

« C’est un gros problème, parce que les parents qui n’ont pas obtenu de place ont peut-être revu leurs plans, ce qui fait que les places soudainement libres ne sont pas automatiquement réattribuées », explique Mme Morin.

Le tout entraîne du stress et une « gymnastique » supplémentaire pour les gestionnaires de camps. « C’est souvent ardu de combler les places, ça prend beaucoup d’appels téléphoniques », déplore Mme Morin.

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Selon elle, la mise en place de frais d’annulation pourrait aider à réduire l’ampleur du problème.

Un stress partagé

Les responsables en loisirs de plusieurs municipalités sont bien au fait de la situation.

Conseillère municipale du district de Louis-XIV et porteuse de dossier en développement social et communautaire à la Ville de Québec, Marie-Pierre Boucher est d’avis que certains parents inquiets de ne pas sécuriser une place contribuent involontairement à créer le goulot d’étranglement. « Certains le disent : ils mettent leur co-parent sur un ordinateur, eux-mêmes sont sur leur ordinateur et leur cellulaire en même temps, tout ça pour avoir une place », témoigne-t-elle.

L’année dernière, avant de revoir la période d’inscription aux camps, les arrondissements de la Capitale Nationale étalaient leurs périodes d’inscriptions sur plusieurs jours : ce faisant, certains parents inscrivaient leur enfant dans un autre quartier que le leur pour s’assurer d’une place, et ce, jusqu’à ce qu’ils obtiennent une place dans le camp de jour souhaité. « On se retrouvait avec un effet de cascade qui bloquait des places temporairement », commente Mme Boucher.

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La gestion des inscriptions entraînait aussi un « stress considérable » du côté des employés du service des loisirs de la municipalité, qui devaient « gérer un afflux massif d’inscriptions en un temps record », en plus d’être « témoins de la détresse des parents, ce qui nous touchait beaucoup », ajoute Mélody Poulin, cheffe au développement social chez Vie culturelle et communautaire de Granby.

À la recherche de solutions

Pour renverser la tendance, l’équipe de coordination a revu le processus d’inscription cette année. La programmation sera ajustée en fonction de la demande plutôt que l’inverse. « La nouvelle méthode d’inscription […] a pour objectif d’éliminer la course aux places et d’offrir à toutes les familles une chance égale d’en obtenir une. Concrètement, les parents […] peuvent désormais inscrire leur enfant au moment qui leur convient le mieux, pendant une période définie », précise Mme Poulin.

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Une période d’adaptation sera nécessaire, précise la cheffe, mais elle est sûre que cette nouvelle méthode, où les places seront offertes par tirage au sort entre les familles inscrites, portera ses fruits.

D’autres initiatives, comme la mise en place d’une salle d’attente virtuelle, ont aussi été implantées pour simplifier la chose. « On fait de petits pas avec nos partenaires pour répondre à ces enjeux, poursuit Marie-Pierre Boucher. On veut éviter que l’inscription à un beau moment pour leur enfant soit un stress pour les parents. »