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L’infidélité financière : quand cacher des dettes devient une trahison conjugale
L’argent fait partie de ces sujets qui sont et qui resteront fort probablement tabous pour beaucoup de gens. On a trop souvent tendance à taire les discussions entourant nos dollars et les problèmes qui peuvent en découler. Et en couple, c’est souvent délicat. C’est même pire pour les Québécois, si on se compare au reste du Canada.
Et disons-le, « oublier » de parler de ses problèmes d’argent à son conjoint ou sa conjointe peut peser lourd sur une relation.
Des personnes aux prises avec des dettes ont toutefois accepté de s’ouvrir à Quatre95 sur les raisons qui les ont poussées à garder le silence, parfois au péril de leur couple.
Du Subway et des chandails de toutes les tailles à crédit
Quand Guillaume* a rencontré Aurélie*, il avait un bon emploi, mais beaucoup de dettes. « J’ai encore des problèmes de consommation. C’est en moi. Je ne bois pas et je ne me drogue pas, parce que j’ai peur de pas être capable de me contrôler », qu’il me raconte. En l’espace de deux ans, grâce en partie à une bonne marge de crédit, il avait accumulé pour près de 50 000$ de dettes, en voyages, restaurants et vêtements. Il ne payait pratiquement rien en argent comptant.
« J’achetais en ligne des chandails en deux tailles différentes, en me disant que je renverrais ce qui ne me faisait pas, mais je gardais tout. J’accumulais. » Au moment de commander, il se sentait fier et certain de ses choix, mais il en est venu à redouter la réception de ses achats. « Je n’ouvrais pas tout. Je mettais les colis dans ma garde-robe. Pas cachés, mais presque cachés. »
Pris à la gorge avec ses dettes, ne sachant plus quoi faire pour les rembourser, il s’est finalement tourné vers son père. « J’avais surtout peur de mes dettes, que ça n’arrête jamais. Ne pas en parler c’était faire comme si c’était pas grave. Je savais que mes parents aussi auraient peur pour moi et ne comprendraient pas. » Ses parents l’ont aidé à y voir plus clair et l’ont aidé à rembourser.
Maintenant il leur doit 20 000$, et c’est ça qu’il a caché à Aurélie.
« C’est pas sexy des dettes. Et c’est pas comme lui apprendre que j’ai déjà eu un plâtre parce que je suis tombé en ski. »
Il a fini par lui dire parce qu’il sentait que son omission le poussait à continuer à lui mentir. « Elle avait deux semaines de vacances et on s’était dit qu’on partirait ensemble sous le soleil. Quand c’est venu le moment de commander des billets, j’ai choké. » Paniqué et embarrassé, il a expliqué à Aurélie qu’il ne pouvait pas se permettre de voyager, parce qu’il remboursait un certain montant d’argent par mois à ses parents. « Elle était furieuse. Elle était certaine que je lui cachais d’autres choses. »
Pour Tina Tessina, thérapeute et auteure de Money, Sex and Kids : Stop Fighting about the Three Things That Can Ruin Your Marriage, une telle réaction n’est pas exagérée. Dans une entrevue au magazine Forbes, elle affirmait : « Une trahison par rapport à l’argent peut être douloureuse et avoir autant de conséquences néfastes que toute autre façon de tromper. Ça peut provoquer une perte totale de confiance et détruire une relation. »
Guillaume et Aurélie sont encore ensemble, malgré les tensions et les suspicions qui ont pris quelque temps à diminuer.
Des dettes cachées en cadeau de naissance
Maurane* comprend ce genre de situations. Enceinte de son premier enfant, elle avait accumulé les achats de pyjama, poussette et porte-bébé sur sa carte de crédit, prévoyant tout rembourser lorsqu’elle serait payée pour un contrat, qui, finalement, n’a jamais été réglé. Son client a fait faillite et elle n’avait pas assez d’énergie pour chercher à savoir quels étaient ses recours pour une éventuelle poursuite.
La femme dans la fin vingtaine n’en a pas parlé à son conjoint. Elle ne voulait pas se sentir coupable ni le stresser. Après son accouchement dans un hôpital, quand elle est revenue chez elle, son conjoint lui a montré un relevé de crédit qu’il avait ouvert par erreur. « Il sentait que je l’avais trompé », dit-elle. Le couple parle depuis beaucoup plus souvent de leurs besoins et de leurs attentes financières.
Rock n’ roll style et orgueil
Josianne Brousseau et son conjoint, eux, ont couramment des discussions à propos de leurs finances. Blogueuse lifestyle depuis près de dix ans, elle s’est associée à son amoureux pour fonder une entreprise, Neomedias Agence Marketing Web. Leur entreprise avait frappé quelques obstacles dès le départ, car la jeune entrepreneure avait déjà connu l’endettement à deux reprises.
« À 18 ans, j’utilisais ma carte de crédit comme s’il n’y avait pas de lendemain. Rock n’ roll style, avec un emploi étudiant que j’ai perdu », confie-t-elle, avant de raconter qu’enceinte, alitée et avec des problèmes de paperasse, elle a mis un certain temps avant de tout rembourser ses créditeurs. Chaque fois, elle n’en parlait pas à ses proches, par orgueil, principalement.
Plus récemment, quand son couple a éprouvé des difficultés financières, ils n’en ont pas parlé à personne. « Pour ne pas causer de dommages aux projets de Neomedias », assure Josianne Brousseau, consciente que « les gens aiment bavasser sur les échecs des autres. » Entre la protection de son entreprise et de son image (« les gens pensent que je suis super riche et que je roule en Lamborghini, mais c’est parce qu’ils ont vu une photo de moi sur Instagram qui date de deux ans et c’était pour un partenariat »), elle a connu l’instabilité. « Nous proposons des stratégies à long terme, créons des applications et des sites web, aidons nos clients à établir des budgets, mais j’étais comme un cordonnier mal chaussé. Je ne réussissais pas à le faire pour moi. »
« Hydro nous a coupés en juillet, pour une semaine. Nous n’avions pas d’électricité. C’était la canicule. Nous avons perdu toute notre nourriture. »
Avec des clients qui paient de manière irrégulière et une entreprise en mode start-up, son conjoint et elle en sont venus à trop utiliser leur crédit personnel. « Hydro nous a coupés en juillet, pour une semaine. Nous n’avions pas d’électricité. C’était la canicule. Nous avons perdu toute notre nourriture », se souvient Josianne. C’est ce qui l’a contrainte à avouer son endettement à la « bank of maman ». Elle ne lui en avait pas parlé avant, pour préserver son ego et sa « fierté d’entrepreneure ».
À la suite de cette mésaventure, elle a demandé les conseils d’avocats et d’experts comptables, et elle prépare mieux son budget. « Mon conjoint et moi n’avons jamais cessé de tenter d’améliorer notre situation, pour que ça ne se reproduise pas, même si nous sommes conscients que plusieurs choses sont hors de notre contrôle encore », soutient Josianne, pour qui les discussions avec ses parents se continuent sans cachettes, mais avec beaucoup d’émotion.
Si la honte, l’embarras et la fierté sont légitimes, le stress engendré par un endettement caché est majeur. Et le sentiment de trahison qui suit le dévoilement d’une situation financière difficile est encore moins sexy qu’une carte crédit découpée en mille morceaux. L’argent est un tabou pour beaucoup de personnes, mais c’est un enjeu important dans les couples, qui devrait être discuté plus souvent que nos sortes de croustilles préférées (celles à la pizza, c’est décevant) ou que la compatibilité de notre signe astrologique.