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L’illusion de la richesse : accumuler sans vivre
« Je ne veux pas que le Québec reste pauvre pour qu’on garde le prix des maisons plus bas qu’à Toronto ou à Vancouver. »
-François Legault, premier ministre du Québec, 19 juin 2023
Imaginez, si vous le voulez bien, que Jacques, qui n’a jamais eu les moyens de voir une pièce de théâtre, gagne dans un concours un coupon qu’il peut échanger contre n’importe quel billet pour assister à la pièce de son choix. Ce coupon n’a aucune date de péremption, et il est bon pour n’importe quelle pièce de théâtre avec n’importe quelle compagnie de production, n’importe quand. Jacques est très enthousiaste à l’idée d’enfin voir une pièce de théâtre, rêve qu’il caressait depuis longtemps.
Hélas, Jacques craint qu’une fois qu’il aura échangé son coupon, il n’ait plus jamais les moyens d’aller au théâtre. Peut-être que la crainte de Jacques est bien fondée. Jacques tient donc son coupon serré – c’est, après tout, sa seule chance d’aller au théâtre et de voir cette forme de culture. Il passe des années chez lui à s’imaginer quelle œuvre théâtrale il pourrait bien s’offrir avec son coupon.
Éventuellement, le coupon devient sa possession la plus importante. Il achète un coffre-fort pour l’entreposer, vérifie régulièrement son état, relis attentivement les instructions qui s’y trouvent. Il se met à s’inscrire à concours après concours dans l’espoir d’en gagner un autre, et ainsi avoir deux coupons tout aussi précieux, mais sans succès.
Et finalement, Jacques meurt, n’ayant jamais échangé son coupon ni été au théâtre.
À ses funérailles, ses ami.e.s racontent comment Jacques était l’heureux détenteur dudit coupon, comment il avait travaillé toute sa vie à le protéger et comment il était bon pour le garder. Dans son testament, Jacques lègue son coupon à son fils, avec des instructions très claires de bien le protéger, de ne jamais s’en départir, et de régulièrement huiler le mécanisme du coffre-fort qui le contient – parce que la culture, c’est important, affirme-t-il.
Que vaut un coupon inutilisé?
Vous me voyez venir, évidemment. L’analogie est assez transparente, je le reconnais.
En 1930, l’économiste britannique John Maynard Keynes – père de la politique économique moderne – disait dans son livre Un traité sur la monnaie qu’il ne fallait pas confondre le billet qui donne accès à un spectacle et le spectacle lui-même. C’est là l’erreur de Jacques qu’on est tous si facilement capables d’identifier. Mais, vous vous en doutez bien, Keynes ne parlait pas de coupons ou de billets de théâtre. Il parlait d’argent.
Il ne faut pas confondre l’argent qu’on accumule à de la valeur. Ça n’en est pas. C’est simplement un potentiel de valeur.
Et un potentiel qu’on ne réalise en fin de compte jamais ne vaut rien.
Être riche, ce n’est pas d’accumuler et d’entreposer beaucoup d’argent. C’est d’actualiser ses ressources vers les fins auxquels on attribue de la valeur. Ceux qui meurent avec un compte de banque plein après une vie à refuser de le dépenser meurent nettement plus pauvres que ceux qui ont librement dépensé leurs sommes à faire de leur vie une chose dont ils seront fiers.
Alors, de grâce, ne laissez pas votre argent vous empêcher de vivre une vie réellement riche. Ceci n’est aucunement un désaveu de l’importance du travail, de l’économie, et de l’investissement, et encore moins une licence à faire des dépenses frivoles sans compter sur des choses qui, en fin de compte, ne vous apporteront pas grand-chose. C’est simplement un rappel de ne pas confondre l’accumulation d’argent à la richesse réelle, et que l’argent est un moyen, pas une fin.
Parce que quelque part au fond de nous, on sait déjà que ceux qui ne vivent que pour accumuler de l’argent en auront peut-être un jour beaucoup, mais qu’ils ne la posséderont jamais.
C’est plutôt leur argent qui va les posséder.
Sur ce, je vous souhaite bon théâtre!