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L’hypnotiseur qui a hérité du Clan Panneton

Rencontre avec un boss qui ne veut rien faire comme les autres.

Par
Jean Bourbeau
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URBANIA et le MEM – Centre des mémoires montréalaises collaborent dans la création de l’exposition Détours – Rencontres urbaines, présentée au MEM (1210 St-Laurent). Cette expérience immersive dévoile la richesse humaine qui compose Montréal, à travers la rencontre de 25 personnes extraordinaires qui l’habitent.

Dans le même esprit, nous vous présentons aujourd’hui Pierre-Olivier, un citoyen qui, à sa manière, incarne l’unicité de Montréal. Si vous aimez son histoire, vous adorerez les portraits singuliers présentés dans l’exposition Détours – Rencontres urbaines.

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Confortablement installé dans son bureau au troisième étage d’une ancienne usine centenaire, Pierre-Olivier Cyr incarne l’antithèse des clichés que l’on se fait de l’homme d’affaires old school. « La cravate, c’est une laisse pour homme, souligne-t-il avec humour. Moi, j’suis un capitaine de bateau qui ne se prend pas au sérieux. »

Pour mieux saisir comment cet entrepreneur extraverti et hypnotiseur professionnel s’est retrouvé à la tête de l’une des plus grandes compagnies de déménagement du Québec, il faut revenir un peu en arrière.

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LA GENÈSE

« Notre-Dame-de-Paris. Tout a commencé là! », confesse Pierre-Olivier avant de s’esclaffer et de chantonner quelques paroles célèbres. Attiré par la scène dès son tout jeune âge, il entame des études collégiales en théâtre musical, mais beaucoup trop gêné, la direction du programme songe à lui montrer la porte.

C’est pour vaincre sa timidité qu’il se met à l’hypnose, d’abord pratiquée sur lui-même, pour enlever cette barrière de stress contraignante, puis sur ses camarades de classe pour s’amuser. Le coup de foudre est immédiat.

Guidé par ce rare talent, il prend confiance et accumule les succès. De Cégeps en spectacle à des petites tournées à travers le Québec. Le diplôme en poche, il tente de se tailler une place dans le milieu artistique, comme comédien cette fois. Pierre-Olivier fut d’ailleurs, à l’été 2006, l’unique maire de La Ronde de son histoire. « J’ai dû faire le Goliath 135 fois, moi qui avais peur des montagnes russes. »

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Il accumule les contrats périphériques dont un troisième rôle dans la non moins mythique série L’Auberge du chien noir et quelques auditions pour des publicités qu’il juge aujourd’hui catastrophiques.

L’hypnose demeure néanmoins sa grande passion, avec des passages remarqués à Occupation Double et au festival Juste pour rire. Ses numéros impliquant la foule ont conquis les audiences partout.

Peu à peu, le milieu l’éreinte, le désole. « Un milieu phoney, pas vrai », critique-t-il. Il demande à son agent de ralentir la cadence.

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Il se tourne vers la gestion. Il travaille pour le compte d’Apple, puis Ford, où les résultats ne mentent pas sur son flair en affaires. « Aussitôt que quelque chose me passionne, j’y vais à fond. Mon père disait que le seul endroit où le succès devance le travail, c’est dans le dictionnaire. »

Mais encore une fois, son savoir-faire exceptionnel fait bifurquer sa carrière. Il prend la route pour Regina en Saskatchewan et termine toutes les étapes pour devenir hypno-enquêteur et polygraphiste au sein de la Gendarmerie royale du Canada. « J’étais entouré de colosses, d’anciens militaires, des gros toughs, alors que j’étais le p’tit Québécois avec un accent, raconte-t-il tout sourire. Personne ne me prenait au sérieux jusqu’à ce que je montre sur eux ce que je pouvais faire avec l’hypnose. »

Puis, son père, à la barre du Clan Panneton depuis les années 90, est affaibli par la maladie. Pierre-Olivier revient à Montréal au moment où l’entreprise est en difficulté. « Donne-toi trois mois pour la restructurer », se promet-il avec sa fougue caractéristique.

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« La première fois que je suis arrivé au Clan en tant que gestionnaire, j’ai apporté des beignes. Personne n’en a mangé un seul. Il y régnait une ambiance de salon funéraire. “Y’aura pu de ça”, que j’me suis dit. J’ai apporté des speakers, on a mis de la musique. »

Le party n’a jamais cessé depuis.

Bienvenue au Clan

Pierre-Olivier a modernisé l’image du Clan sans lui enlever son petit côté kitsch. L’un des plus légendaires jingles publicitaires de notre culture populaire est d’ailleurs l’œuvre de son père.

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À l’époque, le fondateur Panneton avait foutu le camp, la business était en faillite. Le paternel, Pierre Cyr, a repris l’entreprise et a choisi un nouveau numéro de téléphone qu’il tenait mordicus à inclure dans la chanson. L’équipe marketing a répondu que ce serait le pire flop de tous les temps. L’histoire en a décidé autrement.

« Mon père avait cette audace, raconte l’entrepreneur débordant d’énergie. Les limites, c’est toujours nous qui nous les imposons. Il faut prendre des risques, mais il faut surtout rire. On est rendu tellement frileux! On peut se permettre d’être hors-norme plus que jamais. Les Tik Tok, les concepts flyés, les pubs loufoques. On te dit que tu ne peux pas le faire? Fais-le pareil. La série télé Je suis déménageur, c’est quatre ans de négociation, pour au final, être un beau succès. »

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« Le p’tit Cyr » est copropriétaire avec un associé qui s’occupe du volet financier, lui permettant de se concentrer sur des projets marketing. « Je travaille avec des réalisateurs et des créateurs audacieux que j’admire énormément. Il est essentiel à tout bon entrepreneur d’être entouré des meilleurs. »

Bien plus qu’une simple entreprise avec des publicités déjantées, le Clan Panneton est une opportunité d’emploi pour plusieurs qui n’en ont pas toujours eu. « Le staff, ici, ils ont un vécu, tout le contraire de la scène artistique. J’ai réalisé que ma vie, je voulais la passer avec du monde authentique. »

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En période de pointe, le Clan emploie près de 300 employé.e.s issu.e.s de tous les milieux sociaux.

« Les gens ne voient pas l’humain derrière le déménageur, mentionne le copropriétaire de 37 ans. Ils ont mille histoires incroyables derrière eux. Il y a des parcours immigrants, des repris de justice et ce sont tous des récits portés par des gens de cœur. Si tu prends le temps de t’asseoir avec eux, tu réalises assez vite que leur passé ne fait pas leur présent. Ça me touche quelqu’un qui vient de loin. T’sais, c’est Pointe-Saint-Charles ici. »

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Tous les jours, Pierre-Olivier prend le métro avec son personnel. Une proximité qu’il chérit. « Les vendredis, je fais du barbecue tout l’après-midi. On est une grande famille. C’est ça, le succès. Le Clan n’est pas très profitable, mais je m’en sacre. Un entrepreneur doit dépenser pour son monde. Je veux que mon staff soit heureux et c’est bien plus important que de faire de l’argent. »

Le Clan, c’est les racines du Québec, d’hier à aujourd’hui. De Anne-Sophie, 16 ans, qui termine son diplôme d’étude secondaire de soir aux jeunes Mexicaines qui travaillent dur. « J’ai des deals avec tous mes employé.e.s que je dois respecter et eux aussi. S’il y a quelque chose, mon téléphone est toujours ouvert. »

dans L’antre du Clan

« Enwoye, viens voir », dit-il en se levant d’un trait. J’ai droit à une visite guidée de l’immense bâtiment de 65 000 pieds carrés, qui jadis servait à usiner des munitions pendant la Seconde Guerre mondiale. Si les décennies se sont succédé, le bois d’origine donne aujourd’hui un cachet magnifique aux étages désormais destinés à l’entreposage. On y croise de vieilles voitures, des conteneurs en bois, des meubles épars. « L’hiver, c’est ben plein de Westfalia ici ! », mentionne Pierre-Olivier en pointant l’entrepôt peu éclairé.

En explorant les lieux, l’entrevue continue.

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« Mon père me disait: “Tu ne feras pas d’argent avec le Clan, il est là pour faire vivre un quartier”. Ça m’a pris un peu de temps pour comprendre ça, mais aujourd’hui, quand je vois mes employé.e.s aller au front, lever des meubles pis des boîtes du matin au soir, je suis qui pour leur dire que je suis leur boss? Je travaille pour eux. »

Une note pleine de sens qui révèle la personnalité singulièrement humaine de l’entrepreneur. « Trop souvent, quand on run une business, on oublie le plus simple, juste demander à un employé: “Pis, comment ça va?” »

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Pour le patron, une journée normale n’existe pas. « Chaque jour, j’ai des listes de tâche différentes et des impondérables à ajuster. Un client problématique en instance de divorce, un truck qui brise. Il faut éteindre des feux, régler les problèmes rapidement et ne pas avoir peur de demander à un employé comment lui gérerait la situation. « Qu’est-ce que tu ferais? Bonne idée, let’s go! », dit-il en claquant des doigts.

« À Juste pour rire, devant 15 000 personnes à la Place des Arts, on a eu un pépin, mon assistant de scène, c’était qui? Crisse, c’était Raymond du Clan Panneton. »

« Je veux que mon staff soit heureux. Un gestionnaire doit se challenger sur ce sujet-là. Il faut tisser un lien, qu’il y ait un intérêt commun, une direction connue des deux bords. »

En marchant, son téléphone sonne sans arrêt, sa sonnerie est sans surprise le fameux jingle du Clan. Il écrit à sa femme en parlant à Siri. Il s’arrête, me montre des vidéos hilarantes de lui en pleine performance d’hypnose, dont une délicieuse série de pubs aux limites du surréalisme pour Les Producteurs de lait du Québec. Il me fait écouter le jingle version chien-chat en association avec Mondou pour sensibiliser le public à l’abandon des animaux au 1er juillet. « J’ai cinq animaux chez moi. Une chance que je les ai. »

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Sylvain, qui avait de lourds antécédents criminels, occupe depuis plusieurs années le poste de dispatch. « J’ai fait trois fois le cover d’Allô police », mentionne-t-il en haussant les sourcils. Aujourd’hui, sa passion, c’est les antiquités. On entre avec lui dans une caverne d’Ali Baba. La caverne de Sylvain. Un gigantesque local qui déborde d’antiquités. Des trouvailles de déménagement, des artéfacts du passé, des jouets des années 70, un habit officiel des Jeux olympiques de Montréal, un Lite-Brite encore dans sa boîte, des bouteilles Pepsi de collection. Lui et Pierre-Olivier me bombardent des innombrables trésors qu’ils ont trouvés.

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Le patron me dit que je peux partir avec un item. Gêné, je choisis une rondelle à l’effigie des Nordiques.

l’intégrité, une valeur cardinale

L’édifice est un terrain de travail, mais aussi de jeu et de vie. « On a aménagé une grande pièce inoccupée pour que le gars de Sylvain puisse s’amuser. Check notre vieille Nintendo! », dit-il avec enthousiasme.

« Prendre un gars magané pis tout faire pour pas qu’il retombe, c’est aussi ça le rôle d’une business. »

On visite Yvon, maître mécano et roi du garage. 70 ans et il travaille sans relâche six jours par semaine dès 6 heures du matin. Ce garage, c’est chez lui, décoré avec des pin ups de calendrier et des affiches de Marjo dédicacées à son honneur.

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Cette rencontre est suivie d’une visite au gymnase, composé d’appareils abandonnés par leurs propriétaires. On se rend ensuite sur le toit pour profiter d’une vue impressionnante du quartier et du centre-ville.

La conversation dévie sur la crise du logement.

« J’ai averti quelques médias pour leur faire part de mes inquiétudes. 60% de mes déménagements sont des évictions. La situation est épouvantable. Montréal est en train de perdre sa personnalité et n’est pas en train de s’en créer une! C’est triste et il faut un plan parce qu’il va y avoir plein de monde dans la rue », se désole-t-il.

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On descend visiter les bureaux administratifs où tout le monde est au téléphone. Après tout, on est dans le gros de la saison, mais Pierre-Olivier insiste pour que je rencontre chaque employé, dont Yolande, à la comptabilité, qui cumule les années de service sans songer à la retraite.

« Le Clan, c’est dur à intégrer, mais encore plus dur à quitter », dit le patron de retour dans son bureau.

« J’ai fait un balado tout le long de la pandémie. Mis en branle un documentaire sur l’hypnose médicale avec une neurochirurgienne. Je suis aussi père de deux garçons! Je donne 4-5 spectacles d’hypnose par mois. Si je faisais juste le Clan, je ne serais pas heureux, si je faisais juste de l’hypnose, je ne serais pas heureux. Je suis où je dois être. »

Pour le futur, qui sait ? Des envies de franchiser le Clan Panneton ou peut-être même de politique. « Je veux toujours comprendre les nouvelles générations. Si tu ne les écoutes pas, tu vas passer à côté de ce qui s’en vient. S’adapter aux nouvelles réalités est au cœur de mes priorités. »

Pierre-Olivier m’invite à manger « le meilleur tartare de ma vie », à l’ancienne Taverne Magnan, défunte institution de Pointe-Saint-Charles. Mon horaire l’empêchant, je lui serre la main et quitte un brin hypnotisé, avec en cadeau le t-shirt rouge signature, une casquette, mon puck et évidemment, le jingle en tête.

Le portrait de Pierre-Olivier vous a donné le goût de plonger dans le Montréal insolite? Rendez-vous au MEM – Centre des mémoires montréalaises (1210 St-Laurent) pour visiter l’exposition immersive Détours – Rencontres urbaines (billets disponibles en ligne). Vous y découvrirez 25 personnes extraordinaires qui contribuent à donner une âme toute particulière à leur ville.

Lisa Grushcow, première rabbine ouvertement lesbienne du Canada, Lazylegz, danseur de breakdance à béquilles, Junko, artiste multidisciplinaire qui fait naître des œuvres d’art d’un tas de ferraille, Ramzy Kassouf, maraîcher urbain, Clifford Schwartz, propriétaire du bar country le Wheel Club… nos protagonistes ont des parcours de vie uniques, et de belles histoires à vous raconter.