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Sportives et lesbiennes

Lesbienne et sportive : ouin, pis?

Plaidoyer pour des sports plus inclusifs.

Par
Marie-Ève Martel
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« Elle est tellement à fond dans son sport, elle doit être lesbienne. » « Attention, j’ai entendu dire qu’il y a plein de lesbiennes dans cette équipe-là, elles pourraient essayer de te recruter! »

À entendre les commentaires discriminatoires reçus par la skateboardeuse Annie Guglia, l’homophobie – qui comprend la lesbophobie – perdure encore dans le milieu sportif.

Forte d’une carrière de 25 ans en skateboard, Annie Guglia a subi des attaques sur son orientation sexuelle, et ce, avant même de prendre elle-même conscience de son homosexualité.

« J’étais une fille dans le monde du skate et je me faisais traiter de lesbienne, relate la triple championne nationale et présidente de Skateboard Canada. Je disais que je n’étais pas lesbienne parce que je ne m’étais jamais demandé si j’aimais les filles. »

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Finalement, c’est en 2013, à 23 ans qu’elle prend acte de son attirance pour les femmes et fait son coming out. « Avant ça, je ne m’en étais pas vraiment rendu compte, entre autres parce que je ne voulais pas incarner le stéréotype qu’une fille bonne dans le sport est nécessairement lesbienne », ajoute-t-elle.

Photo : Anne-Marie Munoz
Photo : Anne-Marie Munoz

Assumer fièrement son homosexualité est pour la planchiste une manière d’être authentique, mais aussi d’être un modèle pour les autres. « Il n’y a absolument aucun avantage à garder le silence, indique celle qui a pris part aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020. En fait, tu te prives de tout le positif qui va avec. »

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Elle donne l’exemple d’Alex Johnson, une coach d’escalade ayant passé une grande partie de sa carrière dans le placard. « Elle se disait que son orientation sexuelle n’avait pas rapport avec l’escalade, raconte Annie. Un jour, une jeune athlète est venue lui confier qu’elle se faisait intimider parce qu’elle était lesbienne, et c’est à ce moment-là qu’elle a réalisé que son silence avait peut-être nui à plusieurs jeunes filles pour qui elle aurait pu servir de modèle. »

Des préjugés à l’endurance marathonienne

Selon des données publiées par Statistique Canada en mars 2024, les personnes appartenant à la communauté LGBTQIA+ étaient deux fois plus nombreuses à avoir été témoins ou victimes d’actes d’intimidation ou de discrimination dans le cadre d’une activité sportive que les personnes hétérosexuelles (42 % contre 17 %).

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De telles données reflètent les résultats d’une étude réalisée en 2017 pour le Centre de documentation pour le sport par la professeure de l’Université Laval Guylaine Demers, avançant que deux athlètes LGBTQIA+ sur trois et 85 % des athlètes trans ont subi au moins un épisode homophobe au cours de leur carrière.

Photo : Alex Champagne
Photo : Alex Champagne

Cynthia Eysseric, directrice générale par intérim du Réseau des lesbiennes du Québec (RLQ), relève cet effet pervers à demeurer dans le placard. « Beaucoup de personnes, y compris des hommes, soit dit en passant, ne font pas leur coming out par peur de représailles, ajoute-t-elle. Mais plus tu le caches, plus les gens ont l’impression que c’est un problème. »

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Cynthia Eysseric estime toutefois que c’est par la prise de parole que les personnes LGBTQIA+ parviendront à trouver leur place au sein du sport.

« Au cours des deux dernières années, on a vu le sport féminin fleurir à Montréal, notamment avec Les Roses (soccer) et La Victoire (hockey), illustre Cynthia. Il y a aussi des ligues de roller derby à Sherbrooke, Montréal et Québec qui sont très populaires. »

Photo : Alex Champagne
crédit Alex Champagne
Photo : Alex Champagne

« Il y a des préjugés qui touchent certains milieux, surtout quand on attribue un sport à un sexe en particulier, analyse Annie Guglia. C’est con, parce que quand tu y penses, un sport, ça n’a pas de genre. La réalité, c’est que n’importe qui peut pratiquer n’importe quel sport et c’est quand tu vois des athlètes qui te ressemblent que tu peux avoir envie de t’initier à un sport. »

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L’importance d’un safe space

En général, le sport est reconnu comme étant un vecteur d’épanouissement personnel, puis social, lorsqu’il est pratiqué en équipe.

« Le sport, c’est bon pour la santé mentale, renchérit Cynthia. Si tu peux être toi-même à 100 %, c’est encore mieux! Les bienfaits sont multipliés quand on peut s’épanouir dans le sport. Alors, créer des espaces de socialisation avec une communauté similaire, c’est vraiment enrichissant. »

Elle donne l’exemple d’une athlète universitaire professionnelle qui n’osait pas faire son coming out parce qu’elle était noire. « Elle trouvait qu’elle ne pouvait pas incarner plus qu’une identité : elle était déjà noire, elle ne pouvait pas être lesbienne en plus. Des années plus tard, elle a réalisé que d’autres joueuses de sa ligue étaient lesbiennes, alors qu’elle s’était cachée pendant des années », témoigne Cynthia.

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La lesbophobie est tout aussi dommageable pour les femmes hétérosexuelles, avance Annie Guglia, qui milite pour une plus grande présence féminine dans le sport en général. « C’est blessant pour elles aussi : ça les stigmatise et ça peut décourager des filles de pratiquer un sport de peur d’être jugées ou catégorisées », note l’athlète, qui a créé, en 2010, le groupe All Girls Skate, qui offre un milieu pour les filles de toutes orientations souhaitant pratiquer le skateboard.

Photo : Guiliphoto
Photo : Guiliphoto

« Il y a des gens qui pensent qu’avoir des safe spaces, c’est créer des ghettos qui isolent les minorités, soulève Annie. Au contraire, je suis fière d’avoir créé un endroit où les sportives peuvent bâtir leur confiance en elles et pratiquer leur sport sans avoir à cacher des parties d’elles-mêmes. »

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Un autre de ces rendez-vous aura lieu le 26 avril prochain dans le cadre de la Journée de la visibilité lesbienne : plusieurs ligues sportives de la grande région de Montréal se réuniront pour permettre la découverte de leur discipline par des membres du public.

« Ce qu’on souhaite, cette année, c’est changer la game, indique Cynthia Eysseric. On aimerait que les ligues adoptent des politiques d’inclusion et de lutte à la discrimination. »

En retirant des obstacles, on évite aux athlètes gais et lesbiennes tout un slalom… à moins que ça ne soit leur discipline de choix.