Signe qu’aucun secteur économique n’est épargné par la guerre tarifaire, les travailleuses du sexe en arrachent, elles aussi. Premières à souffrir d’un ralentissement économique, le fait qu’elles brassent de moins bonnes affaires devrait être notre wake up call de commencer à mettre un peu d’argent de côté.
Depuis l’annonce de Trump sur les tarifs douaniers, Amy Bellerose a constaté une baisse de demandes de la part de sa clientèle. Et elle n’est pas la seule.
« On s’en parle souvent et ouvertement entre collègues : aussitôt qu’il y a des annonces qui font que l’économie se resserre, ou que des gens craignent de perdre leur emploi, on voit une baisse de la demande pour nos services », témoigne celle qui évolue dans l’industrie du sexe depuis une dizaine d’années.
« Je suis capable de le dire, quand l’économie va moins bien, ajoute-t-elle. Même celles qui sont sur OnlyFans ont remarqué qu’elles faisaient moins d’argent. »
Il y a quelques années, lorsqu’elle brassait des affaires florissantes, Amy Bellerose pouvait gagner « entre 5 000 et 6 000 $ » par semaine. Elle recevait une soixantaine de messages textes par jour, et pouvait rencontrer de six à sept clients.
La pandémie est venue brouiller les cartes, et depuis, son revenu hebdomadaire a fondu de plus de la moitié. L’inflation des deux dernières années, notamment au niveau du logement et de l’épicerie, puis les tensions avec les États-Unis, en ont rajouté une couche, si bien qu’Amy ne gagne désormais qu’ entre 2 000 $ et 2 500 $.
Charlotte Savard, dans le milieu depuis 2018, dresse le même constat. « Entre 2020 et 2022, on a vu une grosse baisse, confirme-t-elle. Et depuis le début de l’année, c’est plus tranquille. Ça a peut-être à voir avec les tarifs ou l’inflation. »
Des clients moins généreux
La travailleuse du sexe a également remarqué un changement au niveau de sa clientèle. Ses clients internationaux, notamment les Américains, se font de plus en plus rares.
Ses clients réguliers ont aussi commencé à espacer leurs visites.
« J’en avais qui venaient me voir chaque semaine et qui ne viennent plus qu’aux deux semaines, témoigne Charlotte Savard. Certains m’ont avisée qu’ils allaient devoir se serrer la ceinture. »
« J’en ai un autre qui venait chaque semaine, et ça fait un mois que je ne l’ai pas vu, renchérit-elle. Les dernières fois, il me parlait des tarifs, de trucs économiques qui le stressaient et de ses difficultés au travail. Il se permettait moins de dépenser. »
Amy Bellerose a pour sa part sondé ses clients sur ses réseaux sociaux. Plusieurs lui ont également fait savoir qu’ils comptaient effectivement faire plus attention à leurs dépenses au cours des prochains mois.
Un indice économique réel
Bien documenté aux États-Unis, le « Stripper Index » [que je traduirais par « index de l’effeuilleuse »] est un phénomène voulant que les travailleuses du sexe aient la capacité prédire des récessions en raison de leur baisse de revenu.
Quand les temps sont durs, la plupart des ménages et des consommateurs tentent de couper là où ils le peuvent pour s’assurer d’avoir les moyens nécessaires pour couvrir leurs dépenses essentielles.
« On évite de généraliser, parce qu’on a parfois des clients plus aisés, mais le travail du sexe, c’est comme aller au restaurant : c’est un service que tu peux couper quand tu dois moins dépenser, illustre Amy Bellerose. Mais c’est sûr que s’ils ont un choix, les gens préféreront sans doute aller souper au resto que de venir nous voir. »
Si une majorité de clients espacent leurs rencontres ou cessent carrément de recourir à à leurs services, les travailleuses du sexe se doutent alors que l’activité économique est en voie de ralentir.
Le tout a été documenté il y a une dizaine d’années par le Urban Institute. En comparant leurs revenus entre 2003 et 2007, la chercheuse Meredith Dank est parvenue à démontrer que les variations des revenus des travailleuses du sexe de quatre des six villes américaines étudiées (Atlanta, Dallas, Denver, Miami, San Diego, Seattle et Washington) auraient pu permettre de prédire la récession de 2008.
Le travail du sexe pour arrondir ses fins de mois
Malgré une baisse de leurs revenus, certaines travailleuses du sexe se remettent en question.
Pour compenser, plusieurs travailleuses du sexe se sont réorientées ou explorent de nouvelles avenues, alors que d’autres femmes débarquent à leur tour dans l’industrie afin d’arrondir leurs fins de mois.
« Au cours des derniers mois, j’ai rencontré plusieurs nouvelles, et j’en ai coaché plusieurs. Elles ont choisi de se tourner vers le travail du sexe parce qu’elles ne faisaient plus assez avec leur job à temps plein, commente Charlotte Savard. Elles ont une carrière, mais elles veulent un petit à côté, parce que même en travaillant à temps plein, elles ne sont plus capables d’arriver. »
Amy Bellerose s’attend à ce que les temps soient durs pendant encore un temps. « D’après moi, on en a encore pour un an ou deux », prévoit-elle.
Qu’on se le tienne pour dit!