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Les toilettes chimiques : pas une business de merde !

Entrevue avec le vrai boss des bécosses.

Par
Billy Eff
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Être véritablement Montréalais, c’est comprendre que notre ville, c’est plus qu’une ville : c’est un constant work in progress. Simplement en jetant un coup d’œil dehors, de la fenêtre du bureau où j’écris ces mots, je peux à peine compter les cônes orange tellement ils sont nombreux. Mais sur les chantiers, une autre icône colorée se démarque : les toilettes bleues et grises !

Les toilettes chimiques portatives, c’est un business impressionnant. Aux États-Unis, c’est une industrie de plus de deux milliards de dollars, et la compétition est féroce. Plus près de chez nous, entre chantiers, événements spéciaux ou au parc Jarry un dimanche après-midi, ces cabines de plastique se retrouvent partout et sont indispensables.

À cause de ce qui se passe à l’intérieur et de la mission primaire qu’elles remplissent, la plupart d’entre nous savent peu de choses à leur sujet. On a donc décidé de s’entretenir avec Vincent Kelly, PDG et co-propriétaire de Sanivac, la plus vieille compagnie de location de toilettes chimiques à Montréal, dont les quelques 7000 unités sont réparties partout à travers la ville et sa périphérie. Et il nous a dévoilé ce que ça prend pour être le #1 à gérer les #2.

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Bonjour M. Kelly ! Pouvez-vous nous expliquer comment vous vous êtes retrouvés dans ce business ?

Sanivac est une entreprise familiale de troisième génération. Mon grand-père avait commencé avec la maintenance et l’installation de fosses septiques. Par la suite, dans les années 70, ils se sont lancés dans le déménagement municipal, avant de laisser ça de côté pour se concentrer sur le nettoyage d’égouts. Ils ont continué comme ça jusqu’en 1994, et les toilettes chimiques sont devenues une des spécialités de l’entreprise.

Ils ont commencé avec 20 toilettes la première année, pour terminer avec une centaine de toilettes à la fin de la première saison ! Tout notre développement a été organique; on n’a jamais racheté d’entreprises. Très vite, les toilettes chimiques ont pris plus de place, et aujourd’hui on est rendus à une flotte d’environ 7000 toilettes aujourd’hui !

Est-ce compétitif comme industrie?

Oui, mais c’est aussi très complexe comme type d’entreprise. Il y en a beaucoup qui sont dans cette industrie, mais peu qui offrent un service de qualité. Il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui font une bonne maintenance de leurs installations. Ce qu’ils ont à offrir, c’est une toilette très endommagée, mal entretenue, et un service assez médiocre sur le plan du nettoyage.

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Je ne parle bien sûr pas de tous mes compétiteurs. Mais on fait ça depuis longtemps, et les gens nous font confiance. On n’a pas de vendeurs sur la route pour faire notre promotion, c’est du bouche-à-oreille, qui est bâti sur la qualité du produit, des services et de l’inventaire.

Qu’est-ce que la pandémie a changé pour votre entreprise ?

Ce qui a vraiment changé, c’est la fréquence à laquelle on envoie quelqu’un pour le nettoyage. Lorsqu’on loue une toilette chimique, on établit un prix par mois qui inclue un nettoyage par semaine. Mais avec la pandémie, les clients peuvent avoir besoin de deux, trois, voire quatre nettoyages par semaine et par toilette.

Mais déjà avant la pandémie, ça avait commencé à augmenter. Par exemple en 2016, on nettoyait 2500 toilettes par semaine pour une flotte d’environ 3000 toilettes. En 2021, on a doublé notre flotte et triplé notre fréquence de service ! Et ça a fait grandir la compagnie, car en 2016 on était entre 50 et 60 employés, contre 250 aujourd’hui.

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D’où viennent les toilettes chimiques? Sont-elles construites sur mesure ?

Les nôtres viennent d’une entreprise tout près de Toronto, à Aurelia. On fait affaire avec eux depuis le début, en 1994. Ils nous ont suivis dans notre croissance, à travers les années. C’est le plus gros fabricant de toilettes chimiques en Amérique du Nord, et on est leur plus gros client au Canada.

Les toilettes chimiques, c’est un peu comme un Monsieur Patate : ça s’assemble et ça se désassemble selon les besoins. Le modèle de base, c’est celui qu’on connait tous avec la cuvette, l’urinoir et le papier de toilette. Après, on peut ajouter du désinfectant à mains, un lavabo et du savon, on peut changer la cuve et y ajouter une flush. On appelle ça la PGL, c’est la plus connue en Amérique. Mais on a d’autres modèles, comme la toilette adaptée, qui est conçue pour les personnes à mobilité restreinte et qui a assez d’espace pour les fauteuils roulants.

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Est-ce qu’elles sont néfastes pour l’environnement ?

Non ! Par exemple, le liquide bleu que vous voyez dans la cuve de nos toilettes, c’est le meilleur qu’on trouve sur le marché. Pour tout vous dire, j’ai essayé beaucoup de produits, parce qu’on veut être une entreprise qui respecte l’écologie. On a essayé différents produits, des bactéries et des enzymes, même des produits avec du colorant, tout ça dans le but d’arrêter d’utiliser le bleu à toilettes. Mais le problème, c’est qu’aucune technologie ne convient à nos besoins. Plusieurs entreprises sont venues nous voir avec des produits qui étaient censés révolutionner l’industrie, mais ils ne fonctionnent pas : les toilettes puent !

Il n’y a aucun « bleu » sur le marché qui fait qu’une toilette chimique ne sente pas mauvais quand il fait 25, 30 degrés dehors, hormis celui qu’on utilise et qu’on doit aller chercher aux États-Unis. Je pourrais acheter un produit canadien beaucoup moins dispendieux, où ça coûterait 5000$ pour une tank de 220 gallons. Celui qu’on utilise coûte 12 000$ US, plus le coût de transport. Mais c’est le prix pour avoir un produit qui est à la hauteur de nos besoins et de notre service.

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Où s’en va le contenu des toilettes quand elles sont vidées ?

C’est assez simple ! Avec notre certificat d’environnement, on peut faire un transbordement d’un petit camion qui revient de sa route à une grosse citerne qui peut contenir 8 000 gallons.

Notre équipement est adapté à nos besoins; c’est pas une job aussi dégueulasse que ce que les gens peuvent penser. Il y a un boyau avec un dévidoir, pour remplir les lavabos et les cuvettes. Il y en a un autre qui est vraiment pour nettoyer à pression les toilettes, et trois types de produits nettoyants biodégradables et verts, pour tout laver. Même notre produit anti-graffitis est bio !

Une fois que les petits camions ont fini la vidange des toilettes, ils reviennent au centre et vident le contenu dans la citerne. La citerne part ensuite vers un centre d’épuration, souvent à Valleyfield, où on paie à la tonne pour pouvoir disposer de son contenu. Et c’est le même peu importe nos services : toilettes chimiques, blocs sanitaires ou vidage de trappe à graisse. On a plusieurs camions-citernes, un pour chaque service.

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C’est entre 10 et 20 000 gallons qu’on envoie à différents centres pour être vidés chaque jour.

Quelles sont les appréhensions Des nouveaux employés lors de leur première journée de travail ? savent-ils à quoi s’attendre ?

En général, c’est le même type de personne qui postulent : des jeunes dont le parcours scolaire était difficile, qui se cherchent une bonne job et qui veulent se placer sur le marché du travail.

J’entends souvent dire qu’il n’y a plus de jeunes qui sont prêts à travailler fort, mais je confirme que ce n’est pas vrai. On leur donne de bons emplois : nettoyer les toilettes sur la route, ça commence à 22$ de l’heure, et tout ce dont on a besoin c’est un permis d’auto. Et t’as la possibilité de faire 10-15 heures de temps sup’ par semaine, donc ça fait de très belles paies. Un jeune qui est motivé et qui fait un 50h par semaine gagne presque autant qu’un gars de constructions qui a ses cartes !

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Le nouvel employé part le matin avec un formateur dans un des camions, et ils passent une semaine ensemble pour qu’il puisse tout apprendre. Il commence par de petites routes, qui deviennent plus importantes avec le temps au fur et à mesure qu’il progresse. On vise entre 40 et 45 toilettes par jour. Autrefois, il y a 7 ou 8 ans, on visait 75 par jour, ce qui pour moi n’était pas concevable sur le long terme, parce qu’on veut offrir la meilleure qualité au client.

est-ce une industrie où il y a beaucoup de roulement ?

On n’a pas beaucoup de roulement de personnel, chez nous. On a beaucoup de croissance, par contre. On ajoute environ 50 personnes par année dans l’entreprise, depuis 2016. Donc c’est sûr que ça se peut qu’on en ait embauché 100 et que seulement 50 finissent par rester. Mais normalement, après une semaine ou deux, on sait si ça va fonctionner avec un nouvel employé ou pas. Aussitôt qu’une personne franchit le cap du un mois avec nous, on est souvent ensemble pour le long terme.

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Il faut aussi dire que c’est une industrie saisonnière, même si on essaie de faire ça à l’année longue et de donner douze mois de travail par année à nos employés. Et ce sont tous des jeunes, j’en ai un qui a 40 ans, mais sinon la plupart des employés ont entre 30 et 35 ans !

Je suis désolé, mais je dois savoir. Est-ce qu’il y a souvent des… accidents ?

On dit toujours que tu n’as pas eu ton initiation tant que t’as pas reçu une douche de marde !

C’est quelque chose qui arrive, c’est certain; tout le monde l’a vécu au moins une fois. D’habitude, tu apprends après ta première fois, et ça n’arrive plus. C’est souvent un problème de blocage dans le tuyau, et comme t’as pas assez d’expérience, t’essaies d’aller trop vite et ça fait un splash !

J’ai déjà aussi vu des gens recevoir du bleu à toilettes dans le visage, et ça tâche donc ils passent une semaine à être bleu comme un Schtroumpf. Mais ça reste des cas isolés, on a le bon matériel et les bons produits pour que tout se passe bien.

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