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Les salaires : un tabou payant pour les employeurs

La transparence salariale, c’est vous qui y gagnez.

Par
Farnell Morisset
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« Je pense que c’est normal qu’on offre une rémunération compétitive avec ce qu’il pourrait avoir au public ou au privé. » – François Legault, 23 mai 2023, avant de se voter une augmentation salariale de 30%

Des informations qui valent cher

Alice et Bérénice ont sensiblement les mêmes habitudes alimentaires et font chacune leur épicerie chaque semaine. Alice fréquente le même établissement depuis toujours, et achète plus ou moins les mêmes choses, semaine après semaine. Bérénice, elle, compare régulièrement les circulaires de toutes les épiceries de son quartier et va là où elle estime pouvoir remplir son panier au meilleur prix. Évidemment, on comprend tous intuitivement que Bérénice fait probablement une meilleure affaire qu’Alice avec son budget d’épicerie. En termes économiques, il s’agit d’un exemple de l’avantage d’information comparative – la connaissance des différents prix ou valeurs des biens et services – dans un libre marché.

Vous me voyez venir : le même principe s’applique à nos salaires.

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Évidemment, il y a plusieurs types d’emplois où les employés savent tout ce qu’il y a à savoir sur les salaires et conditions de leurs collègues. C’est le cas, par exemple, des secteurs syndiqués avec des conventions collectives publiques. (Ce billet risque de ne pas être particulièrement utile pour ces gens – désolé!) Mais c’est pas le cas pour tous.te.s.

Dans d’autres secteurs, où l’on négocie individuellement son salaire avec l’employeur, on en sait habituellement très peu sur ceux de nos collègues.

Pour plusieurs, l’idée même de discuter salaire avec leurs collègues pour se faire une meilleure idée relève du tabou.

Un tabou qui avantage l’employeur

D’abord, il faut dire que ce supposé tabou n’existe qu’à l’avantage des employeurs qui lui sait combien tous ses employés sont payés. L’employeur a aussi normalement une assez bonne idée de la productivité de chaque emploi pour l’entreprise, donc le maximum théorique qu’il pourrait payer un employé tout en étant quand même rentable.

L’employé, pour sa part, n’a généralement pas une très bonne idée de la productivité économique de son emploi, c’est-à-dire la valeur que son emploi en particulier ajoute à l’entreprise dans son ensemble. S’il ne connaît que son propre salaire, il doit essentiellement croire son employeur sur parole si l’employeur lui dit « je peux pas te payer plus ».

Avantage : l’employeur.

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On peut comprendre certaines réticences à parler de son salaire au travail. Nos mœurs sociales ont encore de la misère à aborder l’argent. C’est inconfortable. Si c’est mal abordé, on risque l’humiliation ou le mépris de ses collègues.

Mais pourquoi c’est seulement quand vient le temps de parler de salaires qu’on fait face à de tels tabous? Pour revenir à l’exemple d’Alice et Bérénice à l’épicerie, que penseriez-vous d’Alice si elle disait qu’elle trouvait ça impoli, de parler des prix des aliments entre amis? Trouveriez-vous que Bérénice manquait de tact si elle vous signalait qu’un nouveau supermarché avait de meilleurs prix que l’épicerie que vous fréquentez habituellement?

Les autres exemples de situations où on n’a pas (ou moins) ce tabou de parler d’argent se multiplient, quand on y pense : les prix des voitures, des maisons, des vêtements.

Malgré tout, le tabou sur le salaire coûte des petites fortunes à d’innombrables employés.

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Beaucoup acceptent, sans le savoir, des salaires inférieurs à ce qu’ils seraient capables de demander en ayant plus d’informations sur le marché salarial dans lequel ils et elles évoluent.

Parler de son salaire, c’est légal

Des mythes farfelus persistent même encore sur le sujet, dont certains qui laissent entendre qu’il serait carrément illégal de dévoiler son salaire! C’est bien sûr faux – il n’y a pas de prohibition générale à parler de salaires entre employés ou avec n’importe qui d’autre : nous sommes, en principe, libre d’en parler hors des heures de travail, à moins d’une clause sur le sujet dans un contrat d’emploi (et même ces clauses peuvent être invalides dans certains cas, adressez-vous à un avocat pour en savoir plus).

La partie patronale ne peut que se réjouir de l’incompréhension et du tabou qui persistent entre ses employés… et peut-être subtilement travailler à les renforcer quand il le peut.

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Alors, parlez-en, de votre salaire. En plus de participer à briser le tabou, vous encouragez les autres, et éventuellement la société au complet, à s’en défaire aussi. En étant capables de négocier d’égal à égal nos salaires et conditions avec nos employeurs en partageant une information plus symétrique et juste, on ne peut que s’être gagnant.e.s. Et si vous ne savez pas comment aborder le sujet avec vos collègues, vous pouvez subtilement leur partager cette chronique – Quatre95 appréciera sûrement le référencement!

Et, dans l’esprit de briser le tabou, permettez-moi de montrer l’exemple. Pour cette chronique, Quatre95 me payera (ou du moins je l’espère!) la respectable somme de 150$.