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Les Rabat-Joies: plaidoyer pour une cour plus stylée
Il y a dans la vie des endroits solennels, où règne une ambiance qui mêle le majestueux et le poids des traditions. Le genre d’endroit où ce n’est peut-être pas le bon moment d’essayer quelque chose de nouveau ou d’inusité, parce que ça serait vu comme un manque de respect et de sérieux.
La cour et le palais de justice font assurément partie de ce genre d’endroits. Si on doit s’y présenter, c’est rarement pour quelque chose de gai et positif. C’est pourquoi on a tendance à s’y habiller de manière sobre, voire conventionnelle, afin de ne pas trop détonner, de peur de s’attirer la foudre du ou de la juge, ou un manque d’empathie de la part du jury.
Mais au Saguenay-Lac-Saint-Jean, un groupe de jeunes entrepreneures ont à coeur de briser ces codes et de laisser briller la personnalité des avocat.e.s, juristes et juges. Avec Les Rabat-Joies, Romane Le Gallou, Loriane Richard et Raphaël Côté fabriquent des cols et rabats pour des professionnel.le.s du monde juridique, sur mesure
Merci, grand-maman!
L’aventure a commencé lorsque Nicole, la grand-mère de Loriane, a décidé de lui confectionner un rabat sur mesure à l’occasion de son assermentation. Intriguées par ce nouvel accessoire, les camarades de classe de Loriane lui ont posé des questions et lui ont dit qu’elles aimeraient aussi en avoir un.
En 2017, alors qu’elle s’apprêtait à se marier, la nouvelle avocate a eu l’idée de vendre quelques rabats pour aider à financer son mariage de rêve. Elle a donc fait appel à sa complice de longue date et ancienne coloc de dortoir, Romane Le Gallou.
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« Nicole a décidé de lui offrir, comme cadeau de mariage, de faire la confection de rabats. Et comme j’étais sa dame d’honneur, mon cadeau était de l’aider là-dedans », explique Romane, qui terminait à l’époque son MBA. « On a fait ça pendant trois mois, et après le mariage, on a mis ça sur pause. On avait toutes des emplois, et Nicole était rendue fatiguée! »
«les codes vestimentaires dans le milieu juridique n’étaient pas adaptés pour les femmes, vu que la toge elle-même est conçue pour que l’on voie la cravate de l’homme.»
C’est un an plus tard, alors qu’elle rentrait au Saguenay avec son copain qui venait reprendre les rênes de l’entreprise de sa famille – se spécialisant par hasard dans le textile – que Romane a eu l’idée de pousser le concept des Rabat-Joies jusqu’au bout. « J’ai toujours eu la fibre entrepreneuriale bien développée, donc quand j’ai réalisé qu’on avait tout ce que ça nous prenait, on s’est associé avec Loriane et Raphaël, parce qu’on était complémentaires, raconte Romane. On faisait ça les soirs et les fins de semaine, et on a fini par engager une couturière à temps plein. Très vite, la cadence a commencé à augmenter. »
Romane a donc quitté son emploi dans la fonction publique pour se consacrer à temps plein à la compagnie. De son côté, Loriane, l’instigatrice du projet, a décidé de se concentrer sur son emploi d’avocate. Elle s’apprête à vendre ses parts à ses deux associé.e.s dans les prochains mois.
Briser des codes
Dans les salles d’audience des pays qui pratiquent le Common Law, les juges et les avocat.e.s portent un uniforme, soit la toge et le rabat, pour en quelque sorte mettre tout le monde sur le même pied d’égalité. Les deux seules règles sont que la toge doit être noire, et le rabat, blanc.
Utiliser un rabat comme accessoire ou marqueur de personnalité est assez récent, m’explique Romane. C’est la défunte ancienne juge à la Cour suprême américaine Ruth Bader Ginsburg qui a popularisé des styles de rabats différents pour les femmes dans le milieu. « Un jour, elle est arrivée avec un rabat super féminin, en expliquant que les codes vestimentaires dans le milieu juridique n’étaient pas adaptés pour les femmes, vu que la toge elle-même est conçue pour que l’on voie la cravate de l’homme », relate Romane.
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Mais, comme le rappelle l’entrepreneure, tout dépend du ou de la juge. Si cette personne considère que votre habit est trop flamboyant, ou qu’elle décide que la couleur de votre rouge à lèvres ne lui plait pas, elle peut suspendre l’audience et vous renvoyer chez vous pour vous changer. Mais le rabat reste obligatoire, donc autant se l’approprier!
On compte environ 15 000 avocat.e.s au Québec, le double en Ontario, mais près de 170 000 en France!
« On a travaillé sur la symbolique du rabat, notamment en s’associant avec des universités, explique Romane. Pour les photos de finissants, par exemple, on finance les activités de tous les finissants en droit au Québec. On leur vend le rabat, on brode à l’intérieur leur année de graduation, ils prennent leurs photos avec et peuvent ensuite le faire encadrer ou le garder pour leur assermentation. »
En trois ans d’opération et de confection de rabats uniques, personnalisés et fantaisistes, Romane révèle qu’aucun.e avocat.e ou juriste ne s’est encore fait sortir de la salle par un.e juge pour un rabat trop criard. « Les gens nous disent que ça leur donne confiance! »
Une expansion internationale
Selon Romane, les avocat.e.s au Québec sont un peu plus extravagant.e.s que leurs homologues ailleurs dans le monde. Mais, à force de remarquer les rabats bespoke de leurs collègues d’ici, d’autres avocat.e.s canadien.ne.s se sont mis à commander des produits de la compagnie. Depuis, Les Rabat-Joies se met en mode expansion.
L’an dernier, l’entreprise s’est mise à recevoir des commandes de juristes en France. Avec les médias sociaux, et vu l’absence de barrière de langue, la compagnie s’est mise à expédier dans l’Hexagone des rabats stylés, qui se font remarquer dans le système juridique napoléonique et morne du pays.
Les Rabat-Joies vend également toutes sortes d’accessoires, comme des rabats pour chiens, des objets de papèterie, et même des Barbie avocates!
L’été dernier, Le Gallou s’est rendue à Paris pour visiter des clientes, des boutiques et de possibles partenaires. « Pour le moment, ce qui nous freine, c’est l’expédition, indique-t-elle. Ça nous coûte super cher de faire acheminer des choses vers la France. Mais je ne dirai jamais non à des commandes, parce que c’est un méchant gros marché! » Comme elle le souligne, on compte environ 15 000 avocat.e.s au Québec, le double en Ontario, mais près de 170 000 en France!
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Et c’est Romane elle-même qui dirige cette expansion, étant actuellement propriétaire de l’entreprise à 80 %. C’est aussi elle qui dessine et conçoit les rabats, mais elle avoue qu’elle ne sait toujours pas coudre. Elle doit donc compter sur une équipe de couturières. « Elles me disent toujours que je leur demande du Dom Pérignon, mais dans un délai de 7UP! » dit la directrice en riant.
En plus des rabats, l’entreprise saguenéenne s’est aussi lancée dans la confection de toges, qui ne sont pour l’instant disponibles que pour leurs meilleures clientes, toutes faites sur mesure.
« La loi dit simplement que la toge doit être noire, mais ne dit rien sur l’intérieur de la toge, explique Romane. Donc on peut en faire de toutes les couleurs, avec des motifs. On fait un parallèle avec la lingerie, donc dans la doublure de soie pure, tu peux mettre un motif léopard, ça peut être rose flash ou peu importe, pour que ta toge te ressemble. L’extérieur peut aussi être personnalisé, avec des accents noirs sur noir. » Les Rabat-Joies vend également toutes sortes d’accessoires, comme des rabats pour chiens, des objets de papèterie, et même des Barbie avocates!
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« De manière réaliste, il faut que je fasse grandir l’entreprise avec une croissance soutenue, pour être capable de répondre à la demande, dit Romane. Donc si je veux rajouter une province dans mon marché, il faut quasiment que je triple la production. Mais je suis une visionnaire, j’ai des idées de grandeur, donc je trouverais ça super trippant. Le Canada anglais, c’est vraiment ma priorité pour 2022. »
Et pour ceux et celles qui se posent la question, ne vous inquiétez pas, grand-maman Nicole est toujours dans les parages pour épauler les cofondateurs dans leur entreprise!