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Les propriétaires sont-ils de mauvaises personnes?

Quand on fait le plus gros achat de notre vie, nos belles valeurs prennent un peu le bord.

Par
Lucie Piqueur
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Tout.e locataire, ou presque, semble avoir déjà eu de mauvaises expériences avec des propriétaires absent.e.s, radin.e.s, indifférent.e.s ou cruel.le.s… On dirait que ces derniers et dernières partagent leur temps entre des rénovictions sauvages et des augmentations abusives de loyer, quand ils ne collectionnent pas les locataires comme si c’étaient des actions à la Bourse.

Puis, loin des investisseurs immobiliers et des investisseuses immobilières diaboliques, il y a les autres sortes de proprios : les personnes chanceuses qui ont réussi à mettre assez d’argent de côté pour réaliser leurs rêves, les familles qui s’endettent pour s’installer en banlieue, les petits vieux et les petites vieilles qui espèrent se mettre à l’abri financièrement pour leur retraite… Ces honnêtes gens, il y a des chances que ce soit eux que vous croisiez dans les regroupements opposés à la création d’un refuge pour sans-abris ou d’une piste cyclable dans leur quartier.

Est-ce que devenir propriétaire fait ressortir le pire de nous-mêmes?

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Coudonc, est-ce qu’il y a une échelle de valeur morale : plus tu es proprio, moins tu es gentil.le? Et est-ce que moi, si je réussis à réunir la mise de fonds pour m’acheter un condo, je vais me métamorphoser en Cruella?

Évidemment, tout n’est pas aussi noir et blanc (t’a pognes-tu?). Mais dans un contexte de crise du logement, ça vaut la peine de se poser la question : est-ce que devenir propriétaire fait ressortir le pire de nous-mêmes?

« Pas dans ma cour »

Tout a commencé quand on a vu passer cet article de Vox sur la « moralité » des propriétaires américain.e.s. Il postule que si s’acheter une maison nous met en sécurité et nous ancre dans notre communauté, la pression de mettre les principales économies de notre foyer dans un seul bien nous pousse à devenir égoïstes et territoriaux.

Prise de conscience chez URBANIA : les propriétaires de la gang plaident (presque) tou.te.s coupables. Et ce n’est pas un phénomène exclusif à nos bureaux.

François, qui s’est acheté une maison en Estrie avec sa blonde il y a pas trop longtemps, estime que pour devenir propriétaire dans le contexte actuel, il faut à la fois avoir de la détermination, de la chance et du courage.

«J’ai davantage un sentiment de “me, myself and I” que lorsque j’étais en appart, vu que ça m’appartient.»

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« Mais c’est un projet très égocentrique, avoue-t-il. Je réalise que maintenant que je suis proprio, j’ai besoin de “protéger” mon bien. Mon voisinage est ben correct, mais par exemple, ça me gosse quand un de mes voisins fait du bruit avec son quatre roues ou que des autos passent trop vite sur le chemin en face de chez nous. J’aimerais que ce petit havre de paix soit exclusivement pour ma blonde et moi quand on est là. En gros : j’ai davantage un sentiment de “me, myself and I” que lorsque j’étais en appart, vu que ça m’appartient. »

En espérant que le quartier s’améliore

Notre plan de vie est basé sur le fait que ce bien-là va prendre de la valeur. Mais dans l’immobilier, la valeur est en grande partie subjective.

Nina a acheté un logement dans un quartier de Montréal qu’elle connaissait peu, Saint-Michel. « Ce n’est ni un quartier très vivant ni très glamour, mais c’est vraiment le seul endroit où je pouvais me payer quelque chose avec mes critères. Maintenant que je connais mon voisinage, j’adore mon quartier, mais j’avoue qu’au fond de moi, en achetant, j’ai croisé les doigts pour qu’il “s’améliore” avec le temps. »

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Pas le choix. Les prix flambent et l’avenir est incertain. Et si la COVID-22 dévastait à nouveau tous nos plans de carrière? Et si on vivait jusqu’à 125 ans? Et si on perdait nos emplois à cause des robots? Ceux et celles qui le peuvent investissent tout ce qu’ils ont dans ce coussin financier qui les sauvera en cas de pépin. Pas question, donc, que celui-ci perde de la valeur.

«Ce sont des sentiments confrontants.»

« Je ne suis absolument pas du genre à aller me plaindre au conseil d’arrondissement que la rue est sale ou à appeler la police parce que je ne sais pas ce que les gens magouillent la nuit dans la ruelle en arrière de chez nous, raconte Nina. N’empêche, si je vois qu’une petite famille tranquille a acheté dans ma rue, qu’elle va sortir ses poubelles le bon jour et mettre des fleurs sur son balcon, ça me fait plaisir. Je sais aussi que ça contribue à l’embourgeoisement du quartier. Ce sont des sentiments confrontants. »

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La poule ou l’œuf?

Carmen a acheté un condo dans Rosemont en 2017. Quand je lui demande si elle s’inquiéterait qu’un site d’injection supervisé s’installe au coin de sa rue, elle fait quand même valoir un bon point. « Ben oui, ce sont des lieux qui doivent exister, mais ça m’inquiéterait forcément que ce soit mon voisin. Cela dit, ça m’inquiéterait aussi si j’étais locataire. »

Considérant avoir fait son achat plutôt pour le confort que pour l’investissement, elle remarque que les copropriétaires de son bloc ont une obsession un peu malsaine de protéger le bloc.

« Il y en a qui sont contrôlants. Ils sont obsédés par le moindre changement qui pourrait faire, selon eux, baisser la valeur de leur propriété. Mais ce sont les mêmes qui ne veulent pas mettre une cenne sur des rénovations, et qui louent sur Airbnb alors que c’est interdit sur l’entente de copropriété. » Avec Carmen, on se dit que dans ce cas, ce n’est peut-être pas la propriété qui a rendu ces gens imbuvables.

Le fait de payer des taxes ne devrait pas leur donner droit de vie ou de mort sur des projets sociaux qui pourraient profiter au quartier.

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Ce qui nous amène à cette conclusion : non, la propriété ne rend pas automatiquement mauvais.e. Mais en devenant propriétaire, il faut se rendre compte que ce privilège est réservé en grande partie à des gens d’une certaine classe sociale, qui profitent souvent du transfert intergénérationnel de la richesse.

Les propriétaires ne sont pas représentatifs et représentatives de la population générale (de moins en moins, en fait, vu comme les prix montent), et le fait de payer des taxes ne devrait pas leur donner droit de vie ou de mort sur des projets sociaux qui pourraient profiter au quartier (et auxquels, par ailleurs, ils et elles ne seraient pas forcément opposés si ça n’affectait pas la valeur de leur maison).

Bref, jeunes propriétaires, ça vaut la peine d’examiner votre conscience honnêtement. Vous impliquer dans votre communauté parce que la propriété vous donne un sentiment d’appartenance encore plus grand : c’est oui! Devenir Cruella parce que vous voulez que tout votre quartier soit identique à vous et au service de votre confort : c’est non.

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Réfléchir avant d’aller militer contre un refuge pour les sans-abris ou une piste cyclable, c’est déjà devenir un.e propriétaire (et une personne) un peu meilleur.e.