Dans le premier article de cette série sur le privilège de la beauté, on a décortiqué les différentes théories qui expliquent pourquoi on est attiré par les belles personnes – nonobstant leurs valeurs, leurs qualités véritables et/ou leur cœur de pierre de maudites égoïstes.
Je ne vous mentirai pas, ce n’est pas l’article qui nous révélait collectivement sous notre meilleur jour!
Pourtant, je gardais le pire pour aujourd’hui… Notre discrimination positive envers les personnes attrayantes commence dès l’enfance. Vous avez bien lu : on juge les enfants laids.
En fait, des recherches avancent qu’adultes comme plus jeunes ont tendance à préférer interagir avec les beaux bambins. On les croirait plus intelligents, socialement compétents et agréables que les autres (qu’on juge pour leur part plus facilement déplaisants et malhonnêtes).
En général, les jolis kids recevraient ainsi plus de sourires et d’affection physique.
Plus grave encore, la journaliste Vanessa Destiné relevait dans cet article de Tabloïd qu’on éprouve moins d’empathie envers les enfants disparus qui ne correspondent pas à notre définition de la beauté. Certains sont donc moins recherchés par le public que d’autres…
Or, même sans drame particulier, le privilège de la beauté arrive à s’immiscer dans le quotidien des jeunes. Pour preuve, les profs seraient inconsciemment plus clément(e)s avec les élèves mignons!
Doit-on s’inquiéter pour l’estime de nos héritier.ère.s? J’ai demandé à des professionnelles œuvrant auprès d’enfants de se confesser sous le couvert de l’anonymat…
La note de passage variable
« J’ai réalisé que je suis plus clémente avec les enfants que je considère cute, que ce soit au moment de leur donner la note de passage ou quand ils dérangent. Je m’haïs quand je m’en rends compte, parce que je ne trouve pas ça fair! Je travaille à arrêter ça, mais quand la fatigue est là et que l’inconscient prend le dessus, c’est plus fort que moi. »
– Une prof de sports et d’arts
Ce que décrit cette femme est un phénomène que toute personne capable d’introspection saura reconnaître. Comme l’explique le psychologue Pierre Faubert, qui se penche sur le sujet depuis plusieurs années : « La beauté, ce n’est pas une question intellectuelle. On peut l’étudier scientifiquement et déterminer qu’une certaine structure du visage suscite une attraction, mais ce que la beauté fait, ce n’est pas rationnel! Elle engendre une émotion… »
Quand je lui soumets le cas de cette coach qui s’en veut de créer certaines injustices, le psychologue se montre compréhensif : « Ce qui arrive, c’est que l’émotion de la beauté vient affecter le jugement – et dans tous les sens, puisqu’ici, la note attribuée à l’élève est elle-même un jugement! Cette émotion entre en conflit avec notre volonté de justice, qui relève pour sa part des valeurs.
Il faut comprendre que chacune des émotions qu’on ressent nous envoie un message.
Quand je vois un beau visage et que j’arrive à décoder le message envoyé, je suis un peu plus en mesure de réagir consciemment en fonction de mes valeurs. Si je n’arrive pas à décoder le message, je suis alors à la merci de mon émotion. »
Il poursuit en nous enlevant une pas pire couche de culpabilité : « On ne gère pas nos émotions, mais on peut gérer notre comportement. Si quelqu’un m’affecte, il m’affecte et c’est tout! C’est ce que je fais de ma réaction qui va déterminer la suite. »
Lui, une chance qu’il est cute!
« Un enfant avec les cheveux sales et de l’eau dans la cave, on va l’aimer pareil. Mais un enfant bien habillé, propre et dont les parents sont gentils, on dirait qu’on a envie d’en faire encore plus pour lui parce qu’on sait que notre travail va être reconnu. »
– Une enseignante avec 15 ans de carrière
« C’est clair qu’on est plus patients et qu’on en laisse passer davantage avec les enfants qu’on trouve mignons. On est plus portés à aller vers eux et à les aider aussi, mais c’est surtout en début d’année qu’on fait ça. On a une “inclinaison” plus prononcée pour ceux qui sortent du lot avec un regard ravageur ou un sourire désarmant. J’ai souvent dû me regarder travailler de l’extérieur et recadrer mon analyse… Me demander si j’étais juste dans mes interventions. Avec les semaines qui avancent, on arrive facilement à voir le beau dans les autres et à s’attacher aussi à eux. »
« Par ailleurs, quand on est entre collègues, on parle des enfants et les mots “cute” ou “mignon” reviennent souvent, surtout pour les tous petits. »
« Avant même l’arrivée de l’enfant dans la classe de l’année suivante, sa beauté l’aura précédé et lui aura donc pavé le chemin. »
– Une femme avec 12 ans de carrière auprès d’enfants
« Une de mes collègues disait sans se cacher qui étaient ses chouchous. Ils n’étaient pas des leaders positifs, des enfants plus serviables que les autres, plus créatifs ou plus empathiques. La caractéristique qui sautait aux yeux, c’était qu’ils étaient beaux. Je pense que j’avais ce même réflexe, en début d’été. Sans les connaître, j’en voyais et je me disais : Ohhh j’espère que celui-là va venir vers moi. Toutefois, j’avais cette règle : ne rien forcer, laisser les affinités surpasser les premières impressions. Et puis, quand je repense à ces étés et aux relations significatives que j’ai eues avec des jeunes, je constate que ce ne sont pas les plus beaux qui ont besoin de se lier aux adultes. Ce sont les plus timides, marginaux, anxieux, etc. Il faut se raisonner, remettre en question ce réflexe. C’est fou quand même. »
– Une monitrice de camp d’été
Quand je lui rapporte ces paroles, le psychologue Pierre Faubert ne se montre pas du tout surpris. « La beauté a un impact sur notre désir de relation », me répond-il.
Je veux bien, mais quand on en parle ouvertement entre collègues, est-ce qu’on ne normalise pas une certaine forme d’injustice? N’est-on pas collectivement en train d’assumer nos biais, plutôt que d’essayer de les contrer?
« L’injustice vient du comportement, nuance-t-il. Si je donne davantage de bonbons à l’enfant le plus beau, c’est un comportement injuste. Mais si je souligne la beauté d’un enfant en particulier, c’est juste normal. On parle toujours de ce qui nous affecte et on aime particulièrement parler de la beauté! »
Notons cependant que d’après le psychologue, ce n’est jamais une bonne idée de verbaliser la chose devant les enfants, ce qui en dévaloriserait certainement quelques-uns. Jaser entre adultes, c’est une chose. Nuire à l’estime de bambins en disant lesquels on trouve beaux et lesquels on trouve laids, ç’en est une autre.
Quand le petit canard devient cygne
« On n’est pas pareilles avec des “beaux” bébés. On est plus maternelles, moins cliniques. On blague souvent qu’on va les mesurer et les mettre dans notre sacoche, s’ils y rentrent ! Je crois même qu’on pourrait parler de leur tempérament différemment… Mais on ne s’extasie pas toujours sur les mêmes bébés, entre collègues. »
– Une éducatrice
La beauté relève d’une appréciation subjective, me rappelle Pierre Faubert, quand je lui fais part de ce témoignage. C’est clair, mais il reste que des enfants répondant à des stéréotypes prisés jouissent de plus de reconnaissance et de compliments. Quel effet ça peut avoir sur les autres? Ceux qui sont témoins de cette tendresse sans y accéder?
Le psychologue se fait rassurant : « Quelqu’un peut se faire dire qu’il est moins beau qu’un autre et en rester marqué. Par contre, en thérapie j’ai vu des personnes qui ne correspondaient pas aux standards de beauté et qui sont malgré tout devenues “belles”. Pas à cause d’une transformation physique, mais parce qu’elles étaient aimées. On ne reconnaît pas assez comment l’amour fait en sorte que les gens se sentent beaux et en viennent à rayonner d’une beauté qui n’est pas purement esthétique, mais qui provient d’une joie. »
« Il y a une lumière générée par le fait de se sentir quelqu’un, de se savoir important. »
Et cette importance peut être découverte dès l’école, comme le démontre ce dernier témoignage…
« À vrai dire, je n’ai pas souvenir d’avoir trouvé un de mes enfants laid. Je crois que c’est parce qu’ils ont tous du beau en dedans. On arrive à créer quelque chose entre nous de bien plus grand que des caractéristiques physiques. »
– Une femme qui a été éducatrice, enseignante et directrice
Alors, si je résume : à go, on se pardonne pour nos préjugés, on ajuste notre comportement à nos valeurs plutôt qu’à notre inconscient et on donne du doux aux enfants sans égard pour leur look ?
Go, d’abord.