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Les pères aussi peuvent faire une dépression post-partum

Le spleen des papas est parfois bien réel.

Par
Alexia Boyer
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« C’est normal que ça nous chamboule, au début. C’est quand ça reste qu’on peut parler de dépression post-partum », explique la psychologue spécialisée en santé mentale parentale Lory Zéphyr. L’expression « dépression post-partum » désigne une dépression majeure déclenchée par la naissance d’un enfant. Si elle est moins taboue chez les mères depuis quelques années, elle reste encore très méconnue chez leurs conjoints. Pourtant, environ 9 % des pères en souffriraient.

Une période douce-amère

« J’ai senti, dès qu’il est né, que quelque chose avait basculé », témoigne Philippe*, père d’un bambin de trois ans. Le membre du groupe Loco Locass, Biz, quant à lui, ne se souvient pas vraiment du moment où il a commencé à sombrer tant ses souvenirs sont brumeux. Devenu père en 2006, il a pris un long congé de paternité, qu’il a entièrement passé dans son lit.

« Un bébé naissant dort 16 heures par jour. Un dépressif aussi », témoigne-t-il.

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Philippe n’a pas connu de forme aussi sévère, mais révèle avoir traversé « une phase très sombre ». « Tout ce que j’aimais avait perdu sa saveur », raconte-t-il, maintenant « qu’un bon bout de chemin a été parcouru. »

*Prénom fictif.

Philippe et Biz témoignent, toutefois, tous les deux de l’amour « inconditionnel » qu’ils ont ressenti dès la naissance de leurs bébés. « J’ai toujours été animé par la volonté de bien faire pour mon fils, quel que soit mon état émotionnel », ajoute Philippe.

Choc et solitude

Selon Lory Zéphyr, il y aurait plusieurs causes à la dépression post-partum chez les pères, comme le changement brutal de mode de vie imposé par l’arrivée d’un nouveau-né. Biz, par exemple, a vécu le choc de quitter une vie « d’adolescent attardé » parsemée de concerts, de tournées et de fêtes. Comme Philippe, il témoigne d’une perte d’identité liée à l’interruption de ses activités habituelles. « Je pensais naïvement pouvoir composer avec l’ancien et le nouveau moi », explique le jeune papa, qui a beaucoup souffert de ne plus arriver à conjuguer « les différentes facettes de [s]on existence. »

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Plusieurs autres facteurs peuvent également entrer en jeu dans l’apparition de la dépression post-partum chez les pères : des antécédents de dépression, un bébé qui pleure beaucoup, des problèmes médicaux chez la mère, ou le manque de soutien et d’accompagnement s’adressant spécifiquement aux pères.

« Lorsque l’accouchement a été traumatique, on ne demande pas aux pères comment ils ont vécu le fait de voir la souffrance de leur conjointe », explique Lory Zéphyr.

Philippe a, en effet, sollicité le personnel soignant de l’hôpital, qui a répondu ne disposer d’aucune ressource pour lui. Par la suite, il n’a pas eu l’occasion d’évoquer son mal-être avec des professionnels de la santé.

Du fait des restrictions sanitaires en place à la naissance de leur fils, au début de l’année 2021, Philippe et sa conjointe se sont retrouvés totalement isolés dès leur retour de l’hôpital. Or, Lory Zéphyr explique « qu’être entouré constitue un facteur de protection de la santé mentale. » La psychologue ajoute que la fusion entre la mère et l’enfant, en particulier s’il est allaité, peut créer un sentiment d’exclusion pour le père.

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Enfin, le manque d’information crée une solitude supplémentaire. « Je pense que si j’avais lu des témoignages de gens comme moi, j’aurais traversé ça plus facilement », affirme Philippe. C’est d’ailleurs dans le but d’aider ceux qui pourraient rencontrer les mêmes difficultés qu’il a accepté de témoigner pour cet article.

Retrouver l’équilibre

À peu près un an après la naissance de son fils, Biz « ne se souvenai[t] plus du son de son propre rire », et a fini par consulter son médecin sous la menace de sa conjointe. Philippe a sollicité une aide psychologique le jour où il a fait une crise de panique dans l’autobus qui le conduisait au travail, neuf mois après la naissance de son fils.

Grâce à une prise en charge adaptée et à beaucoup de patience, les deux papas se sont tirés d’affaire. « Ça va mieux, car j’ai retrouvé un équilibre dans les différents niveaux de ma vie », explique Philippe dont la vie sociale est de nouveau satisfaisante. Pour Biz, l’écriture de son roman Dérives a apporté la réponse à ses questionnements. « Écrire m’a évité une psychanalyse, ça a été salvateur », se souvient-il, quinze ans plus tard.

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*Cet article relate les cas de couples hétérosexuels, notamment car les familles homoparentales semblent moins touchées par le phénomène, selon Lory Zéphyr.