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Les jeunes et le confinement, un terrain propice pour la dépendance aux jeux de hasard?

Et que dire de certains jeux vidéo qui commencent à ressembler à de la loterie vidéo?

Par
Billy Eff
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La dernière année a été particulièrement éprouvante pour pas mal tout le monde. L’incertitude financière, la complexité de naviguer des règles sanitaires sans cesse changeantes… Ça pousse un nombre important d’entre nous vers des habitudes qui peuvent devenir un peu moins saines, comme une augmentation de la consommation d’alcool ou de cannabis.

Mais qu’en est-il du jeu? Avec les casinos et les bars à machines de loterie vidéo fermés, et plusieurs événements sportifs annulés, on pourrait s’imaginer que les occasions de s’adonner au gambling seraient limitées.

Pourtant, plusieurs experts partout dans le monde s’inquiètent de la place que prend le jeu dans nos vies confinées, et particulièrement chez les jeunes. Dans un sondage mené en 2019 au Royaume-Uni, 11% des répondants âgés de11 à 16 ans rapportaient avoir dépensé dans des activités de jeux d’argent dans les 7 jours précédents, et 36% dans les douze mois précédents. Ces proportions sont moins importantes que celles du gambling chez les adultes, mais ces statistiques soulèvent des questions.

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La prévention, clé du succès

« À l’école, même dès le primaire, on apprend aux enfants que certains comportements sont à éviter. On leur enseigne les risques liés à l’alcool, la drogue, la sexualité ou encore la conduite avec facultés affaiblies. Mais on ne parle jamais du jeu », constate le Dr Jeffrey Derevensky. Depuis bientôt 30 ans, il se penche sur la question des problèmes de dépendance aux jeux d’argent chez les jeunes. Il est également codirecteur du Centre international d’études sur le jeu et les comportements à risque chez les jeunes de l’Université McGill.

« Ce qu’on observe depuis quelque temps, c’est un intérêt grandissant pour le gambling, surtout chez les jeunes. En particulier les garçons, qui sont plus enclins à adopter des comportements à haut risque. »

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En tant que pédopsychiatre, il s’intéresse depuis 1992 aux comportements à risque chez les jeunes. Et il a remarqué une hausse de la prévalence des cas de problèmes de jeu. Avec son équipe d’experts, il aide des gouvernements et des associations partout dans le monde à mettre en place des systèmes législatifs pour encadrer les jeux de loterie.

Internet, le nouveau casino

« Aujourd’hui, on peut parier et jouer à des jeux d’argent avec un minimum d’effort. À partir de son téléphone intelligent, de sa tablette », dit le Dr Derevensky, en soulignant qu’auparavant, les moins de 18 ans avaient plutôt tendance à se procurer des billets de loterie à gratter, ou à se faufiler dans des bars à machine à sous. « Ce qu’on observe depuis quelque temps, c’est un intérêt grandissant pour le gambling, surtout chez les jeunes. En particulier les garçons, qui sont plus enclins à adopter des comportements à haut risque. »

L’une des choses qui posent particulièrement problème aujourd’hui, c’est que la technologie et les médias sociaux ont réussi à brouiller les lignes entre un jeu «normal» et un jeu d’argent. L’internet déborde d’histoires où petits comme grands ont dépensé des sommes astronomiques sur des jeux mobiles sans même le savoir.

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Quand est-ce que ça devient un problème?

« Ce qu’on constate chez les jeunes qui ont un problème de jeu, c’est qu’ils n’ont pas facilement accès à de l’argent. La plupart d’entre eux ne travaillent pas et sont encore aux études. Donc ils vendent certaines de leurs possessions, ou ils se mettent à voler de l’argent à leurs parents », me confie le Dr Derevensky. « Mais on a aussi vu des jeunes qui ont forgé de faux chèques, ont commis de la fraude de carte de crédit pour jouer en ligne, ou encore qui ont tenté de revendre de la marchandise volée à l’étalage. » Il m’apprend aussi que des preneurs de paris peu scrupuleux offrent des lignes de crédit à leurs clients de moins de 18 ans.

Rien pour étonner ceux d’entre nous qui connaissent des adultes qui ont un problème de jeu. Par contre, les jeunes n’ont pas les mêmes perspectives, ou le même filet social. Par exemple, si un adulte fait un bon coup d’argent, il y a un moment où il retirera sa mise et s’achètera quelque chose pour célébrer. Les jeunes, eux, ont tendance à laisser leurs gains (souvent moins importants) dans le jeu, ce qui conduit à des comportements qui mènent à une dépendance. De plus, m’explique le Dr Derevensky, « plusieurs jeunes se disent qu’ils arrêteront une fois qu’ils auront recouvert leur mise initiale, ce que l’on appelle dans le jargon psychologique ‘chasser ses pertes’ ».

« Pour le cerveau, rien n’est plus attrayant et, chez certaines personnes, plus susceptible de créer une dépendance, qu’une récompense intermittente. »

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Une autre grande différence entre les problèmes de jeu chez un enfant et un adulte est le sens des responsabilités. « Un adulte peut arriver et dire, ‘J’ai perdu ma femme, mes enfants, mon emploi et mes épargnes. Je fais une dépression’. Mais un jeune se dit : ‘Je n’ai pas d’enfants ni de travail. Je n’ai même pas une blonde!’ », fait remarquer l’expert. « Un autre des grands facteurs de risque pour les adultes qui ont un problème de jeu est l’âge auquel ils ont commencé. Et nos études prouvent, comme beaucoup d’autres études, que la plupart des gens qui ont une dépendance au jeu ont commencé à gambler lorsqu’ils étaient assez jeunes, autour de 9 ou 10 ans. »

Des machines à sous dans les jeux pour enfants

Un phénomène plutôt récent dans les jeux vidéo inquiète particulièrement les experts: la présence grandissante du principe des coffres à butins, ou loot boxes. Ces boîtes virtuelles intégrées aux jeux vidéo lui permettent de débloquer de nouveaux personnages, de nouvelles habiletés ou encore des costumes exclusifs. Mais pour ça, il faut payer. Constamment mises de l’avant, et accompagnées d’indices visuels et sonores, elles s’apparentent drôlement à des jeux de loterie vidéo.

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« Les caractéristiques d’un coffre à butin sont similaires à celles d’une machine à sous », expliquait récemment à Radio-Canada Keith Whyte, le directeur du Conseil national américain sur le jeu problématique. « Pour le cerveau, rien n’est plus attrayant et, chez certaines personnes, plus susceptible de créer une dépendance, qu’une récompense intermittente. » Dans le même article, Radio-Canada explique que CBC a eu accès à des documents internes du géant des jeux vidéo Electronic Arts, dans lequel on y lit le désir de la compagnie de faire des coffres à butin la « pierre angulaire » du jeu FIFA 2021.

Le Dr Jeffrey Derevensky abonde également dans ce sens. Comme plusieurs, il estime que les coffres à butin sont une forme de jeu de hasard et d’argent, et ne devraient pas se retrouver dans des jeux vidéo destinés aux jeunes.

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Covid, confinement, et comorbidité

Il est encore trop tôt, selon le Dr Derevensky, pour déterminer l’étendue complète de l’impact de la crise sanitaire, des confinements, et du temps passé devant les écrans, exacerbé par l’école à distance, sur les jeunes et leur relation aux jeux d’argent et de chance.

Une étude menée auprès de 1500 Canadiens entre le 7 et 12 mai 2020 montre que près du quart des joueurs pensent qu’ils sont en train de développer un problème de jeu, et 35% estiment qu’ils dépensent trop sur les jeux d’argent.

Des données collectées par le docteur et ses collègues démontrent d’autre part que le gaming au sens large a connu une augmentation spectaculaire depuis le début du confinement, et que les problèmes de jeu chez les adultes sont aussi en forte hausse.

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« On n’a aucun problème à expliquer à nos enfants qu’ils ne devraient pas boire d’alcool avant d’atteindre un certain âge, et c’est la même chose pour le jeu. Notre centre n’est pas anti-gambling, nous prônons plutôt des habitudes de jeu modérées. Mais nous croyons que les jeunes ne devraient pas y participer, car ils n’ont pas le même contrôle sur leurs actions que les adultes. Leurs cerveaux ne sont pas encore prêts à en comprendre les conséquences », conclut le Dr Derevensky.