La superstition des vendredis 13, je ne l’avais pas vraiment jusqu’à vendredi dernier. Il s’en est passé des choses, dont l’annonce que les écoles fermeraient pour deux semaines.
En tant qu’étudiante-chercheuse, j’ai cru naïvement que cette nouvelle ne me concernait pas. Je passe la majorité de mon temps dans un laboratoire avec quelques collègues, sans jamais qu’on ait à se réunir dans des salles de cours, de vrais rats de laboratoires. J’ai des expériences en cours et il n’était pas question de les arrêter. Une expérience de laboratoire, c’est un peu comme une recette de cuisine que tu dois suivre à la lettre, mais la plupart du temps, elle dure des jours voire même des mois. Pour ma part, je dois mettre de côté une expérience que je répète et répète depuis beaucoup plus longtemps que je voudrais l’admettre. Le pire c’est qu’elle fonctionnait ENFIN.
Pu de masques N95
La suite de mon projet devra attendre. Notre université a décidé de nous tirer le tapis sous les pieds en désactivant toutes nos cartes d’accès. C’est essentiel de briser la chaîne de contamination du virus en limitant les contacts sociaux. Ils n’auraient pas pu mieux faire, car nous ne pouvons plus aller retrouver nos chères expériences. Nous sommes passionnés par nos recherches, mais la santé publique est bien plus importante.
Certaines recherches de mes collègues ont aussi été ralenties par la pénurie des fameux masques N95. Ces masques sont essentiels dans le cadre de certaines expériences avec des agents pathogènes transmissibles par voie aérienne. Nous avons tous croisé au moins une personne avec un masque dans un lieu public, mais est-ce que c’était vraiment nécessaire pour cette personne de le porter ? Le port d’un masque chirurgical comme ceux utilisés par les chirurgiens ne garantit pas une immunité contre le coronavirus, spécialement parce que les aérosols peuvent toujours pénétrer au travers. D’un autre côté, les masques N95 sont conçus pour empêcher 95 % des petites particules d’entrer par la bouche ou par le nez, mais ils ne sont pas efficaces s’ils ne sont pas ajustés spécifiquement pour une personne.
Bref, la chasse aux masques n’en vaut vraiment pas la peine. Il vaut mieux garder la bonne vieille méthode du savon et de l’eau pour bien se laver les mains. En plus, le savon est plus efficace que tout gel désinfectant pour briser l’enveloppe de lipides du coronavirus.
Pu de labo, que reste-t-il?
Maintenant que je ne peux plus mettre les pieds au laboratoire pour un petit moment, je suis forcée d’admettre l’impensable : je n’ai plus aucune raison de ne pas écrire ma thèse, voire même mon article scientifique que je reporte depuis un moment déjà. Une expérience n’attend pas l’autre et je ne trouve jamais le moment idéal pour m’asseoir devant mon ordinateur et rédiger ces fameux articles. À quoi bon découvrir quelque chose si on ne le partage pas avec nos collègues qui se retrouvent aux quatre coins du monde. On peut le faire en écrivant des articles scientifiques ou même en participant à des conférences. Avec les circonstances actuelles, la plupart de celles-ci ont été annulées, comme la conférence « How to survive a pandemic ? », c’est quand même très ironique n’est-ce pas ?
Microbiologiste sur Facebook
Et si on regardait la question à l’envers : comment mon doctorat affecte-t-il ma perception du COVID-19 ? J’ai la chance de pouvoir trier les informations que je vois dans les médias et de ne pas paniquer quand les journaux crient à l’apocalypse. Je sais tout de même qu’il ne serait pas sage d’acheter les billets d’avion au rabais que me proposent les revues à potin. Je ne suis pas une experte en virus, mais mes études doctorales en microbiologie me donnent quand même un peu plus de connaissance sur le sujet que la moyenne des gens. Je me sens donc dans l’obligation de corriger monsieur et madame Tout-le-Monde dans leurs publications, pratiquement comme si c’était mon devoir de le faire : une vraie justicière des réseaux sociaux. Je ne sais pas combien de fois j’ai répondu à quelqu’un en signant « d’une microbiologiste » dans les dernières semaines, dans l’espoir que cette attestation allait tout d’un coup les convaincre de la véracité de mes propos.
Notre but n’est pas de contredire tout le monde et de lancer des débats, mais seulement de leur fournir les bonnes informations pour qu’ils forgent leurs propres opinions, la première étape de tout bon raisonnement scientifique.
Mon collègue, lui aussi au doctorat, m’a écrit un jour pour me conseiller d’arrêter de perdre mon énergie en répondant aux messages, car « on ne peut pas éduquer tout le monde et on fait juste se fâcher ». Quelques jours plus tard, il publiait lui aussi un message pour contrer la désinformation sur le COVID-19, comme quoi c’est plus fort que nous… En même temps, notre formation de plus de 10 ans nous a appris à consulter des sources fiables avant de tirer des conclusions. Notre but n’est pas de contredire tout le monde et de lancer des débats, mais seulement de leur fournir les bonnes informations pour qu’ils forgent leurs propres opinions, la première étape de tout bon raisonnement scientifique.
Au bout du compte, nous, les étudiants-chercheurs, nous ne sommes vraiment pas à plaindre. La quarantaine nous donne l’opportunité de réorienter notre énergie vers d’autres tâches associées à nos études que nous laissons bien trop souvent de côté. Nous pouvons continuer (commencer oups) à rédiger notre thèse et à vous éclairer face à la marée d’informations que l’on reçoit sur le coronavirus tous les jours.
Bon, je devrais vraiment aller écrire ma thèse maintenant…