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Les études supérieures : une dépense ou un investissement?
Travaux, stages, recherche, nuits blanches et frais de scolarité : sachant qu’il faut au moins deux ans – et parfois plus – pour obtenir une maîtrise ou un doctorat, l’investissement en temps et en argent en vaut-il la chandelle?
On a posé la question à 5 diplômé.e.s des cycles supérieurs, pour qui l’obtention d’une maîtrise ou d’un doctorat n’était pas nécessaire pour pratiquer leur métier.
Pour les étudiant.e.s québécois.e.s inscrit.e.s à temps plein dans une université québécoise, il en coûte, en moyenne, entre 3 000 $ et 4 000 $ par année pour obtenir une maîtrise ou un doctorat.
Demeurer plus longtemps sur les bancs d’école suppose aussi qu’on repousse son entrée à temps plein sur le marché du travail. Pour certain.e.s, ce sacrifice en vaut la peine, comme les diplômes de deuxième ou de troisième cycle ouvrent la porte à des emplois mieux rémunérés et à des conditions de travail enviables. Pour d’autres, plutôt qu’une promesse de richesse et de pouvoir, ces études représentent avant tout un défi sur le plan intellectuel et personnel.
Pour avoir un meilleur salaire
En plus d’un baccalauréat en communication publique, Aude Brassard-Hallé détient une maîtrise en journalisme international. Après quelques années comme journaliste, elle fait le saut en communications et travaille depuis plusieurs années au ministère de la Justice à titre de conseillère en communications.
Employée par la fonction publique, ses années de scolarité supplémentaires ont été reconnues dans son traitement salarial (comme pour tous.tes les employé.e.s du gouvernement).
Son diplôme de 2e cycle a donc été plutôt rentable.
« À mon entrée au gouvernement, j’ai déjà obtenu quatre échelons [salariaux] pour mes études, en plus de mes années d’expérience de travail qui ont été reconnues, indique-t-elle. Avec ça, il y a eu la cotisation à mon régime de retraite qui a suivi. C’est un avantage énorme. »
Pour (essayer) d’avoir le poste de ses rêves
Ce n’est pas faute d’avoir essayé : avec sa maîtrise en santé environnementale et santé au travail, précédée d’un baccalauréat avec une majeure en physique et une mineure en sciences biologiques, Alexandre Joly aurait bien voulu travailler en santé publique ou dans le domaine de la santé et sécurité au travail.
Mais même s’il disposait des qualifications académiques requises pour les postes qui l’intéressaient, à savoir des emplois de coordination, de supervision ou d’inspecteur en santé et sécurité au travail, un obstacle se tenait toujours sur son chemin : l’obligation d’être membre d’un ordre professionnel, pour lequel ses études n’étaient pas reconnues.
« Souvent, il fallait être membre de l’Ordre des infirmières, du Collège des médecins ou de l’Ordre des ingénieurs, mais je n’avais pas étudié en soins infirmiers ni en génie », déplore celui qui a débuté, sans le compléter, un doctorat en épidémiologie.
« Alors quelqu’un qui sort du cégep avec sa technique en soins infirmiers pourrait obtenir un emploi pour lequel je serais autant sinon plus qualifié », renchérit-il, non sans une pointe d’amertume.
L’idée de retourner sur les bancs d’école « n’était pas une option » pour Alexandre qui, en fin de compte, n’a jamais travaillé dans son domaine, se tournant plutôt vers la gestion d’organismes à but non lucratif spécialisés en environnement. Des emplois qui le satisfont d’un point de vue professionnel, mais qui sont, et de loin, moins bien payés que ce à quoi il aspirait.
« Je me suis réorganisé, explique-t-il. […] Oui, il y a un coût associé à ça, et pour moi, les études supérieures n’ont pas été rentables. »
Pour se réorienter
Originaire du Lac-Saint-Jean, Mathieu Villeneuve s’est lancé dans un baccalauréat en sciences politiques d’abord par intérêt.
« Là d’où je viens, tout le monde travaille dans le bois ou en camionnage, alors on m’a dit d’aller à l’école, parce qu’on avait encore le réflexe de penser que plus on y allait longtemps, plus les perspectives d’emploi seraient intéressantes», raconte-t-il.
À mi-chemin de son parcours universitaire, il a toutefois réalisé que sa discipline chouchou ne lui offrirait que très peu de débouchés.
« J’avais aucune idée de ce que j’allais pouvoir faire avec [mon baccalauréat en sciences politiques] », lance celui qui a ensuite obtenu un certificat en économie.
Il s’est donc tourné vers une maîtrise en aménagement du territoire.
« En science politique, tu pellettes un peu des nuages et tu n’apprends pas réellement de métier, explique-t-il. Durant ma maîtrise, c’était plus près du terrain, relié à des enjeux précis. C’était très concret. »
C’est d’ailleurs ce diplôme qui lui a permis de décrocher un poste au ministère des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, où il gère des demandes d’aide financière pour des entreprises dans sa région natale.
Tout comme Aude, ses années d’études et les diplômes accumulés lui ont permis de débuter à un échelon salarial plus élevé.
Pour développer un réseau de contacts
Valéry Martin savait bien qu’elle n’aurait pas besoin d’une maîtrise pour gagner sa vie ; elle l’a surtout fait pour s’acclimater, alors qu’elle venait de s’établir à Sherbrooke.
C’était il y a une vingtaine d’années. Déjà détentrice d’un baccalauréat en communication publique et ayant des études en science politique, elle souhaitait surtout rencontrer des gens dans sa région d’adoption.
« Je m’en doutais déjà, à ce moment-là, que je n’étudiais pas pour avoir un titre : personne n’embauche quelqu’un pour sa maîtrise en communication », lance-t-elle.
Son premier emploi post-deuxième cycle n’avait d’ailleurs que très peu à voir avec son domaine d’études. Son emploi actuel, qu’elle occupe depuis 2011, est en communications. « Mais ça ne prenait qu’un bac, pas une maîtrise. »
Pour vivre autre chose
Flavie Bertrand a pour sa part entrepris – et complété – une maîtrise en géographie pour une tout autre raison : voyager.
« Avec mon diplôme, j’ai le titre de géographe. C’est une branche qui m’intéressait, mais ce n’est pas quelque chose que je voulais faire dans la vie à ce moment-là ni même aujourd’hui », témoigne-t-elle.
Ce retour aux études était surtout un prétexte, pour elle, de réaliser un rêve de longue date, à savoir vivre une année à l’étranger. « Je ne voulais pas partir comme ça, sans raison », relate Flavie.
« Alors, de faire ma maîtrise en géographie, avec une recherche sur le terrain, ça me donnait une excuse pour partir. »
Une excuse aux nombreux avantages, ajoute-t-elle. « En étant étudiante, j’avais de super bonnes assurances de l’université qui m’ont suivie à l’étranger, illustre Flavie. J’ai aussi pu faire suspendre mon adhésion à la RAMQ pendant un an sans problème parce que c’était pour un projet d’études. J’avais aussi une lettre de l’université qui confirmait que j’étais dans ce pays-là pour mes études, ça m’a facilité plein de démarches. »
Mais même si elle n’en retire aucun avantage dans sa vie professionnelle – hormis des honoraires de conférencière « une ou deux fois par année » – , Flavie ne regrette pas sa décision… même si elle a mis du temps à terminer son mémoire, une fois le voyage derrière elle!
le point de vue d’une recruteuse
Au final, les études supérieures en valent-elles toujours la peine? Avant de sonder Annie Boilard, spécialiste des ressources humaines et présidente de Réseau Annie RH, voici ce que des données de 2023 de Statistiques Canada révèlent.
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On observe donc un bond de 10 à 15 000 $ du revenu d’emploi médian entre les études inférieures au baccalauréat, le baccalauréat et la maîtrise, mais un bond de 20 000 $ entre la maîtrise et le doctorat.
« Le problème avec ces informations-là, c’est que tous les diplômes universitaires sont inclus dans la même catégorie, nuance toutefois Annie Boilard. On ne sait donc pas si, au-delà du bac, c’est réellement plus payant. »
La spécialiste recommande d’y réfléchir avant d’entreprendre des études de cycle supérieur. « Est-ce que je conseillerais à quelqu’un de faire un doctorat pour faire plus d’argent? Pas nécessairement. Par exemple, faire un doctorat en soins infirmiers, à part pour devenir enseignant.e, ça n’apportera pas grand-chose de plus, illustre Mme Boilard. Je crois que de faire des études supérieures, si ce n’est pas obligatoire pour pratiquer un métier, doit être davantage un choix personnel qu’on fait par intérêt, qu’un choix économique. »