Dans quelques jours, les Canadien.ne.s se rendront aux urnes pour des élections fédérales hautement décisives pour l’avenir du pays. En parallèle de cette campagne, le film Les Perdants de Jenny Cartwright, qui suit trois candidats aux élections provinciales de 2022 – tous sans réelle chance de se faire élire – remet en question un système électoral qui semble bénéficier aux élites. À travers leurs parcours, le film propose une réflexion sur l’état de notre démocratie et les failles d’un système électoral qui en favorise certain.e.s, au détriment des autres.
J’ai rencontré la réalisatrice pour discuter de la manière dont ces dynamiques façonnent notre participation politique. Parce que bien que le film s’intéresse au système électoral provincial, le documentaire résonne particulièrement en cette période électorale fédérale.
Jenny, est-ce que nos élu.e.s reflètent vraiment notre société?
Absolument pas. Les chefs de parti sont souvent millionnaires. Pierre-Karl Péladeau vaut 2,5 millions. Pauline Marois a vendu sa résidence pour 6,5 millions de dollars. Éric Duhaime a des actifs de 3,7 millions et Dominique Anglade, 12,5 millions.
En 2023, les ministres du gouvernement Legault possédaient en moyenne 1,6 million de dollars, en immobilier seulement.
Entre autres, France-Élaine Duranceau a acheté sa première maison sans hypothèque et ça lui a presque coûté 800 000 $.
Ces gens sont issus d’une classe sociale à part.
Est-ce que c’est juste une question d’argent?
Non. C’est aussi une question d’âge. À l’Assemblée nationale, la moyenne d’âge, c’est 51 ans et dans la population générale, c’est 42.
Il y a aussi une grande uniformité dans les domaines d’étude des gens à l’Assemblée nationale.
Par exemple, on compte beaucoup d’élus qui ont été formés en droit, en médecine, ou en gestion.
Je me demande souvent comment c’est possible qu’il n’y ait pas d’infirmières au ministère de la Santé. Si personne n’a déjà travaillé dans un hôpital (ou si c’est le cas, c’est comme médecin spécialiste), comment peuvent-ils gérer notre système de santé?
Bref, c’est très homogène : surtout des hommes blancs, aisés et assez âgés. Y a pas non plus d’autochtones à l’Assemblée nationale, ou de personnes handicapées. Je doute aussi qu’il y ait des gens issus de milieux défavorisés. Ça fait en sorte que tout le monde a la même expérience, le même vécu, le même point de vue.
Est-ce que les riches votent plus?
Ça dépend comment on le voit. C’est un peu la poule ou l’œuf : est-ce que les riches votent plus, ou est-ce que ce sont les pauvres qui votent moins? Une chose est certaine : pas besoin d’être marxiste-léniniste pour constater que le système favorise les riches.
On va toujours couper l’aide sociale avant de couper les subventions à Northvolt, par exemple. C’est facile, faire de la politique sur le dos des personnes marginalisées; jamais les politiciens ne s’attaqueraient aux minières ou aux pétrolières.
Dans ce contexte-là, il ne faut pas être surpris d’apprendre que quelque chose comme 60 % des gens qui ont un revenu inférieur à 20 000 $ ne votent pas.
Ils ne se reconnaissent dans aucune plateforme, dans aucune promesse électorale, dans aucun parti.
Aussi, il ne faut pas oublier que le temps, c’est quelque chose qui vient avec des revenus financiers plus importants. On peut argumenter qu’aller voter, ça prend à peine une heure, mais le temps de s’informer aussi, c’est précieux. Et quand t’es une mère monoparentale qui travaille de nuit, t’as peut-être pas le temps de lire les plateformes électorales.
Pourquoi l’élite économique se retrouve-t-elle à faire de la politique?
Une campagne électorale, c’est complexe, c’est chronophage, ça coûte cher. Ça prend beaucoup de ressources.
Je considère qu’on a un système électoral qui fonctionne à deux vitesses. Il y a des gens qui ont les ressources et les connaissances nécessaires pour faire campagne, année après année, et qui deviennent ce qu’on appelle des politiciens de carrière. Ils sont très difficiles à déloger.
Et puis, il y a les gens comme moi, qui ont un emploi à temps plein, et qui ne sont pas des machines de ressources matérielles et financières.