J’ai su que ma fille était différente des autres le soir où on l’a ramenée de l’hôpital. Elle avait 48 h, c’était mon premier bébé, mais ce genre de choses, ça se sent.
Après quelques jours, ma blonde et moi, on était complètement dépassées. Elle ne dormait que sur nous, criait constamment et buvait du lait (le mien) en quantité industrielle.
Il fallait passer des heures — des heures — à bercer, chanter, marcher, allaiter pour qu’elle dorme à peine 30 minutes. On n’a pas été capables de la déposer pour ses siestes avant ses 10 mois. On a fait du cododo par contrainte.
Surtout, elle était étrangement éveillée pour un bébé naissant. Tout le monde nous le disait : les sages-femmes, les infirmières, les passant.e.s. Son regard était vif, allumé, presque adulte. Elle demandait une stimulation constante.
Chiller sur son tapis de jeu? Non merci. Ça ne lui tentait pas du tout.
Aucun truc « normal » de bébé ne fonctionnait sur elle. Je commençais à penser que c’était moi, le problème. On l’a amenée chez l’ostéo, on l’a fait évaluer pour du reflux, on l’a amenée au dentiste pédiatrique, on a consulté une infirmière spécialisée en sommeil. Ça ne faisait même pas dix minutes que cette dernière était à la maison lorsqu’elle nous a posé une question : « Vous connaissez ça, les bébés à besoins intenses? » Pour moi, ç’a été l’épiphanie.
Bébé à besoins intenses : mythe ou réalité?
Tous les bébés pleurent, tous les bébés sont difficiles, mais on va se le dire : certains sont plus costauds que d’autres.
Les études ont démontré que dès la naissance, le tempérament des enfants diffère en termes de réactivité et d’autorégulation, c’est-à-dire que leur sensibilité et leur capacité à se calmer eux-mêmes ne sont pas toutes égales en partant.
C’est dans les années 1980 que le pédiatre américain Dr William Sears a créé le terme « bébé à besoins intenses » (BABI) pour identifier ces bébés qui sont, ben, plus intenses que les autres. Véritable gourou du « attachement parenting », le docteur prône une parentalité axée sur la proximité, avec tout le cododo, le portage et l’accompagnement au sommeil que ça implique.
Il énumère 12 caractéristiques pour reconnaître un BABI. Parmi celles-ci, on note :
- Réveils fréquents
- Impossible à déposer (pour une sieste ou pour jouer seul)
- Hyperactif/bouge constamment
- Hypersensible
- Besoin de stimulation constante
- Boit beaucoup (de lait, on s’entend)
- Très sensible à la séparation du parent
Une vraie affaire
Il faut savoir que malgré la théorie de notre pote William, BABI n’est pas un « diagnostic » officiel ou même un terme médical reconnu. Les spécialistes de la petite enfance parlent plutôt du tempérament de l’enfant.
« Oui, il y a vraiment des bébés plus difficiles, plus exigeants que d’autres. Et ça, c’est perceptible dès la naissance », m’explique Jean-Pascal Lemelin, professeur au Département de psychoéducation de l’Université de Sherbrooke et membre du Groupe de recherche et d’intervention sur les adaptations sociales de l’enfance (GRISE).
Ok! Comme ma fille, donc. Ma question, par contre, c’est… pourquoi? Le professeur Lemelin me l’exprime clairement : il y a une base biologique ou génétique aux différences entre les enfants sur le plan du tempérament. Ceci dit, d’autres facteurs peuvent exacerber (ou pas) ledit tempérament, comme le niveau de stress de la mère durant la grossesse et la qualité des soins prodigués à l’enfant, par exemple. Ça reste quand même un coup de dés — on ne peut pas prévoir avec quel genre de bébé on va se ramasser… et comment on va gérer ça ensuite.
Dépression et anxiété : l’œuf ou la poule?
Je ne pense pas avoir besoin de le dire, mais au cas où : avoir un BABI, c’est difficile sur les parents, le couple, et surtout, la santé mentale.
C’est facile de se sentir isolé.e, dépassé.e et même malheureusement incompris.e par son entourage quand on hérite d’un bébé du genre.
Quelques études ont démontré un lien entre la dépression et l’anxiété post-partum et un tempérament dit « difficile » ou un taux de pleurs élevé chez l’enfant. Un sondage note que plus de 60 % des parents avec un BABI affirment avoir souffert de dépression post-partum à un moment ou à un autre depuis la naissance de leur enfant.
Une autre étude a tissé un lien entre les parents qui ont souffert d’anxiété ou de dépression durant leur grossesse et les enfants à « haut niveau de pleurs ». La théorie ici est intéressante : les auteurices de l’étude mentionnent que les enfants pourraient partager une propension génétique à l’anxiété et à la dépression, mais aussi que le tempérament de l’enfant pourrait augmenter le niveau de détresse parentale.
En gros, c’est dur pour tout le monde, et particulièrement pour ceux et celles qui vivent déjà une parentalité difficile à la base. Super, non?
On fait quoi avec ça?
Il n’y a pas de solution miracle pour s’occuper d’un BABI. Il faut répondre à ses besoins du mieux possible de jour comme de nuit : malheureusement, ses demandes intenses sont ancrées dans de réels besoins. « Il faut ajuster nos conduites parentales en fonction du type de tempérament de notre enfant, recommande Jean-Pascal Lemelin. Il y a des façons d’encadrer [le tempérament] pour limiter, si on veut, les difficultés qui lui seraient associées. »
Un tempérament difficile dans la petite enfance pourrait être un signe avant-coureur de certains diagnostics plus tard, comme un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), une douance ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Ne paniquez pas tout de suite : ce n’est pas non plus une relation de cause à effet directe.
Le professeur semble me dire qu’en fait, la clé, c’est d’abord de reconnaître et de comprendre notre enfant et son fonctionnement — et oui, au besoin, de nous entourer de spécialistes compétent.e.s pour nous outiller. « Si le parent s’ajuste bien au tempérament de son bébé, il va y avoir moins de difficultés dans l’interaction et ça va obligatoirement favoriser un meilleur développement de l’enfant », indique Jean-Pascal Lemelin.
Je finis par une bonne nouvelle. Comme ils demandent beaucoup de stimulation pour s’épanouir pleinement, les BABI sont souvent des enfants qui marchent, parlent et apprennent vite de manière générale. Une autre étude a même prouvé que les bébés à besoins intenses « qui reçoivent le soutien parental dont ils ont besoin » dépassent leurs pairs au niveau académique et social dès la première année du primaire. Ben coudonc!