Pour mes deux bébés, ma bible, c’était la brique Mieux vivre avec votre enfant de la grossesse à deux ans. Sinon, je m’organisais comme je pouvais, et j’appelais ma mère quand j’avais une question à laquelle la brique ne répondait pas.
À l’époque, j’ignorais qu’il y avait des applis pour aider les nouveaux parents. On peut y entrer les heures du boire, à quel sein on est rendu, si bébé a eu sa goutte de vitamine D ce jour-là, combien de fois il a souillé sa couche, ses heures de sommeil, etc. L’appli, en retour, peut estimer à quelle heure le bébé fera sa prochaine sieste, ou s’il semble boire assez de lait.
J’avais utilisé une appli pendant ma grossesse pour pouvoir dire à mon chum que le bébé était rendu à la taille d’un potiron. Ça a été sa seule utilité. Si j’avais su que d’autres applis du genre existaient pour les bébés, moi qui m’enroulais un chouchou au poignet pour me rappeler à quel sein bébé avait bu!
Mais est-ce que ces applis en valent vraiment la peine?
L’opinion des mamans
« Mon bébé n’a jamais dormi beaucoup, alors ça m’aidait à calculer les heures de sommeil sans tout écrire sur une feuille », explique d’emblée Emilie Lessard Dubois, maman d’un garçon de deux ans et ancienne utilisatrice de l’appli Baby Tracker.
« Ça me libérait d’une charge mentale, et après, c’est devenu une habitude, poursuit-elle. Lorsqu’il faisait des bronchiolites ー le classique des bébés en hiver ー j’écrivais dans l’appli à quelle heure j’avais donné les antibiotiques. On s’y référait la fois d’après, et on pouvait discuter d’autre chose, le soir, en rentrant. »
Maxence Gagnon, elle, a eu sa fille de cinq mois toute seule. Aujourd’hui, la solo mom gère tout d’une main de maître, mais l’appli Baby Daybook lui a quand même été très utile, surtout lors des premiers mois.
« J’aurais pu y arriver sans, souligne Maxence, mais je trouvais ça intéressant. Les médecins posent plein de questions, comme combien de fois elle mange par jour, et je n’avais pas toujours souvenir de ces infos-là. Surtout qu’au début, le temps est une notion très élastique. On ne sait jamais si ça fait 15 minutes ou trois jours. C’est rassurant d’avoir quelque chose qui va s’en souvenir à ma place. »
Pour ces deux mamans, les applis ont permis de diminuer leur anxiété.
Mijanou Colbert, elle, a au contraire vu son anxiété monter en flèche lorsqu’elle a commencé à utiliser Huckleberry. Son bébé de 10 mois a eu des enjeux de poids dès la naissance, alors l’appli était « un mal nécessaire ».
« Ça a pris trois semaines avant qu’il ne retrouve son poids de naissance, se souvient la maman. Il fallait suivre tous les pipis, tous les cacas, les infirmières nous posaient des questions… C’était vraiment rushant. Tu n’as tellement pas de cerveau au début! »
Pendant ces trois semaines, Mijanou et son amoureux ont entré tous les boires dans l’appli, toutes les couches, tout. Ils couraient toujours après le téléphone. Évacué, le moment présent de l’allaitement : il fallait rentrer des statistiques au plus vite.
« Ça me rendait la vie lourde, vraiment lourde », déplore Mijanou, qui s’est joyeusement débarrassée de l’appli dès que son bébé a repris un poids normal. « Mon fils n’est pas juste des métriques : c’est une vie aussi! »
L’avis du spécialiste
J’ai demandé l’opinion d’un spécialiste de la question, Guillaume Dumas, professeur agrégé de psychiatrie computationnelle à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et directeur du laboratoire de Psychiatrie de Précision et de Physiologie Sociale du Centre de recherche Azrieli du CHU Sainte-Justine.
À priori, le professeur Dumas estime que de telles applis peuvent fournir aux parents appui additionnel tout en leur permettant d’être plus attentifs aux besoins de leur enfant. Il faut toutefois éviter de développer une anxiété de performance quant à l’entrée des données ni de se fier uniquement aux conseils de l’appli.
« Si votre appli pour rester hydraté vous dit que vous avez assez bu, il faut quand même boire si vous avez soif », illustre le professeur Dumas.
Selon lui, ça peut être rassurant pour les parents de bénéficier du feedback de l’appli, surtout s’ils n’ont pas un village autour d’eux. Idéalement, les parents auraient du feedback de personnes en chair et en os ou, à la limite, d’institutions neutres et fiables qui n’ont pas pour but de faire de l’argent. L’appli québécoise Naître et grandir, financée par la Fondation Lucie et André Chagnon, en fait partie.
Certaines autres applis, m’apprend Mijanou Colbert, vendent, pour une centaine de dollars, des horaires de sommeil conçus par une IA selon les données que le parent a entrées. D’autres proposent des abonnements payants frôlant les 25 $ par mois.
« Quand on a une monétisation excessive, mon détecteur s’active, prévient le professeur Dumas. C’est quand même étrange de monétiser quelque chose sans preuve tangible que ça marche. Ça surfe sur le sensationnel de la promesse IA, et ce n’est pas parce que c’est cher que c’est bien. »
Le problème, c’est que ces applis se situent dans une zone floue entre le médical et le bien-être. Si leurs services étaient carrément médicaux, ils seraient beaucoup plus encadrés. Mais ces entreprises, qui donnent officiellement dans le bien-être, ne sont « pas sujettes au même niveau [d’inspection], et peuvent promettre tout et n’importe quoi ».
« Il faut une validation scientifique », martèle le professeur Dumas. Une validation qui pourrait prendre la forme d’un essai clinique randomisé sur le sommeil des bébés, une recherche fondamentale, ou, du moins, des données claires, surtout que ce sommeil est « extrêmement difficile à quantifier ».
La délicate question des données personnelles
Les données que nous entrons, même anonymisées, sont d’une valeur exceptionnelle pour les applis. Ce sont ces entreprises qui devraient nous les acheter, avance le professeur Guillaume Dumas, parce qu’elles-mêmes pourraient les revendre.
De plus, les données médicales en apparence banales peuvent être associées pendant très longtemps au nom de votre bébé, et même servir éventuellement à des compagnies d’assurances médicales pour prouver qu’une condition de santé était préexistante, met en garde le professeur Dumas.
Selon lui, mieux vaut parcourir la politique de confidentialité de l’appli pour savoir quel usage est fait des données personnelles et des données anonymisées.
J’ai parcouru la politique de confidentialité de Huckleberry, l’appli spécialisée sur le sommeil des petits. L’entreprise se réserve le droit d’utiliser les données anonymisées comme bon lui semble, y compris dans le cadre d’études scientifiques. Par ailleurs, l’entreprise mentionne que les informations personnelles peuvent être divulguées si elle entre dans la négociation d’une vente totale ou partielle, ou d’une entente commerciale, qu’il s’agisse d’une fusion, d’une acquisition, ou d’une faillite. Finalement, la loi pourrait obliger l’entreprise à donner les informations personnelles des utilisateurs.
Il faut également garder en tête que ces données peuvent être piratées. Les petits start-ups ont peu de moyens pour assurer la protection des données qui leur sont confiées, rappelle le professeur Dumas, et ne disposent pas d’équipe dédiée à la cybersécurité comme les grandes entreprises (qui elles aussi peuvent se faire pirater, remarquez!).
Au final, vous pouvez utiliser l’appli si ça vous fait du bien, mais faites très attention aux données que vous y entrez. Prenez exemple sur Emilie Lessard Dubois et nommez votre enfant « Bébé Pastèque », et son antibiotique « sirop banane ».
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