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Les apps de livraison: un mal nécessaire?

C'est bon pour votre confort le vendredi soir, mais c'est moins bon pour les restos.

Par
Alexandre Perras
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«C’est vraiment un modèle d’affaires qui me dérange beaucoup», m’a spontanément répondu Jesse Massumi, copropriétaire du resto-comptoir Épicerie Pumpui, lorsque je l’ai questionné sur les applications de livraison qui se sont multipliées au cours des dernières années.

Vous les connaissez. Uber Eats, Skip, DoorDash… Elles font dorénavant partie de nos vies. Mais sous leur air pratique et leur look bienveillant à l’égard des restaurateurs, ces apps imposent des commissions astronomiques qui étranglent financièrement les entrepreneurs en restauration.

Un «mal nécessaire» pour plusieurs joueurs qui sont fermés depuis le début du mois d’octobre (et pour peut-être plus longtemps à entendre les plus récentes annonces du gouvernement provincial).

Une norme

«Je ne reproche pas aux restaurateurs et entrepreneurs de faire affaire avec ces plateformes-là parce qu’ils n’ont pas trop le choix», ajoute Jesse Massumi.

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Pour lui, nombreux sont les restaurateurs qui font affaire avec ces applications dans une position «un peu désespérée».

La popularité grandissante de ces plateformes force plusieurs entrepreneurs à se joindre à ce quasi-monopole. Et ici je dis quasi-monopole, parce qu’avec trois ou quatre grands joueurs qui se séparent les parts du marché et qui offrent sensiblement les mêmes choix de services, c’est tout comme.

Évidemment, ces apps donnent de la visibilité aux restos et leur permettent d’élargir le bassin de clientèle. Certains parlent même d’une augmentation de 18% à 20% des ventes. Mais avec des consommateurs qui ont un monde de possibilité au bout des doigts, allant des grandes chaînes comme Tim Hortons ou McDonald’s jusqu’aux petits restaurateurs indépendants, la compétition pour atteindre de tels chiffres de ventes n’est pas gagnée d’avance.

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Et c’est sans compter que les restaurateurs doivent payer le prix fort pour accéder à ces services. Avec des commissions qui tournent autour de 30% de votre facture, plusieurs n’y voient aucun avenir, malgré la popularité des services.

Et si on le faisait soi-même?

L’idée d’instaurer un service de livraison à même le restaurant peut sembler une alternative évidente, mais reste toutefois irréaliste pour plusieurs joueurs. «Même quand c’est toi qui fais la livraison, c’est pas idéal. Ça prend extrêmement de gestion, de personnel, de logistique et ça coûte vraiment cher», explique Jesse, qui ne s’imagine pas compétitionner contre les trois, quatre géants de la livraison, à moins de le faire de manière extrêmement localisée.

«Il n’y a pas de place pour une commission de 30% dans les marges d’un restaurant. Ça n’a aucun sens.»

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En gros, les entrepreneurs qui ne peuvent pas accueillir de clients dans leurs salles à manger sont pris entre l’arbre et l’écorce: s’affilier avec les apps de livraison dispendieuses pour amortir quelques frais et pour garder quelques employés, ou lancer son propre service de livraison qui est tout aussi dispendieux et particulièrement complexe à mettre en place alors qu’ils ont déjà une business à faire rouler.

«Je pense que c’est dangereux pour la restauration parce que ça offre un semblant d’argent qui entre, alors que ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de place pour une commission de 30% dans les marges d’un restaurant. Ça n’a aucun sens», m’explique Jesse.

«Personne n’y gagne»

Et si on s’attarde à la réalité des consommateurs qui commandent sur ces applications, on réalise assez rapidement que ce ne sont pas seulement les restaurateurs qui n’en profitent pas vraiment.

Pour couvrir les commissions de livraison, des restaurants ont été obligés d’augmenter leur prix de 10% à 15%, à ça s’ajoute aux frais de livraison variables, qui peuvent parfois coûter aussi cher que 5$ pour une seule livraison. Sans compter les frais de service de ces applications et, bien évidemment, le pourboire pour le livreur ou la livreuse.

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Jesse est clair là-dessus: «Il n’y a personne qui gagne là-dedans, à part les grosses entreprises, justement.»

«Ces entreprises ne payent non seulement pas les restaurants, mais aussi leurs livreurs. Ils n’ont pas d’employés, ce sont majoritairement des sous-traitants. C’est juste un modèle d’affaires que je trouve vraiment dégueulasse. L’argent ne va pas dans nos restos, ne reste pas à Montréal. Et dans la plupart des cas ça sort même du Canada.»

La fin du quasi-monopole?

D’autres alternatives plus localisées commencent à voir le jour un peu partout en réponse à ce modèle d’affaires qui cause bien des frustrations.

Des services de livraison à vélo, comme celui qu’envisage Pumpui ou d’autres plateformes comme PIZZLI. Un joueur québécois qui offre aux restaurateurs un service de commandes en ligne structurées et à moindre coût.

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Comme les apps traditionnelles, tous les intéressés se retrouvent sur la même plateforme, où les clients passent leurs commandes. Ce qui diffère est le fait que les commandes passées sur PIZZLI sont acheminées vers les systèmes de chacun des restaurants participants. Ainsi, ce sont les établissements qui gèrent l’entièreté des commandes et de la livraison. Avec cette structure, les entrepreneurs n’ont donc pas à se soucier d’instaurer un système pour gérer les commandes et peuvent par la même occasion s’initier à la livraison et ainsi réembaucher certains employés qui endosseront le rôle de livreur le temps de la crise.

PIZZLI facture 3% par transaction, ce qui est loin du 30% que demandent les gros joueurs du milieu.

Ils sont une trentaine à avoir testé la formule, il est donc peut-être trop tôt pour appeler à la fin des géants de la livraison, mais cette initiative est assez évocatrice du mécontentement ambiant qui croît à l’égard de ceux-ci depuis quelque temps, et particulièrement depuis le début de la crise, au moment où plusieurs restaurants dépendent de la livraison de bouffe pour survivre.

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