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L’enfant que vous étiez serait-il fier de votre carrière?

«Moi, quand j’étais p’tite, j’voulais devenir…»

Par
Elisabeth Massicolli
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Pour certains, une job, c’est une job. Ça met du pain sur la table et ça te permet de t’accomplir dans d’autres facettes de ta vie. Pour d’autres, leur travail est leur vie. Ils en mangent et, souvent, n’en dorment pas. Pis il y a tout le monde au milieu. Ceux qui sont allés dans un domaine parce qu’ils ne savaient pas trop quoi faire d’autre. Les pigistes qui naviguent entre deux-trois titres pour arriver à la fin du mois. Ceux qui font une job alimentaire en rêvant de devenir auteur, chanteur ou entrepreneur.

Le bonheur des travailleurs est devenu un enjeu, au cours des dernières années, depuis qu’on a accès à de nombreuses études qui prouvent que les employés heureux au travail sont plus productifs. Selon un sondage Léger, au Québec, en 2019, l’indice de bonheur global au travail était de 72.64 (sur une note de 100). Pas pire, mais pas parfait. Est-ce que nos standards baissent à mesure qu’on grandit? Est-ce que payer l’hypothèque, l’auto, les REER, les vacances finit par nous faire accepter – voire aimer – des jobs vraiment loin de ce qu’on rêvait de faire, enfant?

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Pour répondre à ces questions, j’ai jasé de carrière, d’ambition, de réussite et des rêves de nos tout-petits-nous avec trois personnes allumées, qui, même si elles sont loin de la carrière dont elles rêvaient à 10 ans, ont des vies professionnelles bien remplies.

Elvira, 35 ans

Voulait être égyptologue, est devenue agente administrative.

« J’ai toujours adoré l’histoire et l’année de mes 10 ans marque celle où j’ai été formellement introduite à la Rome antique à travers les chiffres romains. Ayant grandi dans une famille afrocentriste et panafricaine, lorsque j’ai appris qu’il y avait sur le continent africain des vestiges plus anciens, voire plus grandioses que ceux qui ornaient mon livre d’histoire, je me suis dit qu’il fallait que je participe à la découverte de ces trésors. Je pense aussi que j’ai trop regardé les films d’Allan Quatermain et je me voyais exploratrice et défenderesse des trésors égyptiens, par extension, africains.

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Toute ma famille était impliquée dans cette nouvelle passion. On m’a offert la pierre de Rosette en livre pour pouvoir déchiffrer les hiéroglyphes, mes parents étaient versés (malgré eux) en mythologie égyptienne, ma petite sœur connaissait ses dynasties sur le bout des doigts, nous sommes allés en Égypte! Puis un jour, ma cousine plus âgée m’a fait comprendre que le temps que je finisse mes études pour aller sur le terrain, il n’y aura plus rien à découvrir. Il n’en fallait pas plus pour me décourager. C’est comme ça, banalement, que j’ai abandonné ce rêve.

« Je me voyais exploratrice et défenderesse des trésors égyptiens, par extension, africains. »

Aujourd’hui, je suis agente administrative. Donc, on peut dire clairement que je me suis éloignée de ma vocation première! Cependant, dans ma vie personnelle, en tant que panafricaine et afroféministe, je peux clairement faire des parallèles avec la passion qui m’habitait enfant. Aussi, j’écris, je me considère comme une scribe moderne et me donne pour mission de documenter mon vécu, les vécus afrodescendants pour la postérité. Je ne me sens pas totalement accomplie professionnellement, mais, même si mon parcours a été pour le moins chaotique, quitte à tomber dans les clichés, il a fait de moi celle que je suis aujourd’hui. »

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Le conseil qu’elle donnerait à la petite Elvira de 10 ans : « Ta valeur ne doit pas uniquement se mesurer à l’emploi que tu occupes. Changer le monde peut se faire de mille et une façons différentes. »

Mélodie, 34 ans

Voulait être détective et autrice de romans policiers, est devenue travailleuse du sexe, autrice et militante.

« Je voulais connaître les secrets de tout le monde et me sentir plus forte que les autres. Dans ma tête, quand tu es détective, plus personne ne pouvait te cacher quoi que ce soit. Je me sentais aussi moralement supérieure à tous. Parce que je savais ce qui était bien (accepter que ma mère me fasse faire des permanentes et porter un bonnet blanc tous les jours du printemps) et ce qui était mal (garder un cartable rempli de cartes des New Kids on the Block trouvé dans un parc). Et parce que je connaissais plein de mots compliqués, ce qui allait inévitablement m’aider également dans mon écriture de romans policiers. J’adorais Chrystine Brouillet, et j’idolâtrais Agatha Christie.

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Puis, je pense que c’est devenu trop flou, ce que ça représentait pour moi, être détective. Je ne réussissais pas à trouver des exemples de ce que c’était, dans la vraie vie. Je ne voulais pas être dans la police. Je voulais avoir mon numéro dans le bottin et aider à résoudre des crimes. Au secondaire, dans une revue Cosmopolitan, j’ai lu que détective pour révéler l’infidélité d’un partenaire existait. Je fantasmais en m’imaginant être contactée pour cruiser quelqu’un.

« Je voulais avoir mon numéro dans le bottin et aider à résoudre des crimes. »

J’ai été escorte pendant un certain temps et j’ai eu accès à beaucoup de secrets, à beaucoup de rencontres que je n’aurais jamais faites sinon. Ça m’a beaucoup manqué, quand j’ai arrêté, me retrouver d’un coup sans personne à écouter, à qui donner de l’affection. J’écris maintenant des livres et je travaille à la pige pour différents médias. Je sollicite beaucoup les confidences des autres. J’aime me rapprocher des autres et les raconter, créer le moins de distance possible entre mes mots et les leurs. Je fais aussi du online sexting et de la critique de photos de pénis. Disons que c’est dans la continuité de l’idée du détective privé : je suis curieuse de ce que je ne connais pas et de ce qui peut sembler marginal, caché, stigmatisé.

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Je suis très heureuse de mon parcours. Je regrette de ne pas avoir voyagé plus quand des clients me l’offraient, et de ne pas avoir été escorte plus longtemps. Je voulais être escorte pour amasser suffisamment d’argent pour ensuite écrire des livres pour enfants, sans en être anxieuse, sans me questionner sur ce qui serait un échec ou un succès. Je suis contente d’avoir un parcours qui me rapproche des autres, et d’avoir éliminé de ma pensée la notion de bien et de mal. J’aime que les gens puissent me raconter leur vie ou des épisodes de leur vie, sans avoir de craintes que je ne les juge. Avoir été escorte m’a appris à aimer plus les gens, à m’aimer plus. »

Le conseil qu’elle donnerait à la petite Mélodie de 10 ans : « Reste confiante et sache que c’est vrai que ce n’est pas grave, ne pas avoir la meilleure note en mathématiques. Il existe plein de métiers que les professeurs n’abordent jamais et qui, pourtant, te permettront de mieux te connaître que ton futur test de choix de carrière (on m’a recommandé d’être curé – et aussi travailleuse sociale et journaliste.) Continue à lire beaucoup (sauf les futurs commentaires sous tes articles) et n’écoute pas les rêves de tes parents te concernant. »

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François, 27 ans

Voulait être acrobate du Cirque du Soleil, est devenu consultant stratégique à Shanghaï.

« En fait, j’ai toujours été attiré par le mouvement sous toutes ses formes. Et quand j’allais voir les spectacles du Cirque du Soleil, c’était comme un rêve. Les costumes, les décors et, encore, le mouvement. Je voulais faire partie de ce qui m’impressionnait. Je voulais à mon tour impressionner et faire rêver les gens. Et, il faut l’avouer, j’étais déjà bien flexible donc je croyais en mes chances.

Quand on grandit dans un petit village, on n’a malheureusement pas toutes les opportunités à proximité. Quand il est venu le temps d’aller au secondaire, ma famille et moi avons regardé pour des programmes sport-études cirque. Et quand mes parents m’ont demandé si j’étais prêt à quitter la maison à un aussi jeune âge (j’avais 11 ans en secondaire 1), la réponse a été non. J’ai donc intégré un programme de langues. D’année en année, je me suis rendu compte que le cirque était peut-être une passion et que les langues ainsi que l’international étaient ce vers quoi je devais me dévouer.

« Quand on grandit dans un petit village, on n’a malheureusement pas toutes les opportunités à proximité. »

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Il y a quelque temps, j’ai créé ma compagnie de consultation en marketing stratégique, à Shanghai, où j’habite maintenant. En bref, les gens m’engagent pour que je revoie leur modèle d’affaires, leurs façons de faire ou juste leur plan marketing. Nous sommes ouverts à tous types d’entreprises, mais mon expertise est surtout pour les restaurants. On est bien loin de la carrière d’acrobate souhaitée il y a dix ans, mais encore une fois le mouvement y est implicite. Avec ma propre entreprise en Chine, je crois que la routine est cassée et que chaque différent projet crée une sorte de mouvement qui me permet de sortir du moule.

Je suis très fier du chemin que j’ai parcouru. J’ai eu la chance d’avoir de bons parents qui m’ont toujours soutenu dans mes projets et dans mes idées de grandeur. J’ai décidé de prendre un chemin différent et c’est ce qui me rend fier. Avec ma passion pour les acrobaties, je me rends encore parfois dans des studios ou des parcs de trampoline pour m’amuser, encore à 27 ans! Je crois qu’une passion doit certainement être vécue, pour ne pas qu’elle s’éteigne. »

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Le conseil qu’il donnerait au petit François de 10 ans : « Je lui dirais de s’écouter. De ne pas se presser à investir un domaine qui ne lui plaît pas juste parce que les gens autour de lui commencent à être établis. Je lui dirais d’explorer et d’emmagasiner le plus d’informations possible, afin que sa boîte noire interne le guide vers ce qui le rendra vraiment heureux. Bref, un gros : “Fais-toi confiance, t’as tout pour réussir.” Ah! P.S. : apprends le mandarin parce que tu vas en avoir besoin tôt ou tard. »