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Vivre une phobie à l’enfance

Quand t'es trop jeune pour comprendre ce qui t'arrive, c’est juste terrible.

Par
Anonyme
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J’imagine que j’étais une enfant anxieuse à la base ; que dès le départ, mon cerveau était branché un peu différemment que celui des autres. Mais lorsque je me suis retrouvée dans un train tout près d’un enfant qui vomissait, ma vie est partie sur une méchante « chire ». À 6 ans.

Du jour au lendemain, je suis devenue émétophobe. Ça, c’est la peur de vomir ou de voir quelqu’un vomir. Une minuscule émétophobe qui avait beaucoup de mal à comprendre ce qui lui arrivait.

C’était une vraie phobie. Pas du genre : « eeeew, les gens qui vomissent, ça m’écœure ». Plus du genre : « le frère d’une fille dans ma classe a eu la gastro il y a deux semaines ; je ne peux pas aller à l’école ». Handicapant pour les sorties scolaires, les fêtes d’enfants, les réunions familiales. Tout était toujours un peu plus compliqué.

Manger en solo

J’ai une mère fantastique, qui, bien que désemparée, m’a emmenée voir un psychologue. Dans la petite ville d’où je viens, les spécialistes des phobies chez les enfants ne courent pas les rues. Selon mon souvenir, le psy a suggéré à ma maman que j’aille à l’hôpital chaque jour et que quelqu’un vomisse devant moi. Trop cruel, a jugé ma mère.

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À la place, ma vie entre 6 et 11 ans, ça a été d’éviter toutes les situations où je me trouverais en présence de gens en train de manger. Le souper du réveillon ? Toute seule dans une pièce à part. Un camp de vacances ? Jamais de la vie. L’Halloween à l’école ? Impossible. Je préparais mon costume, j’étais excitée ; puis, quelques jours avant, je devenais extrêmement nerveuse. Le matin des festivités, crise de panique à l’idée que les autres enfants bouffent des bonbons à s’en rendre malades. Je ne sais toujours pas qui a gagné le concours de costumes de ma classe en troisième année. Mais je me rappelle trop bien le jour où le petit Nicolas a vomi et que j’ai dû quitter la classe. J’ai été absente plus longtemps que lui.

Même si je n’arrivais pas à bien saisir moi-même ce qui m’affligeait, je savais que mon mal-être était mal compris. Comment expliquer que non, c’est pas que je me trouve grosse ; c’est parce que je suis convaincue que si je ne mange pas en public, les autres pourront consommer ma portion sans être malade ?

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Personne ne me voyait jamais manger, ou presque. Avec tout le monde (à part mes parents et ma soeur), je me privais de nourriture. Comme si mon cerveau avait calculé qu’il y avait un nombre fixe de calories à consommer autour d’une table et que si moi, je ne mangeais pas, les autres pouvaient le faire davantage sans risquer de vomir. Une logique implacable.

Sauf qu’à force de ne jamais me voir avaler la moindre bouchée — et comme j’étais très mince, voire maigre —, les gens ont commencé à s’inquiéter. En quatrième, cinquième et sixième années, la psychologue de l’école m’attrapait dans le corridor quelques fois par an pour me demander si j’étais anorexique. Même si je n’arrivais pas à bien saisir moi-même ce qui m’affligeait, je savais que mon mal-être était mal compris. Comment expliquer que non, c’est pas que je me trouve grosse ; c’est parce que je suis convaincue que si je ne mange pas en public, les autres pourront consommer ma portion sans être malade ? Get it, bro’ ? Bien sûr, je sais aujourd’hui que mon syndrome s’inscrivait tout à fait dans la famille des troubles alimentaires.

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Moi : 1 ; Vomi : 0

Au début de l’adolescence, j’ai commencé à faire du sport sérieusement. Non seulement je devais manger quatre repas par jour (le matin, à midi, avant l’entraînement et après), mais j’ai pris goût aux compétitions. Sauf que le truc, c’est que pour pouvoir performer, je n’avais pas le choix de manger avec l’équipe lorsque les rencontres se tenaient dans d’autres villes.

Petit à petit, j’ai choisi d’aborder ma souffrance différemment. Plutôt que de toujours tout manquer et de passer à côté de toutes les expériences d’un enfant normal, j’allais affronter ma peur des vomissements et de manger en public. C’est la mort dans l’âme que ma mère allait me reconduire à l’autobus qui nous emmenait en compétition — parfois pour plusieurs jours —, moi en larmes et en panique, mais résignée.

Je vis, pour vrai, sans avoir besoin d’éviter des situations du quotidien ou de me tortiller comme une couleuvre pour expliquer mes absences, mes évasions. Cette facette de mon histoire, elle n’est plus le centre de ma vie ; je ne me sens plus obligée de la raconter pour expliquer qui je suis.

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Au bout de plusieurs années, je suis passée par-dessus. Ou je me suis habituée, je ne sais plus trop… Aujourd’hui, je peux fonctionner en société normalement, sans me limiter dans le choix de mes activités ou de mes projets. Je vis, pour vrai, sans avoir besoin d’éviter des situations du quotidien ou de me tortiller comme une couleuvre pour expliquer mes absences, mes évasions. Cette facette de mon histoire, elle n’est plus le centre de ma vie ; je ne me sens plus obligée de la raconter pour expliquer qui je suis.

Tranquillement, et sans passer mes journées à regarder jaillir des fontaines de vomi à l’hôpital, j’ai apprivoisé cette partie de moi. Je suis encore anxieuse en général, mais je vis avec, comme d’autres le font avec les migraines. Ça va, ça vient, mais je peux manger entre amis. Je dîne avec mes collègues ; je bois du bon vin ; je vais au restaurant… Je peux aller au bureau même si quelqu’un a eu la gastro récemment.

Mais, pareil, pas d’histoires de vomi, please. Ça, je peux pas.