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Le truc de ma grand-mère pour économiser sur l’épicerie
« Dans un premier temps, il y a tout un écosystème qui est en place de soutien pour les producteurs, et cet écosystème, quand ça va mal, ça fonctionne, et quand ça va très mal, ça fonctionne. »
– André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, après l’annonce d’un milliard de dollars d’aide aux agriculteurs québécois, le 21 mars 2024
En faisant le tour des papiers de ma mamie après sa mort, il y a quelques années, je suis tombé sur un contrat d’assurance-vie en son nom qui datait de ses 8 ans, environ. Mon arrière-grand-père l’avait fait assurer, probablement pour pouvoir utiliser la police d’assurance-vie de sa petite Lucille comme collatéral pour obtenir un prêt.
Dans les années de la Crise, entre les deux guerres, c’était un des seuls moyens pour les pauvres habitants d’obtenir du financement. J’ignore ce que mes arrière-grands-parents ont fait avec l’argent, mais les notes attachées au contrat du médecin ayant examiné ma grand-mère me donnent un indice : « L’enfant paraît en santé, mais très petite pour son âge. Typique des enfants mal nourris. Situation commune dans les secteurs pauvres. »
Dur recontextualisation du stéréotype de la mamie qui insiste pour nous bourrer le ventre. La mienne n’y faisait pas exception.
On a beaucoup à apprendre, ou à réapprendre, de nos mamies. Elles ont grandi et sont devenues des ménagères – véritables PDGs de leur unité familiale – à une époque où se nourrir était un enjeu sur lequel on hypothéquait littéralement sa vie. Chaque sou comptait, chaque calorie était importante, chaque vitamine pesait dans la balance, et, quelque part là-dedans, il fallait y mettre un peu de goût pour y trouver un minimum de bonheur et de dignité humaine.
Heureusement, nous ne vivons plus dans la misère des années 1930, mais avec l’inflation qui met les années de vaches grasses derrière nous, leur cuisine – notre cuisine d’héritage – nous donne peut-être un exemple à suivre pour étirer nos budgets comme le faisaient nos grands-parents.
Plus riche, moins cher
Une comparaison, même sommaire, de l’alimentation moderne à nos recettes traditionnelles fait vite ressortir quelques différences importantes. La première d’entre elles : la proportion de céréales, légumes, et légumineuses par rapport à la viande. Les assiettes que préparaient ma mamie étaient remplies à rebord de blé d’Inde, de patates, de carottes, de pois, et, bien sûr, de bines (chers amis européens : des fèves).
On note aussi, bien sûr, qu’il s’agit exclusivement de produits locaux.
Dans l’assiette que me servait ma mamie, la viande et les produits « exotiques » étaient rares, sinon carrément absents, mis à part les repas spéciaux où l’honneur imposait l’apparence de richesse – un petit bout de saucisse, peut-être, ou quelques minces tranches de jambon à l’ananas.
Un simple passage dans une épicerie, de nos jours, nous montre que les aliments constituant notre cuisine traditionnelle restent nettement moins chers que ceux d’un repas moderne où le bœuf, le poulet, ou le porc font normalement la moitié de l’assiette, peut-être accompagnés de quelques brocolis ou d’asperges.
Pas besoin de tomber dans les livres de recettes d’antan pour faire la comparaison. J’ai vérifié, et chez Maxi, le prix des pois (2.20$ le kilo) était nettement inférieur à celui du poulet (désossé, 15.00$ le kilo) ou du bœuf haché (14.00$ le kilo). Même constat en comparant le prix des patates (1.50$ le kilo) et des carottes (2.60$ le kilo) à celui des choux de Bruxelles (9.90$ le kilo) et des asperges (12.10$ le kilo). Parmi ces aliments que je viens d’énumérer, lesquels se retrouvaient plus souvent dans les assiettes de nos grands-parents, vous pensez?
Et ça, c’est sans dire que les céréales, légumes, et légumineuses préf érés de nos mamies sont aussi très riches en protéines, minéraux, vitamines, et autres bonnes choses… en plus de nous bourrer rare.
Avec une connaissance de base en herbes et épices, il y a de quoi très bien manger pour vraiment pas cher.
Manger à même le champ
Alors, pourquoi le changement depuis l’ère de nos grands-parents? Cette tendance n’est pas unique au Québec. Elle s’inscrit dans un contexte mondial d’américanisation de la consommation, qui se manifeste dans nos assiettes par une croissance importante de la consommation de viandes (surtout le bœuf) et d’aliments transformés importés. Et c’est pas juste plus cher au niveau individuel. Au niveau de la société, environ 80% de la production de nos champs – les aliments de base de notre cuisine traditionnelle – sont maintenant dédiés exclusivement à nourrir du bétail, plutôt que des humains.
Évidemment, on perd dans l’échange, parce qu’un bœuf va manger beaucoup plus de nourriture au long de sa vie qu’on pourra en retirer de son corps à l’abattoir. Les estimations varient, mais il faut calculer entre 10 et 30 calories dépensées à nourrir un bœuf pour chaque calorie de viande ultimement produite. Les ratios sont un peu meilleurs pour le poulet et le porc, mais pas tant.
En d’autres mots, en mangeant plus de produits issus directement du sol comme le faisaient nos grands-parents, à l’échelle sociale, on pourrait gagner un ordre de grandeur en nourriture disponible.
Les effets sur les prix, suite à l’offre et la demande, sont faciles à imaginer. Et pas besoin de parler d’un retour idyllique à un passé qui ne tient plus devant les réalités modernes. Si un restaurant fast food peut offrir sur le pouce de la malbouffe importée, il peut certainement aussi offrir de la bonne vieille soupe aux pois à un prix sûrement plus raisonnable… si la demande y est dans notre réalité contemporaine.
Cette réalité, l’importance d’une économie tant sociale que familiale, nos grands-parents l’avaient comprise par nécessité. Et c’est face à cette nécessité qu’est née notre cuisine traditionnelle, riche en produits locaux sortis directement de la terre, entretenue par nos ancêtres, jusqu’à ce qu’on la folklorise au profit des steakhouses et Big Macs de l’ère moderne.
En perdant notre cuisine traditionnelle, c’est pas juste une richesse sociale qu’on perd, c’est aussi, très littéralement, une richesse financière individuelle et collective.
Bref, on en a beaucoup à apprendre, ou à réapprendre, de nos mamies.
En passant, aucun créancier ne s’est manifesté pour la police d’assurance de ma grand-mère. Il faut croire que ses parents ont été capables de rembourser le prêt… ou que plus de 80 ans plus tard, le prêteur initial avait perdu sa copie du contrat. La compagnie d’assurances nous a donc honoré son plein montant : 500$ pour la vie complète d’une mamie dévouée à sa famille. Je ne sais pas combien de financement mes arrière-grands-parents ont eu contre ce montant, mais pour nourrir leur famille, ça aurait été une vraie fortune.