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Le ski touring: un enthousiasme qui fait sourire les stations
«Ça a explosé», «on a jamais vu ça», «c’est fou». Ce sont là quelques constats que plusieurs acteurs de l’industrie du ski alpin font cette année avec la «méga popularité» que connait le ski de randonnée, aussi appelé ski touring, un peu partout au Québec.
Ce sport qui mélange randonnée et ski alpin (si vous ne l’aviez pas encore deviné) semble avoir particulièrement conquis les millénariaux trippeux de plein air qui s’empressent de partager leurs «sorties» sur Instagram toutes les fins de semaine.
Quels sont les impacts pour les montagnes qui se font littéralement assaillir par les skieurs de randonnée depuis le début de la saison? Est-ce seulement une «tendance pandémique» ou est-ce que la «passion» du touring est là pour rester? On a évité les sous-bois et on est passé directement en downhill pour vous trouver les réponses.
Du monde, du monde et encore du monde
Bien qu’on parle davantage du ski touring cette année, cela fait quatre ans que le Mont-Orford est équipé pour accueillir les adeptes selon son directeur général Simon Blouin. «On était dans les premiers dans la province à avoir une offre “encadrée” avec des sentiers prévus pour ça».
La première année, la montagne comptait entre 400 et 1000 abonnés tout au plus. Pour la saison 2020-2021, on recense plus de 3000 abonnements sans compter les 200-250 billets journaliers vendus en moyenne exclusivement pour le ski de randonnée selon Simon Blouin. «Un gros samedi, il peut y avoir environ 1000 personnes sur la montagne seulement pour le ski touring, estime le DG. C’est incroyable! Ça a pris des proportions qu’on aurait jamais pu imaginer!»
Pour la saison 2020-2021, on recense plus de 3000 abonnements sans compter les 200-250 billets journaliers vendus en moyenne.
Si l’organisation du Mont-Orford imaginait le ski de randonnée comme un sport «complémentaire» au ski alpin au départ, le directeur général avoue que la pandémie est venue changer la donne. «On voit beaucoup de gens maintenant pour qui c’est le focus principal. Ils ne veulent pas attendre en file pour prendre les chaises et aiment mieux monter en paix dans le bois».
Le Mont-Orford n’est pas la seule montagne en Estrie à voir passer des foules de skieurs en «peaux de phoque» sur ses pistes. «Il y a un engouement qu’on a jamais vu. Avant, on pouvait voir un ou deux skieurs de randonnée dans une journée et cette année, ça se compte par dizaines», affirme Hélène Bélisle, conseillère marketing et communications de Bromont, montagne d’expériences.
Tout comme le Mont-Orford, Bromont souligne s’être ajusté à la demande, passant d’un seul sentier aménagé pour le ski touring à plusieurs et à une «réelle» gestion des usagers pour ce sport. «C’est la première année qu’on assure un certain contrôle des billets et des abonnements dédiés spécifiquement à ça. On est en plein développement de produit à l’heure actuelle donc on apprend et on s’adapte constamment», souligne Hélène Bélisle.
Le 7 février dernier, Bromont a tenu le Défi de randonnée alpine, qui incitait les skieurs de randonnées à effectuer de 1 à 4 montées pour courir la chance de gagner des prix lors d’un tirage. «Il y avait plus de monde que l’on pensait qu’il y aurait et on a finalement manqué de prix pour les personnes qui ont fait 4 montées. Mais c’était un super bel événement pareil. On veut retenter l’expérience l’année prochaine en s’ajustant un peu mieux», assure Hélène Bélisle.
Populariser le sport une station à la fois
Si des hordes de millénariaux trippeux de plein air peuvent montrer leurs exploits en ski de touring sur les réseaux sociaux aujourd’hui, c’est en partie à cause de vétérans du sport comme Jeff Rivest, qui se battait déjà des chemins de randonnée armé de ses skis et de ses «skins» (des peaux d’ascension) bien avant l’arrivée des GAFA. «J’ai découvert ce sport-là au début des années 2000 quand j’ai fait un voyage en Europe. J’ai commencé à en faire ici à mon retour et je me suis fait connaître par Dynafit, une entreprise spécialisée en équipement de ski, qui m’a approché pour que je devienne le premier représentant pour l’est du Canada», explique-t-il.
À l’époque, les Chic-Chocs en Gaspésie étaient l’un des seuls endroits où on avait entendu parler de ce sport, les conditions de neige attirant les amateurs de ski hors piste. «Le marché était très petit dans le reste de la province et je me suis dit que le meilleur moyen de faire connaître le ski de randonnée, c’était de passer par les stations de ski».
«Le marché était très petit dans le reste de la province et je me suis dit que le meilleur moyen de faire connaître le ski de randonnée, c’était de passer par les stations de ski».
Il y a environ 8 ans, le sportif aguerri a donc fait plusieurs appels pour convaincre les propriétaires de stations d’investir dans ce sport, ce qui représentait tout un défi en soi. «Il fallait que je leur explique le concept, que les gens peuvent monter dans les sentiers de randonnées pédestres ou de vélo de montagne et qu’il n’y aurait pas de danger. Souvent, les gestionnaires ne comprenaient pas l’attrait de tout ça et n’étaient pas très ouverts à l’idée», se remémore le représentant d’entreprises de plein air.
L’une des premières montagnes à avoir donné le GO pour aménager des sentiers fut Tremblant. «On a mis sur pied un petit événement de course de ski de randonnée, le SkimoEast. Ça a été un franc succès (on compte aujourd’hui plusieurs événements de SkimoEast à travers la province) et ça a convaincu d’autres montagnes d’embarquer dans le projet du ski touring comme La Réserve, le mont Édouard et le mont Owl’s Head».
Tout comme Simon Blouin du Mont-Orford et Hélène Bélisle de Bromont, Jeff Rivest affirme que le ski de touring a «explosé» cette année, un phénomène qui ne le surprend pas outre mesure. «J’ai constaté la même chose avec le vélo de montagne, le paddleboard et pas mal de sports de plein air. Ce sont des effets collatéraux de la pandémie: les gens redécouvrent leur environnement et veulent en profiter le plus possible», estime-t-il.
Juste une autre bulle pandémique?
À l’instar de la vague de boulangers du dimanche ou des multiples horticulteurs qui ont jeté leur dévolu sur leurs semis pendant quelques mois l’année dernière, on peut se demander si l’immense popularité du ski touring n’est qu’un feu de paille pandémique. Cette folie sera-t-elle chose du passé en 2022?
«Je suis sûr que c’est là pour rester», affirme avec assurance Jeff Rivest quand on lui pose la question. Même son de cloche pour Simon Blouin et Hélène Bélisle: ce sport est bel et bien implanté au Québec et les montagnes comptent bien en tirer profit dans les prochaines années en «bonifiant leurs offres», notamment en créant davantage de sentiers d’ascension.
ce sport est bel et bien implanté au Québec et les montagnes comptent bien en tirer profit dans les prochaines années.
Si les développements sont «stimulants» pour Simon Blouin, il mentionne qu’il y a encore un peu de sensibilisation à faire. «Même s’ il y en a moins qu’avant, il y a encore des gens qui veulent monter sans payer, d’autres qui ne respectent pas les horaires ou empruntent des pistes qui ne sont pas désignées pour l’activité. Ça peut être dangereux avec les dameuses et les canons à neige présents sur la montagne. Les gens ne réalisent pas la gravité des blessures qui peuvent survenir à cause de ça», soutient le DG, qui exhorte les skieurs à respecter les règles.
Bien qu’il se réjouisse de la démocratisation du ski de randonnée, Jeff Rivest tient à spécifier que ce sport s’adresse d’abord aux skieurs avec un minimum de technique et d’expérience. «Si on ne sait pas comment descendre une pente, ce n’est pas une bonne idée de se lancer là-dedans. Il vaut mieux apprendre la base, louer un équipement pour voir si on aime ça puis faire un choix en conséquence».
Avec la semaine de relâche à l’horizon, on peut penser que les skieurs «en peaux» ne se feront pas prier pour avoir leur petit coin de sentier enneigé et que les stories Instagram vont se faire aller dans les prochains jours. Après une année aussi difficile, on va se passer de faire des commentaires baveux sur «l’instagramisation» du quotidien de cette génération et on va juste leur souhaiter du gros fun dans le respect des mesures sanitaires.