La succursale est discrète, en plein cœur d’Hochelaga, rue Ontario, coincée entre une boutique de vapotage et un petit magasin de vêtements. De l’extérieur, on dirait une boutique de spiritueux classique avec des boissons exposées en vitrine. À l’intérieur, des néons bleus illuminent des fioles par dizaines et un îlot recouvert de bouteilles dorées qui trône au milieu de la pièce.
Est-ce que c’est ça, le paradis de l’alcool? Pas du tout : toutes les boissons sont à 0 degré, de la tequila au gin, en passant par la bière et le vin, offrant une variété qui ferait rougir n’importe quelle SAQ. Ici, du mojito sobre dans un flacon, là, du bourbon aromatisé au sirop d’érable.
« Le design des bouteilles donne hyper envie, en plus, j’aime bien le goût de l’alcool, mais pas forcément ses effets le lendemain », rigole Frédérique, 27 ans, qui vient de sortir de la boutique.
Répondre à un besoin
Mais comment Marilou Lapointe, 29 ans, et Sophie Anne Aubin, sa partenaire de 31 ans, se sont retrouvées à lancer une boutique de produits sans alcool ? « C’est vraiment arrivé à l’été 2017, quand j’ai commencé à réduire ma consommation et que je cherchais des produits sans alcool. Il n’y avait rien! Juste une bouteille de vin et une bière dans des épiceries fines », raconte Marilou, qui me regarde observer les étiquettes avec amusement.
Chez Marilou et Sophie Anne, qui avaient déjà un café de coworking, l’idée germe doucement et c’est pendant le confinement que le couple se lance. « On a commencé avec une boutique en ligne, qui marche encore aujourd’hui. On avait des cartons dans toutes les pièces, jusqu’au plafond, on avait même besoin de faire appel à nos ami.e.s », se rappelle Sophie Anne.
Briser les tabous
En novembre prochain, cela fera six ans que Marilou est sobre. Pour l’entrepreneuse, ça a été l’une des meilleures décisions de sa vie. « J’ai l’impression de revivre depuis que j’ai arrêté de boire. Ma vie est tellement meilleure. On a tous des raisons d’arrêter ou de réduire, c’est propre à chacun. »
Sur Instagram, les deux comparses ont une communication acérée. Elles multiplient les réels, les beaux visuels et prennent à cœur leur mission de sensibilisation et de promotion. « On veut vraiment aller contre cette obligation de boire de l’alcool pour montrer que c’est correct de faire des soirées sans aller trop loin, que c’est correct de prendre une pause, que c’est correct de ne pas prendre un shot pour faire plaisir à quelqu’un », explique Sophie Anne, appuyée sur le comptoir de la boutique.
Les retours des consommateurs sont bons et surtout, la variété des profils des clients est étonnante.
Non, ce n’est pas juste la génération Z qui fait une crise existentielle; la remise en cause de l’alcool, c’est chez beaucoup de monde et pour plein de raisons différentes.
« On a des gens de 20 à 80 ans, on va avoir des gens qui sont en arrêt complet, d’autres qui sont enceintes, qui veulent faire une pause ou simplement tester », détaille Sophie Anne.
Nécessairement, une question vient tout de suite à l’esprit : est-ce que c’est vraiment possible de retrouver les sensations de soirées, sans consommer d’alcool? Pour Marilou, la réponse va de soi : « Des fois, il y a un effet placebo, on est dans l’euphorie de la soirée, la musique aide bien aussi, donc oui, c’est totalement possible ».
Boissons goûtues
Bon, c’est bien beau, mais comment ça goûte concrètement, les boissons zéro-alcool de soirées ? « Y a énormément d’a priori. On aura toujours un Roger sur Facebook pour nous dire qu’on vend du jus de fruits, mais ce n’est pas du tout le cas. On a une variété de saveurs, de caractères », s’amuse Sophie Anne.
C’est vrai que pour avoir testé, on redécouvre le goût du gin et du whisky, et on se rend compte d’à quel point, avec leurs versions classiques, l’alcool prend de la place dans nos palais. Frédérique, elle, trouve les boissons originales : « peut-être pas de là à en boire en soirée régulièrement, mais j’ai été assez surprise de la variété de saveurs ».
Le vin sans alcool est même du vrai vin, simplement passé par un processus de désalcoolisation.
Ce sont d’ailleurs les bouteilles les plus chères, car le procédé est coûteux : comptez entre 16 et 31 dollars la bouteille. Un prix qui se justifie, d’après Marilou. « Les volumes de productions sont plus faibles, donc les prix sont un peu plus élevés pour le vin. C’est vraiment l’étape de désalcoolisation qui coûte cher avec des équipements qui coûtent des millions. Donc les producteurs veulent une plus-value. »
Les bières et les spiritueux ont une gamme de prix plus proche de celle de la SAQ. Les deux propriétaires espèrent que, sur le long terme et comme avec les produits végétariens, les prix finissent par baisser avec la demande. Le business est plus que lancé, surtout depuis que la boutique est passée du virtuel aux briques l’an dernier. « Ça marche vraiment super bien, on ne veut pas trop en dire, mais on compte lancer une autre boutique », confie Marilou.
Et un bar? L’idée est dans les cartons.
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