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Le point du mari : des mÚres québécoises se font-elles recoudre sans leur consentement?
On a enquĂȘtĂ©.
Question « dâamĂ©liorer » le plaisir sexuel des hommes, certains mĂ©decins ajouteraient un point supplĂ©mentaire quand ils font la suture dâun pĂ©rinĂ©e dĂ©chirĂ© par un accouchement. Sans son consentement, ils rendraient leur patiente plus « tight », vous voyez ?
Ce nâest pas la premiĂšre fois que le sujet fait surface. La Presse et LâActualitĂ© se sont demandĂ© si ça existait ici, en 2014, quand la France sâest entre-dĂ©chirĂ©e (pardon) au sujet du fameux « point du mari ». Mais entre une poignĂ©e de tĂ©moignages et lâavis sans Ă©quivoque de la SociĂ©tĂ© des obstĂ©triciens et gynĂ©cologues du Canada, pas de constat dĂ©finitif.
Est-ce quâau QuĂ©bec, il arrive que des mĂ©decins recousent leurs patientes plus fermement ou sâagit-il plutĂŽt dâune lĂ©gende urbaine entretenue par des mauvaises blagues et la sensation inconfortable inhĂ©rente Ă lâaccouchement mĂȘme ?
Jâai fouillĂ©. Encore.
Parce quâon en parle. Encore.
Et que ça se fait. Encore. (Peut-ĂȘtre).
« Peux-tu me la recoudre plus serrée ? »
Tout a commencé avec un témoignage anonyme envoyé à URBANIA.
Dans un courriel, une femme nous a révélé que son cousin avait récemment autorisé un médecin à faire un « point du mari » à sa partenaire. En apprenant la chose, elle est tombée des nues. Comme nous en lisant son récit.
Jâai donc entrepris de faire la lumiĂšre sur cette intervention choquante â et dĂ©mentie par lâAssociation des obstĂ©triciens gynĂ©cologues du QuĂ©bec. Je cite son prĂ©sident, Fabien Simard : « Nous avons Ă©tĂ© trĂšs Ă©tonnĂ©s par ce tĂ©moignage. Soyez assurĂ©e que personne â et je dis bien personne â nâoserait faire une pĂ©rinĂ©oplastie lors dâun accouchement. [âŠ] Ce « point du mari » est une lĂ©gende urbaine qui tire son origine de propos venant du mari Ă lâobstĂ©tricien lors de lâaccouchement et nâest nullement un propos scientifique. »
Ce nâest pas faux : elle court, cette joke dĂ©gueulasse. Du cĂŽtĂ© du pĂšre, comme du mĂ©decin, apparemment.
Sophie Mederi, co-coordonatrice au Regroupement Naissance-Renaissance, mâexplique : « Des blagues entre obstĂ©triciens et maris, câest encore commun en 2019. Je recommande toujours de porter plainte quand on reçoit des tĂ©moignages Ă cet effet. Un mĂ©decin qui fait ces blagues-lĂ depuis 20 ou 30 ans, pour lui, câest normalisĂ©. Il lui faut une tape sur les doigts pour rĂ©aliser que ce nâest pas normal de dire ça ! Par contre, câest rare quâune femme va aller jusquâĂ porter plainte. Il y a le facteur bĂ©bĂ© qui entre en compte â tu nâas pas tellement envie de mener cette bataille. Il y a aussi la longueur des procĂ©dures qui peut dĂ©courager. Il faut ĂȘtre assez privilĂ©giĂ©e et avoir de lâĂ©nergie pour sâembarquer lĂ -dedansâŠÂ »
Ok, et si ce nâĂ©tait pas que des blagues ?
Le point de lâamour
Il y a 18 ans, lâauteure et animatrice Guylaine Guay accouchait de son premier enfant. Il aura fallu plus de 60 heures avant quâil ne se pointe le bout du nez, elle a donc vu passer trois rondes de docteurs. Elle nâavait jamais rencontrĂ© celui qui a finalement accueilli son enfant, mais elle lâa tout de suite trouvĂ© sympathique. MĂȘme quand il lui a joyeusement demandé : « Voulez-vous que je vous fasse un petit point de lâamour? »
« Jâavais eu trĂšs mal, me raconte-t-elle. Je me doutais bien quâil sâĂ©tait passĂ© quelque chose downtown. Le docteur mâa expliquĂ© quâil allait resserrer tout ça et que mon Ă©poux en serait trĂšs content. Je voulais juste que ça finisse, quâil nây ait plus personne entre mes jambes⊠Avec tous les mĂ©decins et les internes, yâa peut-ĂȘtre juste le concierge qui ne sâĂ©tait pas mis les mains lĂ -dedans! Alors, jâai acceptĂ©. »
«Je me doutais bien quâil sâĂ©tait passĂ© quelque chose downtown. Le docteur mâa expliquĂ© quâil allait resserrer tout ça et que mon Ă©poux en serait trĂšs content.»
Câest quelques jours plus tard, une fois la poussiĂšre retombĂ©e, que Guylaine Guay a rĂ©alisĂ© lâabsurditĂ© de la chose. « Jâai demandĂ© Ă mon chum si jâavais bien entendu⊠Il me lâa confirmĂ©. Il se sentait trĂšs mal; son dĂ©sir sexuel nâĂ©tait certainement pas la prioritĂ© Ă ce moment-lĂ ! »
Câest ce qui la trouble particuliĂšrement : le fait de centrer cette procĂ©dure autour du plaisir masculin. Comme si la femme avait une responsabilitĂ© sexuelle Ă jouer jusque dans son accouchement. Mais ce nâest quâaujourdâhui que lâartiste mesure lâampleur du geste. « à lâĂ©poque, je ne savais mĂȘme pas que jâavais le droit dâĂȘtre choquĂ©e! Le docteur mâavait offert ce point de lâamour avec une telle bonne humeur⊠Comme si câĂ©tait un cadeau. Je me suis dit : wow, je viens dâĂȘtre invitĂ©e au Carnaval du vagin! Et je ne la voyais pas ma vulve, je ne savais pas Ă quel point elle Ă©tait charcutĂ©e. Je me disais que jâavais peut-ĂȘtre vraiment besoin de ce revamping, alors je lui ai simplement fait confiance. »
Une pratique du passé?
RĂ©pondant Ă lâappel Ă tous et toutes que jâai lancĂ©, une femme mâa fait part dâun Ă©vĂšnement survenu lors de son deuxiĂšme accouchement, il y a 20 ans.
« Jâai demandĂ© au mĂ©decin comment il allait me recoudre. Je voulais savoir si ça me ferait mal, si mon chum pourrait toujours faire lâamour avec moi. Il mâa simplement rĂ©pondu : je vais laisser de lâespace pour le mĂąle. Ăa mâa brusquĂ©e. Je me suis sentie mal, nue devant lui. »
En lisant ça, jâai Ă©videmment Ă©tĂ© outrĂ©e, mais je me suis aussi dit quâen deux dĂ©cennies, les choses avaient certainement changé⊠Puis, jâai Ă©tĂ© contactĂ©e par une autre femme qui prĂ©fĂšre garder son anonymat. Appelons-la Vicky.
Vicky a accouchĂ© en 2008, Ă MontrĂ©al. Ayant une grossesse Ă risque, elle sâest retrouvĂ©e entre les mains dâun mĂ©decin reconnu. MalgrĂ© tout, lâaccouchement sâest mal dĂ©roulé : dĂ©collement placentaire, incision du pĂ©rinĂ©e, urgence, forceps, dĂ©chirement. « Ăa a Ă©tĂ© lâhorreur ! Je ne montre jamais mes photos dâaccouchement parce que jâai lâair morte. »
«Il mâa examinĂ©e et mâa lancé : Je veux juste te dire que je tâai cousue plus serrĂ©e, donc ça se peut que la premiĂšre relation sexuelle soit difficile. Bois ben du vin rouge, fais du foreplay, regarde un peu de porn et tout va bien aller. Si tu as encore mal dans quelques semaines, on arrangera çaâŠÂ »
Elle mâexplique que le docteur a dĂ» la recoudre. « Il mâa dit que jâavais beaucoup dĂ©chirĂ© et quâil y aurait un suivi Ă faire. Je lâai revu environ une semaine plus tard. Il mâa examinĂ©e et mâa lancé : Je veux juste te dire que je tâai cousue plus serrĂ©e, donc ça se peut que la premiĂšre relation sexuelle soit difficile. Bois ben du vin rouge, fais du foreplay, regarde un peu de porn et tout va bien aller. Si tu as encore mal dans quelques semaines, on arrangera çaâŠÂ »
Si elle a Ă©tĂ© surprise par le langage utilisĂ©, elle a tout de mĂȘme cru Ă une procĂ©dure rĂ©guliĂšre. « Plus tard, une infirmiĂšre mâa rĂ©vĂ©lĂ© que ce nâĂ©tait pas normal, que cette intervention avait Ă©tĂ© faite sans consentement. Pour moi, câest une violence obstĂ©tricale : je nâai pas Ă©tĂ© informĂ©e de ce qui se passait. »
Sophie Mederi, du Regroupement Naissance-Renaissance, est aussi convaincue que le point du mari et les blagues qui en dĂ©coulent relĂšvent des violences obstĂ©tricales, ce quâelle dĂ©crit comme : « des violences systĂ©miques, basĂ©es sur le genre, qui devraient ĂȘtre reconnues comme faisant partie du continuum des violences sexuelles. »
Maintenant, elle prĂ©cise que sâil se fait des jokes Ă ce sujet, la vĂ©ritable intervention est extrĂȘmement rare. « Ajouter un point de suture pour que ce soit plus serrĂ©, câest trĂšs, trĂšs, trĂšs marginal. Ăa se faisait probablement Ă une certaine Ă©poque. Si on recule dans les annĂ©es â60, â70 et mĂȘme â80, les pratiques en obstĂ©triques Ă©taient toutes autres. Malheureusement, Ă ce moment comme aujourdâhui, on nâa compilĂ© aucun chiffre qui nous permettrait de documenter les violences obstĂ©tricales. »
Quand je lui demande si les discours liĂ©s Ă ces injustices sont bien accueillis par les mĂ©decins, Sophie se fait prudente : « Il nây a pas dâhomogĂ©nĂ©itĂ© dans le corps mĂ©dical : des fois ça va mieux que dâautres, mais souvent ça passe mal Ă cause du mot violence. Les professionnels se disent : voyons, on donne des soins ! On est lĂ pour le bien-ĂȘtre des personnes. Câest en partie parce quâon rattache encore la violence Ă une intention, alors que câest possible dâĂȘtre violent.e sans avoir lâintention de lâĂȘtre. Tout ça est Ă dĂ©mĂȘler, mais on a de super belles discussions avec des mĂ©decins, infirmiers et infirmiĂšres. On donne des confĂ©rences, dans lesquelles on voit notamment des Ă©tudiant.e.s ! Il y a de lâespoir, mĂȘme si ça bouge lentement. »
Un malentendu ?
Cette fois, câest une infirmiĂšre qui se confie Ă moi. Celle qui prĂ©fĂšre taire son nom a accouchĂ© pour la premiĂšre fois en 2014. Elle a alors reçu des points qui ne lui ont causĂ© aucune douleur. Câest au deuxiĂšme accouchement que ça sâest compliquĂ©âŠ
« Jâai eu une dĂ©chirure relativement mineure. Jâai encore une fois reçu des points. Je suis rentrĂ©e Ă la maison et tout allait bien⊠Puis, lors des premiers rapports sexuels, une douleur sâest prĂ©sentĂ©e. CâĂ©tait trop serrĂ©. Je me suis dis que câĂ©tait cicatriciel, donc que câĂ©tait juste plus sensible. Ăa allait surement revenir comme avant, tsĂ© ! Jâai attendu. Finalement, jâai revu ma mĂ©decin et je lui ai expliquĂ© que mĂȘme mettre un tampon Ă©tait douloureux. Quelque chose clochait. »
La mĂ©decin lâa examinĂ©e et lui a confirmĂ© que deux points avaient Ă©tĂ© faits trop prĂšs lâun de lâautre. « Ils se sont ramassĂ©s comme fusionnĂ©s ensemble, mâexplique lâinfirmiĂšre. Et ça tirait tout le temps. »
La docteure lui a ensuite rĂ©vĂ©lĂ© quâelle nâĂ©tait pas la premiĂšre Ă qui ça arrivait, quâil y avait mĂȘme dans lâĂ©tablissement une gynĂ©cologue spĂ©cialisĂ©e en reprise de cicatrices.
La mĂ©decin lâa examinĂ©e et lui a confirmĂ© que deux points avaient Ă©tĂ© faits trop prĂšs lâun de lâautre. « Ils se sont ramassĂ©s comme fusionnĂ©s ensemble, mâexplique lâinfirmiĂšre. Et ça tirait tout le temps. »
« Il y a une spĂ©cialiste en reprise de cicatrices, insiste la jeune femme. Ăa veut dire que câest un phĂ©nomĂšne relativement frĂ©quent. Le point du mari est-il volontaire, en 2019 ? Absolument pas ! Mais dans un contexte oĂč les accouchements se font rapidement et oĂč une part de lâapprentissage se rĂ©alise sur le dos des femmes (des points, on devient bon Ă force dâen faireâŠ), il existe. »
Pour lâinfirmiĂšre, câest clair que personne nâa lâintention de mal exĂ©cuter son travail, mais Ă son avis : « ce type dâintervention est banalisĂ©, et la douleur quâil provoque chez les femmes Ă©galement. Je travaille dans le milieu hospitalier, câĂ©tait mon deuxiĂšme accouchement, jâĂ©tais en mesure dâexprimer mon inconfort⊠Par contre, la santĂ© sexuelle des femmes est un sujet tabou dans plusieurs cultures. Beaucoup de femmes vivent avec ce problĂšme dans le silence. Il devrait y avoir plus de prĂ©vention : vous avez des douleurs ? Ce nâest pas normal, dites-le ! Il faudrait aussi mieux expliquer aux mĂšres comment masser leur cicatrice et, surtout, Ă©viter de leur laisser entendre quâelles ne comprennent pas les changements qui sâopĂšrent dans leur corps. »
Jacynthe Maltais, accompagnante Ă la naissance, est tout Ă fait dâaccord: « Ce que je constate, câest de la dĂ©sinformation au sujet de notre corps : câest quoi le pĂ©rinĂ©e ? Quâest-ce qui arrive avec la vulve avant et aprĂšs lâaccouchement ? Quâest-ce qui va se passer avec la qualitĂ© des tissus ? Je pense que le point du mari peut venir de ce manque dâĂ©ducation. Il existe, puisquâon en parle⊠Mais jâose espĂ©rer quâil nâest pas consciemment pratiquĂ©. »
Elle apporte cependant une nuance Ă son discours : « Si je ne suis pas tĂ©moin directement de ce genre de blagues ou procĂ©dures douteuses, câest que ma prĂ©sence impose justement le respect. Jâaffirme haut et fort que je suis lĂ pour aider la femme que jâaccompagne Ă faire respecter ses droits, ses valeurs, son intĂ©gritĂ© physique et morale. La femme en travail est dans un Ă©tat de grande vulnĂ©rabilitĂ©. Nous avons lâobligation dâhumaniser les naissances. Commençons par en respecter le processus, le comprendre et lâhonorer. Notre vulve et notre vagin sont faits pour faire naĂźtre nos bĂ©bĂ©s. On nâa pas besoin du point du mari. On a besoin dâune bonne physio pĂ©rinĂ©ale. Avant et aprĂšs lâaccouchement. »
La pointe de lâiceberg
Mauvaise blague, geste aussi violent que rare, procĂ©dure ratĂ©e ou incomprise : la dĂ©finition et lâexpĂ©rience du « point du mari » varient. Chose certaine, il existe. Faudrait en jaser.
En attendant, pour se donner plus de paix dâesprit, Sophie Mederi conseille aux femmes dâĂȘtre accompagnĂ©e lors de leur rendez-vous en gynĂ©cologie, de sâinformer et de faire appel Ă une accompagnante Ă la naissance lors dâun accouchement. Par contre, Ă son avis, la violence nâest pas exactement lĂ oĂč on se lâimagine.
« Loin de moi lâidĂ©e dâinvalider les expĂ©riences dĂ©crites, mais le point du mari nâest pas central quand on parle de violence obstĂ©tricale et gynĂ©cologique au QuĂ©bec.
Des propos sexistes et racistes, il y en a. Des femmes racisĂ©es Ă qui lâont fait des procĂ©dures (dont la cĂ©sarienne) Ă froid, ça arrive. Des femmes qui se sentent agressĂ©es lors de lâaccouchement, ça arrive. Des femmes Ă qui lâon fait des interventions mĂ©dicales (dont lâĂ©pisiotomie) sans leur consentement, ça arrive. Des femmes qui hurlent au mĂ©decin dâarrĂȘter son intervention alors quâil ou elle reste sourd.e, ça arrive. Des curetages Ă froid en salle dâurgence, ça arrive. »
Jâimagine bien que ce nâest pas tout le corps mĂ©dical qui serait en accord avec les dĂ©nonciations de ce regroupement fĂ©ministe. Personnellement, je ne peux Ă©videmment pas en tĂ©moigner, mais si vous voulez savoir dâoĂč viennent ces affirmations troublantes, vous pouvez consulter le rapport transmis par lâorganisme au rapporteur de lâONU.
En attendant, ne faites pas trop de cauchemars, lĂ âŠ
(Et high-five Ă tous les acteurs du systĂšme de santĂ© qui aident les parents Ă se sentir confortables. Vraiment. Plus dix points si vous remettez les « blagueurs » Ă leur placeâŠ)
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