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Le pire ennemi de l’entrepreneur? Le doute
Entrepreneur et maître d’enseignement à HEC Montréal, François Rioux nous dévoile les coulisses de sa vie d’entrepreneur en temps de crise sanitaire. Dans cette série satirique, nous le suivons à travers les rebondissements de son empire de… camps pour enfants.
Comme pour bien des gens, 2020 a été tough pour moi. Je ne vous dis pas le nombre de fois où je me suis demandé «mais qu’est-ce que je fais?» et que la seule réponse qui me venait en tête était «ben, j’grimpe dedans» (déformation professionnelle oblige).
La dernière fois, je vous racontais comment j’ai frôlé la perte de contrôle de mon entreprise de camps pour enfants.
En effet, je n’avais aucune idée quoi faire. Bien que ce soit important de favoriser l’activité physique chez les jeunes et que notre industrie est un levier économique important, force est d’admettre qu’au plus fort de la pandémie, on ne semblait pas faire partie des priorités.
Faut se l’avouer, on s’imagine mal Céline Galipeau, entre deux segments sur les vagues de décès en CHSLD, se lancer dans une envolée lyrique sur les plaisirs estivaux des jeunes.
Qui sème le doute…
Alors, la situation dans laquelle on opérait à tâtons a réveillé en moi quelque chose de mortel pour tout entrepreneur: le doute. Ce parasite aussi fatal qu’un cancer peut vous gangrener jusqu’à vous faire perdre tout espoir de survie.
Y a pas juste les personnes atteintes de la COVID qui ne goûtent plus rien. Les entrepreneurs qui doutent peuvent parfois perdre le goût de persévérer et de se dépasser.
Le doute est insidieux. Dès qu’il t’habite, il te quitte difficilement.
Cela dit, il ne faut pas confondre doute et nervosité. La nervosité peut être bénéfique: elle oblige à contre-vérifier, elle pousse à se remettre en question et amène à s’améliorer.
La nervosité, c’est l’état d’esprit d’un boxeur: tu es sur tes gardes, ton instinct de survie est amplifié et ta vision périphérique est aiguisée. Quand tu sors du ring, la nervosité s’estompe et elle revient seulement quand tu en as besoin à nouveau.
Le doute est insidieux. Dès qu’il t’habite, il te quitte difficilement. Contrairement à un pressentiment, le doute ne peut pas être chassé par la raison puisqu’il naît d’une explication plausible.
C’est comme ne plus avoir confiance en son ou sa conjoint.e, partenaire d’affaires ou une personnalité connue tombée noyée sous une vague de dénonciations. Il y a un lien qui s’est brisé et qui demanderait un important événement pour rétablir la confiance.
… récolte l’incertitude et la paralysie
À travers la crise sanitaire, j’avais 1001 décisions à prendre par jour. Quelles tâches faut-il prioriser? Quelles dépenses réduire? Quels employés remercier? Tant de choix de Sophie à faire, et ce, en si peu de temps.
Le contexte fait en sorte que tu as peur de l’échapper, de prendre une décision trop précipitée ou d’oublier quelque chose. C’est là que le doute s’installe: est-ce que j’ai pris les bonnes décisions? Est-ce que j’aurais pu faire mieux? Est-ce que j’ai fermé le rond du poêle avant de partir?
Ton esprit n’est plus mobilisé à trouver des solutions, il angoisse à l’idée de choisir la mauvaise solution.
Et ça a l’effet de te paralyser. Pas longtemps, mais suffisamment pour hypothéquer ta vélocité et ton agilité dont tu as cruellement besoin à ce moment-là. C’est comme au tennis, si tu remets en question ton prochain déplacement, c’est une fraction de seconde de perdue qui risque de te coûter un point (ou un 15, pour les amateurs).
Ton esprit n’est plus mobilisé à trouver des solutions, il angoisse à l’idée de choisir la mauvaise solution.
Retour aux sources
Ce que j’ai appris de mon parcours sportif, c’est qu’il est possible de combattre le doute. Il n’y a rien de magique dans le processus, même si «faire de la visualisation positive» peut sonner éso pour certains.
Il faut se mettre en position de réussite. Pour ce faire, on commence par revenir à la base. Au tennis, la base c’est de frapper la balle dans le terrain adverse. En entreprise, c’est d’avoir plus de revenus que de dépenses.
Même si c’est souvent sous le couvert de l’argent que ces personnes m’ont aidé, elles m’ont surtout soutenu dans mon combat contre le doute.
Alors, on met de côté les stratégies complexes, on fait des choix évidents, on travaille avec des personnes de confiance et on se projette vers la résolution de la crise. Quand on sent qu’on est sur un bon élan, quand on caresse l’espoir de s’en sortir, le doute s’estompe et l’instinct de combattant se réactive.
En plus, dans mon cas, plusieurs personnes de mon entourage m’ont fait confiance. Que ce soit mon banquier, des fournisseurs ou mes clients, tous m’ont rapidement fait comprendre qu’ils ne doutaient pas en ma capacité à relever ce défi. Même qu’ils étaient prêts à me soutenir dans cette période difficile.
En voyant cette solidarité émerger d’une situation catastrophique, une bouffée d’adrénaline s’empare de moi. Même si c’est souvent sous le couvert de l’argent que ces personnes m’ont aidé, elles m’ont surtout soutenu dans mon combat contre le doute.
Même si à ce jour, je cours partout, que je perds parfois le contrôle et que rien n’est prévisible (à part les tirades sur les nids-de-poule au printemps), quand je me demande «mais qu’est-ce que je fais?», je me dis «je m’en vais chasser le lion».