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Le pari d’Alexane Drolet

La journaliste lâche Radio-Canada pour se lancer sur YouTube.

Par
Florence La Rochelle
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C’est une Alexane un peu tendue que je rejoins par vidéoconférence en direct de Québec. Les derniers jours ont été mouvementés pour l’ex-journaliste de Radio-Canada qui a quitté son poste mercredi dernier pour lancer Alexplique, une chaîne YouTube où elle compte produire des reportages de façon complètement indépendante.

Celle qui dit s’inspirer des « grands YouTubeurs de l’information », comme Gaspard G et HugoDécrypte, ne s’attendait pas à un tel enthousiasme : à peine une semaine s’est écoulée depuis son annonce et déjà, sa chaîne compte près de 15K abonnés et son audience sur Instagram a triplé, frôlant les 25K abonnements.

Je l’ai rencontrée pour comprendre ce qui l’a motivée à tourner le dos à la paye et à la stabilité que lui prodiguait le diffuseur public pour gagner sa vie sur YouTube. C’était l’occasion de parler de ses doutes, de ses réflexions sur le financement du journalisme, du rôle des commanditaires et de la place qu’on peut (ou pas) occuper comme créatrice de contenu crédible en dehors des institutions traditionnelles.

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Est-ce que tu ressens beaucoup de pression suite à l’enthousiasme des derniers jours ?

Oui, vraiment. Il y a de l’engouement, et on me demande souvent : « Ça commence quand, les nouvelles? Ça commence quand? »

En fin de semaine, j’ai pas dormi, j’ai braillé, je me suis sentie complètement overwhelmed. Dimanche, je suis allée au resto avec mon chum pour la première fois depuis longtemps. Pendant une heure, on a essayé de ne pas parler d’Alexplique, mais on n’en a pas été capables. On n’arrêtait pas de se demander : « Ça va être quoi le gros coup d’éclat? Sur quoi je vais faire ma première vidéo? Comment je vais faire pour livrer ma première vidéo avant mercredi? » D’ailleurs, ma première vidéo YouTube, je l’ai terminée à 1h du matin, avec l’aide de mon chum.

Mais c’est une belle pression. Je ne veux pas dénigrer tout cet enthousiasme dont les gens font preuve face à mon projet.

Bénéficies-tu d’un bon coussin financier pour te lancer là-dedans?

Non. Pas assez.

J’ai un bon filet de sécurité : des parents, un chum. On a une vision, je sais que ça va bien aller.

Sinon, j’ai ma paye de départ de Radio-Canada qui va me permettre de tougher l’été.

Je pourrais ne pas avoir de revenu pendant 6 mois et je serais correcte.

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Mais je sais déjà que ça ne sera pas le cas : je vais en avoir, des revenus, parce qu’il y a déjà des compagnies qui embarquent [comme commanditaires]. Je les avais contactées avant de faire le move.

J’habite à côté des plaines d’Abraham et de l’avenue Cartier, à Québec. Je suis allée voir des commerces qui me connaissent déjà de nom. Je leur ai demandé s’ils voulaient embarquer et la réponse a été plus que positive. C’est là que j’ai compris que des entreprises tentaient de placer leur budget marketing ailleurs qu’en télé ou en radio en ce moment. Moi, je leur propose une solution, et je ne suis pas une influenceuse qui pourrait nuire à leur image avec des stories où on me voit faire le party.

Comment t’es-tu préparée à faire cette transition?

Avant de me lancer, j’ai discuté avec des gens en qui j’ai confiance. J’ai pris un café avec Daniel Henkel, Pierre Lavoie et Olivier Primeau – des gens qui m’inspirent. Si on m’avait dit que c’était une mauvaise idée, j’aurais reconsidéré.

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Moi, dans ma vision, je visais 1000 abonnés YouTube dans les deux premiers mois. Là, je vais atteindre les 15 000 abonnés d’ici la fin de la journée.

J’avais zéro planifié ce boom-là et j’ignore encore quand ça va payer.

J’ai aussi toujours su que je n’avais pas une personnalité de fonctionnaire, d’employée de bureau. J’ai le feu aux fesses. J’allais sûrement pas faire 35 ans dans la même boîte.

Bref, tout le monde me dit que c’est courageux, mais entre toi et moi, si je n’arrive plus à payer mon loyer, je n’aurai aucun problème à me chercher un nouvel emploi.

Penses-tu qu’il est possible de faire du contenu sponsorisé tout en faisant du journalisme?

Je pense bien que oui. Beaucoup militent depuis longtemps pour augmenter les subventions gouvernementales pour que l’argent aille là où les yeux des gens sont. Si on y allait de manière proportionnelle avec les cotes d’écoute de la télé et du web, plus d’argent irait aux créateurs et ils n’auraient pas besoin d’être commandités.

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En ce moment, on remet en question le financement de contenu. Selon moi, le temps presse que l’on offre du journalisme fiable en ligne. Moi, je me lance sans ces subventions-là, donc j’ai pas le choix d’avoir l’appui de compagnies. Je parle de pizza, de café, de course, parce que j’aime déjà ces affaires-là.

Après, les gens pourront juger si mes commanditaires se sont ingérés dans mon contenu!

Et du placement de produits, il y en a en masse dans nos contenus télévisuels. Il y en a dans Indéfendable, à Bonsoir bonsoir!

Quelle est ta limite avec le contenu sponsorisé?

À la seconde où il y a une compagnie qui voudrait faire avancer quelque chose ou dire quoi que ce soit sur les sujets que j’aborde, je ne m’affilierais pas avec cette compagnie.

D’ailleurs, je dis « compagnies », comme s’il allait y en avoir plusieurs. Ça va sûrement être trois ou quatre, pas plus que ça.

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Je comprends que pour l’instant, c’est un one woman show. Penses-tu éventuellement te monter une équipe?

Oui, ça serait vraiment cool. C’est juste que de penser à engager quand il n’y a pas encore une cenne qui soit rentrée, c’est un peu stressant.

Dans la dernière semaine, j’ai eu trois demandes de stage, des jeunes qui souhaitent apprendre avec moi. Je suis flattée, mais je suis aussi, comme : « Je sais même pas encore comment publier ma vidéo sur YouTube (rires)! » D’autres m’ont contactée parce qu’ils veulent faire du montage de façon bénévole, juste parce qu’ils aiment mon projet.

Mais d’un autre côté, je ne veux surtout pas qu’on pense que je veux créer une nouvelle entreprise médiatique. Ma chaîne est à mon nom, justement parce que je veux que ça reste à mon image.

Tu as dit vouloir commencer à documenter ta vie. Prévois-tu partager un peu plus tes valeurs et tes opinions?

Tout le monde qui s’y connaît en journalisme m’a conseillé de nommer mes biais d’avance. Il y en a tout le temps. On est tous humains.

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Cette game-là, de dire : « Moi, je suis journaliste, donc je serai constamment neutre », ça m’énerve un peu. Je vais toujours le mentionner si je traite d’un sujet qui me touche un peu plus. Je pense qu’on est une génération qui s’identifie beaucoup plus à des visages qu’à des institutions et à des logos.

Quel est ton rapport au contenu « clickbait »?

Je pense que c’est un mal nécessaire. […]

Oui, j’embarque dans la game d’avoir un bon thumb et un bon titre. C’est le nerf de la guerre. Les émissions de télé le font pour avoir de grosses cotes d’écoute, et moi, je vais le faire pour avoir des vues.

Évidemment, j’irai pas dans les extrêmes, parce que je ne veux pas perdre la confiance des gens.

Pourquoi avoir choisi YouTube comme plateforme principale pour diffuser ton contenu?

On dirait que c’était d’entrée de jeu la plateforme la plus efficace pour faire de la vidéo de qualité tout en étant rémunérée.

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Il va falloir le vivre pour voir à quel point ça peut rapporter. C’est encore trop tôt pour le dire.

Penses-tu à éventuellement migrer une portion de tes contenus vers Patreon?

Beaucoup de gens m’ont demandé comment ils pouvaient me soutenir. J’étais très mal à l’aise avec ça dans les premiers 24 h, surtout que le projet n’avait toujours pas pris forme. Ensuite, je me suis dit : « Bien, pourquoi pas? » Alors oui, j’ai créé un Patreon.

Comptes-tu continuer à revendiquer ton titre de journaliste?

Si, dans quelques mois, on en vient à la conclusion que je suis plus journaliste, ça ne me dérange pas du tout, même si je compte faire du contenu de qualité.

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Je n’éprouve pas de malaise à ce sujet parce que Gaspard G et HugoDécrypte, c’est pas des journalistes. […] Moi, j’ai mon bac, je vais toujours l’avoir. J’ai aussi l’expérience des salles de nouvelles, mais si le Conseil de presse ou la Fédération professionnelle des journalistes, tranche et déclare : « Alexane n’est pas une journaliste parce qu’elle fait de la pub en plein milieu des reportages », je répliquerai : « Vous avez raison. »

Je pense qu’on est beaucoup de journalistes à stiquer sur le mot « journaliste », puis si j’en déçois plusieurs de ma profession ou si ma profession se sent attaquée par ce que je fais, ils peuvent eux-mêmes décider que je ne suis plus journaliste.

Moi, je suis convaincue que le contenu restera pertinent et de qualité.