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Le modèle de la « mère parfaite » vous pousse au bord du gouffre

La maternité intensive, vecteur de pression pour les femmes occidentales.

Par
Laurence Niosi
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Des mères qui sont complètement dévouées à leurs enfants. Dont tout le temps, l’énergie et les ressources se dirigent vers eux parce qu’elles seules, sont responsables du bien-être de ces petites personnes. Bienvenue dans la « maternité intensive ».

Si le concept n’est pas connu de tous, quelle mère n’a pas ressenti cette pression d’allaiter le plus longtemps possible? D’être une mère parfaite qui se donne corps et âme à ses enfants sans jamais se plaindre? De vivre pour ses enfants plus que pour elle-même?

En 1996, la sociologue américaine et féministe Sharon Hays a développé une expression afin de décrire cette pression, « la maternité intensive » (« intensive mothering »). Selon Hays, il s’agit d’une idéologie qui définit la maternité comme « centrée sur l’enfant, guidée par des experts, absorbante émotionnellement, exigeant beaucoup de travail et coûteuse sur le plan financier. »

Cette idéologie ou modèle culturel, qui valorise le maternage à temps plein, n’est toutefois « ni naturel en soi, ni, dans un sens absolu, nécessaire ; c’est une construction sociale », poursuivait-elle.

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Un modèle peu adapté

S’il n’est pas nouveau, le concept est toujours d’actualité, relève Chantal Maillé, professeure en études des femmes à l’Université Concordia. « Ce à quoi l’auteure faisait référence, c’est cette idée qu’il y a contradiction dans les demandes que l’on adresse aux femmes, soit d’être performantes sur le marché du travail, et de devoir répondre à des exigences toujours plus hautes par rapport à leur maternage », explique-t-elle.

La professeure Maillé, qui est aussi codirectrice du Réseau québécois en études féministes (RéQEF), voit dans cette idée de la maternité intensive un concept hétéronormatif bien ancré dans la société occidentale blanche et aisée.

« Ces valeurs ne traduisent pas la complexité des modèles dans la société occidentale. Par exemple, les femmes noires, elles, travaillent depuis toujours. Elles n’ont jamais été majoritairement au foyer », illustre-t-elle.

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Pas évident, donc, de concilier la maternité intensive avec notre contexte de vie actuel. Dans un essai pour The Week, la journaliste A. Rochaun Meadows Fernandez estime que la parentalité ne doit surtout pas faire obstacle aux ambitions personnelles des femmes (une évidence, diront certains!). « Nous devons garantir, et aller au-delà du strict minimum, comme les congés payés et la garde d’enfants universelle, et remodeler la société vers une culture où les efforts des parents sont reconnus », écrit-elle.

L’ère de la performance

Reste que de nombreux parents québécois, surtout les mères, ressentent la pression de « performer », ce que la psychologue Lory Zephyr qualifie de « parentalité de performance », qu’on peut voir à différents degrés dans les concepts de « maternité intensive », mais aussi de « maternité positive » et de « parents hélicoptères ». Ou encore dans celui du « parentage proximal », qui se base sur certaines pratiques jugées fondamentales comme le portage, l’allaitement plus long et le cododo.

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Les médias sociaux peuvent aussi contribuer à décupler ce sentiment de culpabilité. Ici, on peut penser à ces Instamoms qui entretiennent l’image de la « mère parfaite », tout sourire, épanouie par l’expérience d’allaitement ou de maternité. On peut penser également aux « trad wives », ce mouvement qui prône le retour des femmes au foyer où elles se dévouent à leur époux et à leurs enfants. Toutes ces créatrices de contenu véhiculent à leur manière un rôle très genré, soit l’image d’une mère sacrificielle.

Heureusement, Chantal Maillé observe que les femmes de nombreux pays occidentaux rejettent de plus en plus ce modèle de la « mère intensive ». Comment? En faisant peu ou pas d’enfants. En 2022, l’indice de fécondité au Québec s’établissait à 1,49 enfant par femme.

« Les femmes manifestent avec leur ventre. […] Beaucoup de femmes ne sont pas intéressées à avoir des enfants. Et souvent, c’est par refus de se conformer à des exigences impossibles », souligne-t-elle.

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En 2013, dans son essai Les tranchées, Fanny Britt traduisait déjà ce malaise. En cette ère de performance, l’autrice ne se reconnaissait dans aucune maternité, qu’elle soit « intensive », « indigne » ou « grano ». « Toutes ces maternités m’apparaissaient comme des planètes, parfois scintillantes, parfois inspirantes, parfois déplorables, mais toujours des planètes : lointaines, étrangères », écrivait-elle dans un plaidoyer pour l’ambiguïté.

Et c’est sûrement ce à quoi plusieurs d’entre nous aspirent : une maternité plus ambiguë et imparfaite, bref, moins intensive.

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