Charles a eu trois ans en décembre dernier. Je me souviens parfaitement du jour où j’ai appris que j’étais enceinte.
Je me souviens du jour où j’ai entendu battre son cœur pour la première fois, de l’échographie qui nous a appris qu’il s’agissait d’un garçon, de l’avoir caressé pour l’aider à passer ses hoquets dans mon ventre. Je me souviens du jour de sa naissance, après 24 heures de travail dont 3 heures de poussées, des longues nuits entrecoupées de pleurs, de ses premiers pas vers son oncle Nico et de ses éclats de rire quand les moustaches du chat chatouillaient son nez. Je me souviens de tout, tout comme je me souviens du jour où on nous a confirmé que Charles était autiste. C’était le 11 octobre 2013. On savait depuis plusieurs mois qu’il y avait quelque chose. On commençait d’ailleurs à suspecter un trouble du développement mais, malgré tout, le jour où son orthophoniste a confirmé nos soupçons, on était anéantis. On venait de perdre notre fils. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps de l’injustice qui s’abattait sur nous. Je pleure encore souvent.
Fonder une famille vient du besoin qu’on ressent en vieillissant de créer ses propres histoires. Et on s’est lancés dans l’aventure tête première, impatients de goûter aux joies de la famille mais…
Apprendre que son enfant est atteint d’autisme fait partie des choses qu’on ne souhaite pas. Un diagnostic d’autisme, ça vient avec beaucoup d’incertitudes et peu de réponses aux questions. Personne ne connaît la cause exacte de l’autisme. On ne peut pas l’éviter, ça ne se dépiste pas. Ça ne se guérit pas. Chaque cas est unique. On dit qu’il y a autant d’autismes que d’autistes. C’est pourquoi quand un diagnostic de TSA (troubles du spectre autistique) est posé, les spécialistes n’arrivent pas à confirmer aux parents si l’enfant intègrera l’école régulière ou même s’il parlera couramment. Ça fait peur d’entendre ça. Par contre, une chose que les spécialistes s’assurent de faire comprendre aux parents, c’est qu’un autiste pourra évoluer tout au long de sa vie. Alors, en tant que parent, la seule chose à faire c’est de se concentrer là-dessus et de se retrousser les manches.
Car après tout, si l’autisme ne se guérit pas, ça se traite. Ça se traite, entre autres, en orthophonie – parce que les TSA s’accompagnent souvent d’un trouble de langage –, en ergothérapie – pour aider l’enfant à apprendre à vivre avec ses particularités sensorielles – et en éducation spécialisée – pour plein de raisons –, mais globalement pour équiper l’enfant à passer au travers des situations angoissantes plus facilement.
Pour l’instant, notre bonhomme est suivi en orthophonie. Il commencera à être suivi par une équipe multidisciplinaire dans les prochains mois. Déjà, il a fait d’énormes progrès mais la partie n’est pas gagnée. On est chanceux, il aime parler, ce qui n’est pas le cas de tous les autistes. Son cerveau n’est juste pas capable de faire les connexions nécessaires pour lui permettre d’y arriver facilement. Tout comme il ne lui permet pas de comprendre pourquoi il faut demander les jouets et non les enlever aux amis, ou encore qu’il est amusant de jouer en groupe plutôt que tout seul.
La situation de Charles occasionne aussi beaucoup de crises, pas toujours aux bons moments ni aux bons endroits. On y a goûté au Ikea, à l’épicerie, à la garderie, à la clinique pédiatrique, pendant les soupers de famille et j’en passe. Au début, on redoutait le regard des autres parents, mais rapidement on s’est aperçus qu’on pouvait facilement vivre avec, voire y être complètement indifférents. Mais on ne se serait jamais doutés que le regard des enfants nous bouleverserait autant. Peut-être parce qu’on sait qu’ils ne sont pas en mesure de comprendre ce qui se passe quand Charles est en crise. Après tout, comment comprendre ce qui n’a jamais été expliqué ? Il faudrait pourtant qu’on leur explique. La plupart d’entre eux vont côtoyer un jour ou l’autre un ami autiste à l’école. Les statistiques sont en hausse et on dit aujourd’hui qu’un enfant sur cent est atteint. Mais comment leur expliquer pour leur permettre de bien comprendre ? Même pour nous, qui vivons avec cette problématique au quotidien, c’est difficile de trouver les bons mots. Je crois qu’il faut d’abord et avant tout leur faire voir que c’est correct d’être différent, que la différence chez un enfant autiste n’est pas visible au premier coup d’œil et que c’est normal que ça surprenne au début.
Être différent pour un autiste, ça peut vouloir dire faire des choses de façon répétitive (comme sautiller ou se secouer les mains) pour s’aider à contrôler une émotion forte, qu’elle soit agréable ou non. Est-ce que ça peut devenir un jeu en groupe ? Je ne sais pas, j’imagine que oui. Chose certaine, ça vaudrait la peine d’essayer.
Être différent, ça peut passer par la façon dont l’enfant perçoit les choses ; les autistes peuvent avoir une hypersensibilité ou une hyposensibilité. Cette condition fait en sorte que des choses tout à fait anodines pour vous et moi, comme le vent sur notre visage ou la lumière du soleil, leur procurent un inconfort tellement grand que ça cause des réactions très fortes, parfois déstabilisantes pour ceux qui en sont témoins. N’ayez pas peur, ça va passer… Pour nous, cela a voulu dire rester à l’intérieur toutes les fins de semaine cet hiver parce que Charles gère difficilement le froid sur son visage. Ce n’est pas faute d’avoir essayé des activités extérieures amusantes, il n’y arrive simplement pas.
Il faut aussi qu’on dise aux autres enfants qu’un autiste doit travailler souvent plus fort pour comprendre des choses plutôt simples, pas parce qu’il est « stupide », mais parce que son cerveau lui demande de prendre des chemins différents pour y arriver. Mais ce que je souhaite le plus, c’est qu’on dise aux enfants qu’avec un peu de patience ils peuvent devenir le meilleur allié de leur ami autiste, simplement en jouant avec lui.
Maintenant que j’apprends à vivre avec l’autisme, je sais que Charles a beaucoup à nous apprendre et que son univers est fascinant et souvent beaucoup plus excitant que le nôtre. Il est vrai que ses particularités demandent beaucoup d’énergie et d’adaptation dans tous les aspects de notre quotidien. Malgré tout, quand je vais l’embrasser le soir en me couchant, je ne vois pas l’autiste, je vois le petit homme sensible, affectueux, espiègle et enjoué qu’il est devenu.
Encore aujourd’hui, je fais le deuil de l’enfant que j’ai imaginé voir grandir. Nos vies ne seront plus jamais les mêmes. On rêvait d’être quatre, on sera probablement juste trois finalement. C’est ce qu’on a décidé pour l’instant. On n’a pas le choix si on veut pouvoir prendre Charles par la main et l’accompagner dans son cheminement. Parce que c’est notre devoir de parents, mais surtout parce qu’on l’aime plus que tout.
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