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Le gouvernement vient de couper dans les congés parentaux et personne n’en parle

Une réforme de la RQAP qui coûte cher aux mères.

Par
Marie-Ève Martel
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À la mi-juin, le gouvernement du Québec a annoncé que les cotisations au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) seront diminuées de 8% à compter du 1er janvier prochain. En théorie, il s’agit d’une bonne nouvelle pour les travailleurs qui verront leur retenue de paie diminuer. Mais les travailleuses, elles, seront pénalisées si elles deviennent mères.

Une baisse de 8 % de cette somme – dont le maximum est établi à 484,12 $ pour 2025 –, ça peut sembler bien peu comme congé de cotisations. Tout au plus, on parle de quelques dizaines de dollars par travailleur en bout d’année.

Pour le gouvernement, cela représente « l’injection d’environ 270 millions de dollars dans l’économie québécoise » et « des économies annuelles estimées à 150 millions de dollars pour les employeurs et 120 millions de dollars pour les Québécois salariés, les travailleurs autonomes et les ressources intermédiaires et de type familial », indique le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale dans un communiqué.

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Toutefois, ces économies se font-elles sur le dos des mères qui perdront une portion importante de leurs revenus pendant leur congé parental?

« Pénalité programmée »

C’est l’avis d’Élizabeth Brosseau qui, en plus d’être une jeune maman, est l’instigatrice du mouvement Ligne d’arrivée, qui milite pour revoir les mesures fiscales, légales et sociales qui résultent en ce qu’elle appelle la « pénalité à la maternité ».

« C’est une pénalité programmée, explique Élizabeth. Aussitôt que tu tombes enceinte, et jusqu’à ta retraite, tu accumules un retard financier par rapport à ceux qui n’ont pas d’enfants. »

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Déjà, comme la Loi sur les normes du travail ne prévoit pas de congés payés pour des rendez-vous liés à un suivi de grossesse, de nombreuses personnes enceintes doivent se priver d’une partie de leur salaire ou doivent travailler davantage pour compenser les heures passées en clinique. « On a le droit de se rendre à nos rendez-vous, mais on nous demande de travailler comme si on n’était pas enceintes », résume Élizabeth.

Elle cite une étude du CIRANO publiée en 2020 et dans laquelle on apprend que « les mères [québécoises] retrouvaient des revenus d’emploi similaires à ceux des femmes sans enfants quatre ans après ladite naissance ». Dans cette même étude, il est dit que les mères perdent en moyenne 30 % de leur revenu après la naissance de leur enfant, en raison du plafond des prestations du RQAP (qui correspond à 75 % ou 55 % du salaire, dépendamment de la durée du congé parental), et « dix ans après, il subsiste toujours un écart d’environ 20 % » entre la trajectoire de leurs revenus et celle de leur partenaire, alors qu’elles étaient identiques avant qu’ils n’aient un enfant. L’étude en profite également pour souligner que les hommes ne sont pas en proie au même phénomène.

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De plus, durant le congé parental, il n’est pas possible de cotiser à la Régie des rentes du Québec (RRQ) et à son REER, souligne Élizabeth. « C’est parce que le RQAP n’est pas considéré comme un revenu de travail. C’est du patrimoine que tu perds et qui ne peut pas fructifier jusqu’à ta retraite. »

Une étude de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques indique d’ailleurs que l’exclusion des prestations du RQAP dans le calcul du plafond de cotisation à un REER entraîne des pertes financières pouvant atteindre de 4 384 $ à 130 792 $ pour les mères. Pour arriver à un tel résultat, les auteurs de l’étude ont étudié plusieurs scénarios qui tiennent compte du nombre d’enfants, du revenu du conjoint, de la durée d’investissement dans le REER et du rendement des placements.

« C’est vraiment poche de réaliser qu’à la fin de ta vie, parce que tu as donné naissance, tu n’auras pas accumulé autant de REER que d’autres parce que le gouvernement t’a empêché de cotiser pendant ton congé parental », lâche-t-elle.

« Maintenir les plus vulnérables en situation de précarité »

Depuis 2016, le gouvernement a diminué le taux de cotisation au RQAP à quatre reprises. Autant d’opportunités ratées de revoir le régime à la faveur des mères et des personnes les plus précaires, déplore Élizabeth.

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« Quand il y a un surplus dans le fonds, le gouvernement a deux options : soit il améliore le régime, soit il baisse les cotisations, explique-t-elle. Chaque fois, le gouvernement a tourné le dos aux personnes en situation de précarité programmée. »

La mère de famille rappelle que les cotisations et les prestations sont calculées en fonction du salaire, ce qui rend les personnes ayant un petit revenu encore plus vulnérables.

« Bref, dans sa forme actuelle, le RQAP maintient les personnes dans une situation de précarité », dénonce-t-elle.

Qui plus est, environ 20 % des personnes ayant donné naissance ne touchent pas de prestations du Régime québécois d’assurance parentale. « Les chercheurs ne parviennent pas à déterminer la raison derrière ces choix, explique Élizabeth. Est-ce que c’est parce que ces personnes ne connaissent pas le régime? Parce qu’elles n’y sont pas admissibles? Ou bien parce qu’elles ne prennent pas de congés? »

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Ce qu’on sait, c’est que ce 20 % serait composé de « femmes encore aux études, de femmes qui ont plusieurs enfants et qui s’absentent du marché du travail pendant plus d’une année, d’immigrantes récentes, de femmes qui prennent soin d’un proche malade ou handicapé, des femmes vivant dans des régions éloignées où il y a peu d’emplois pour les femmes, des femmes ayant des contraintes physiques ou mentales qui limitent leur capacité à exercer un emploi rémunéré [ou] des personnes qui ont un permis de résidence temporaire, dont les personnes réfugiées et des étudiantes et étudiants étrangers », apprend-on dans un mémoire présenté par 26 groupes de femmes, de groupes communautaires et d’organisations syndicales en 2020.

L’égalité des chances pour toutes

Si Élizabeth Brosseau a nommé son mouvement « Ligne d’arrivée », c’est parce qu’elle souhaite qu’un plus grand nombre de mères puissent franchir cette ligne invisible en ayant autant de chances que les personnes qui n’ont pas d’enfants.

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Au Québec, avec une moyenne de 80 000 naissances par année, ce sont des centaines de milliers de parents qui sont pénalisés. Et, avec la baisse de cotisation annoncée, ça ne risque pas de s’améliorer, prévient Élizabeth.

« Ma mission, c’est de mettre sur pied un projet qui pourra donner une voix à toutes les femmes qui donnent naissance, et les futurs parents, explique-t-elle. Il faut des changements au RQAP et dans la Loi sur les normes du travail. »

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