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Le « fit » en recrutement : un outil de discrimation?

Est-ce que ce critère d’embauche extrêmement subjectif serait dépassé?

Par
Vincent Descôteaux
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C’est moi, ou il y a quelque chose de vraiment étrange dans le fait qu’être un bon « fit » avec une équipe de travail soit un critère décisif d’embauche?

Il faut dire que d’après la Society for Human Resource Management, embaucher un employé qui ne « fit » pas dans la culture de l’entreprise pourrait coûter à celle-ci 50-60% du salaire annuel de cet employé. Mais est-ce qu’on tend pas un peu à confondre le « fit » avec les valeurs de l’entreprise avec les affinités personnelles de la personne chargée du recrutement? La question se pose.

Ce sont nos compétences, nos études et nos expériences professionnelles qui nous font décrocher l’entrevue. Pourquoi, par la suite, est-ce l’appréciation (un peu subjective qu’on se le dise) que nous porte la personne responsable du recrutement qui détermine si on obtient le poste?

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Quand ça arrive, on est pas très loin de la définition-même d’une situation discriminatoire. À long terme, les compagnies sont perdantes en continuant d’appliquer ce système dépassé. Discutons-en.

Les extravertis gagnent (toujours?)

Je préfère commencer par dire que j’écris ce texte avec une perspective d’homme privilégié. Je vais critiquer des choses dont je crois avoir profité dans ma vie. Voilà, c’est dit.

Je suis très à l’aise et efficace en entrevue. Visuellement, mon CV n’a franchement rien de remarquable, mais si je me rends à l’étape durant laquelle je discute avec la personne qui embauche, j’obtiens généralement le poste.

Je m’y connais dans l’art d’impliquer un public – j’ai une formation en animation de foule. Heureusement pour moi, ça s’adonne que ça ressemble beaucoup au fait de passer une entrevue : un mélange d’écoute active et de sens de la répartie.

C’est normal, de se montrer engagé et divertissant envers quelqu’un avec qui on échange, surtout dans un cadre professionnel. Ça peut aussi porter le recruteur à croire que si on travaillait avec lui au quotidien, on aurait tout autant de plaisir, de 9 h à 17 h, du lundi au vendredi. Mais la vérité, c’est qu’aucun métier ne ressemble à une entrevue d’embauche.

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Pour cette raison, les personnes extraverties ont un avantage énorme.

Des cliques dans le monde des adultes

Vous pensiez échapper à la dure réalité de la polyvalente où de petits groupes de gens ayant des points communs se tiennent ensemble et font la loi ? Eh bien, j’ai le malheur de vous annoncer que c’est quelque chose d’encore très présent dans les milieux professionnels.

En entrevue, des questions qui n’ont absolument rien à voir avec le poste pour lequel vous appliquez vous seront peut-être posées afin de vérifier si vous risquez de bien vous entendre avec vos futurs collègues.

Une enquête sur l’embauche des firmes d’élite a d’ailleurs démontré que les recruteurs embauchent essentiellement en se basant sur le biais de similarité, un critère tout ce qu’il y a de plus subjectif : on recherche quelqu’un qui est un « match » personnel et non pas organisationnel. Faut le faire : il existe même le « airplane test » où les recruteurs choisissent la personne en fonction de s’ils auraient envie de se retrouver coincés à attendre un avion durant un voyage d’affaires avec eux.

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Si vous êtes comme moi et que vous préférez fêter Noël avec votre famille plutôt que dans un party d’employés, il se pourrait que le poste aille à quelqu’un qui recherche simultanément un emploi et des amis.

Être compatibles sur papier, mais pas en pratique

J’ai longtemps travaillé pour un grand festival en tant que monteur vidéo qui devait aussi parfois agir sur le terrain en tant que vidéaste. À un certain moment, j’ai eu échos que mes patrons avaient commencé le processus d’embauche d’un nouveau monteur.

La personne qui était de loin la mieux qualifiée parmi les appliquants était un jeune homme handicapé. Il avait toutes ses facultés mentales, le contrôle de ses mains, un bon ordinateur, bref, tout ce qu’il faut… pour faire du montage.

Il n’a pas été rappelé parce qu’il ne pouvait pas physiquement accomplir des tâches qui ne figuraient pas concrètement sur le contrat d’embauche et l’offre d’emploi (la partie vidéaste)…

Tout ça pour dire qu’il arrive assez souvent que l’offre d’emploi ne soit pas fidèle à la vraie job. C’est généralement parce qu’on ne peut pas les écrire sans devoir en augmenter le salaire.

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Je reconnais que c’est moins cher d’engager une personne qui accepte de faire deux emplois pour un seul salaire. Par contre, ce n’est pas parce que le calcul fonctionne que c’est raisonnable… ou éthique

Faire appel aux firmes de recrutement externes

Bref, c’est désolant de constater à quel point le monde des ressources humaines a construit le processus d’embauche sur l’extrême subjectivité de ses recruteurs… mais rassurez-vous, il existe quelques pistes de solutions.

Par exemple, on peut maintenant faire appel aux firmes de recrutement externes. Elles font le processus d’embauche du début à la fin, en gardant une distance professionnelle qui permet plus d’objectivité. Après tout, elles ne sont pas influencées par la dynamique de bureau, car elles ne cherchent pas à engager un futur collègue. Elles se basent donc uniquement sur les compétences des candidats pour faire leurs choix.

Ceci dit, les faits sont les suivants : le processus d’embauche dans la forme qu’on la connaît peut facilement se transformer en un concours de popularité basé sur des intérêts communs ou encore le niveau d’extraversion.

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Ce constat est plutôt triste, mais il y a de l’espoir, car tôt ou tard, les gens qui ont souffert de ces jugements seront ceux qui vont faire passer les entretiens d’embauche. C’est donc en en parlant (ou en écrivant) sur le sujet qu’on va peut-être changer le système et normaliser le fait d’engager des gens moins divertissants, mais plus compétents.