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Le deuil périnatal, plus gros tabou de la parentalité ? 

Il faut en parler pour guérir.

Par
Aurélia Crémoux
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Le deuil périnatal demeure extrêmement tabou dans notre société. On en parle très peu : pourtant, le risque de mortinaissance, soit lorsque le bébé meurt après 20 semaines de grossesse, représente entre 3 et 5 cas sur 1000 au Québec selon L’Observatoire des tout-petits.

C’est ce qui est arrivé à Laurie, Alizée et leurs conjoints respectifs.

Un véritable choc

Au cours de la troisième échographie au CHUM, la médecin annonce à Alizée et son conjoint que le cœur de leur bébé s’est arrêté. Après l’administration de deux cachets de misoprostol pour ouvrir le col et déclencher les contractions et une épidurale, Alizée accouche vaginalement. « Pour moi qui voulais accoucher en maison de naissance de manière non médicalisée, ça a encore plus été un choc », raconte Alizée.

« Après l’accouchement, si tu le souhaites, tu as le droit de passer autant de temps que tu veux avec ton bébé », m’explique Alizée.

« Ensuite, les parents doivent prendre une décision pour la dépouille de leur bébé. Soit l’hôpital s’en occupe, soit les parents font appel au service funéraire de leur choix. »

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« Le retour de l’hôpital était très difficile. D’abord, je sentais mon ventre comme une coquille vide », confie Alizée. «Tu as tous les symptômes négatifs du post-partum : descente d’hormones, fatigue, douleurs, tristesse, sans pouvoir compenser avec la présence du bébé », poursuit-elle.

La personne qui accouche a droit au congé de maternité de 15 à 18 semaines du RQAP alors qu’aucun congé n’est prévu pour les conjoints.e.s. La sage-femme a tout de même prescrit un arrêt de travail d’un mois renouvelable au conjoint d’Alizée. Le couple a ensuite dû faire les demandes et contacter leurs employeurs pour obtenir les documents nécessaires. « C’est mon conjoint qui l’a fait, car j’en étais incapable », me confie Alizée. « J’aurais aimé qu’on nous propose un soutien administratif. »

Alizée bénéficie actuellement d’un suivi psychologique d’un an, qui peut se poursuivre si elle entame une autre grossesse. Toutefois, le bureau de sa psychologue se trouve dans le même établissement où elle a accouché. « Quand je vais à mon rendez-vous, j’arrive juste à l’heure et je me mets dos aux femmes enceintes et aux bébés », confie Alizée.

Faire face à l’entourage

Au bout de 20 semaines, lors d’une échographie fœtale, les médecins détectent un retard de croissance et une anomalie au cerveau du bébé de Laurie. Après une amniocentèse, ils décèlent à sa fille une anomalie génétique très grave qu’ils n’avaient jamais vue. Elle fait alors le choix d’interrompre sa grossesse. « C’est une décision qui marque la vie », confie-t-elle.

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Laurie a accouché peu avant le début de la pandémie. « J’ai été très esseulée », note-t-elle. « Ma famille a vu le bébé à la clinique, l’a tenu dans ses bras, l’a bercé et ensuite, plus personne n’en a plus jamais parlé », me confie Laurie. Elle est repartie de l’hôpital avec une boîte qui contenait « une multitude de souvenirs » : un chapeau tricoté par des bénévoles, des empreintes en plâtre, un bracelet de naissance, etc. «Même si le cerveau a tendance à effacer, moi, je les aime, ces souvenirs-là », remarque Laurie.

La jeune maman est très rapidement retombée enceinte. Quand elle manifestait sa peine, plusieurs personnes lui ont dit « C’est bon, il y aura un autre bébé ». Elle se rend tous les ans sur la tombe de sa fille au cimetière du Mont-Royal.

« Juste une petite tape dans le dos [de la part de mon entourage], une pensée, ça ferait du bien », avoue Laurie.

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Les parents d’Alizée, qui habitent en France, sont venus la visiter au bout d’une semaine. « Je leur ai tout de suite dit que je ne voulais pas que ça soit tabou », explique Alizée.

Alizée et son conjoint ont choisi de faire appel au service funéraire de leur choix. Ils ont appelé leur bébé Sacha. Ses cendres reposent dans une urne blanche qui a la forme d’un bateau de papier en origami. Ils l’ont placée sur leur meuble d’entrée. « Pour nous, c’est une belle façon d’engager la conversation avec des personnes qui voient cet objet », explique Alizée. Certaines ont d’ailleurs un discours maladroit comme « Vous êtes jeunes, vous en aurez d’autres», alors que les parents ne savent pas encore si ça sera possible.

Pour les deux familles, l’association Portraits d’étincelles est venue faire des photos souvenirs de leur bébé.

Envisager la suite

Au début, quand on demandait à Laurie si c’était sa première fille, elle répondait que non, que la première était décédée. « Ça devenait un cri du cœur : “Non, c’est mon deuxième”. C’est ta bataille et tu voudrais que les gens la partagent avec toi », raconte Laurie.

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Laurie a reçu un diagnostic de choc post-traumatique après son accouchement. Une psychiatre l’a soutenue pendant sa deuxième grossesse. « Ce n’était pas la joie, mais beaucoup de peurs », confie Laurie. Sa deuxième fille a trois ans. « C’est difficile de lui expliquer qu’elle a une grande sœur », explique-t-elle.

Alizée ne sait pas encore ce qu’elle répondra aux gens qui lui demandent si c’est sa première grossesse, dans l’éventualité où elle tomberait à nouveau enceinte. « J’imagine que ça dépendra de la personne et de mon niveau d’énergie pour aborder cette conversation. Ce qui est sûr, c’est que je veux faire exister Sacha », raconte Alizée.

« Tu n’aurais jamais pensé que ça puisse t’arriver. Tu n’as pas envie de penser au pire quand tu attends un enfant », poursuit-elle.

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« C’est notamment parce que ce n’est pas dans l’ordre des choses que c’est un énorme tabou », confie Alizée. « Le fait de mettre des mots dessus, ça fait exister [le deuil périnatal], » explique-t-elle.

Des conseils pour l’entourage, selon Laurie et Alizée

  • Ne pas faire semblant que ce n’est pas arrivé.
  • Offrir un objet, une petite pensée, une chandelle qui rappelle l’enfant après la naissance ou le jour de son anniversaire.
  • Faire attention à ce que l’on dit et aux mots que l’on utilise. Ne pas dire : « Ce serait bien pire si tu l’avais connu » ou « C’est mieux que ça arrive plus tôt que plus tard »
  • Ne pas donner de conseils mais plutôt être à l’écoute, être présent.
  • Donner du temps : par exemple apporter des repas, proposer de l’aide à la maison.
  • Se renseigner au travers de balados, livres et sites d’informations sur le deuil périnatal.
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Des références pour aller plus loin sur le deuil périnatal :

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