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« Lazy girl jobs » : les femmes en croisade contre le culte de la performance

La génération Z n’a jamais été aussi claire : elle recherche l’équilibre de vie.

Par
Florence La Rochelle
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« Il existe plusieurs emplois qui te permettraient de faire 60 à 80 000 $, de ne pas trop travailler et de le faire à distance », expliquait la créatrice de contenu Gabrielle Judge en mai dernier, dans une vidéo qui est devenue virale.

Depuis, le #lazygirljob a généré des millions de clics sur TikTok et Instagram. Armées de leurs robes de chambre et de leurs tasses de thé, des centaines de jeunes femmes ont fait un réel pied de nez à la tendance girlboss et la hustle culture en se filmant en train de faire leur 5-à-9 sans se démener, depuis le confort de leur maison. C’est ce qu’elles appellent leur « emploi de fille paresseuse ».

Pour réellement comprendre la tendance, il faut passer outre la « paresse » évoquée dans son nom. L’idée qui génère l’enthousiasme autour du mot-clic est plutôt que la vie prime sur le travail, ce qui témoigne de la volonté de la nouvelle génération de travailleur.euse.s à entretenir un rapport plus sain à leur emploi.

Sans faire la promotion d’un détachement professionnel total et d’une culture anti-ambition, les « emplois de filles paresseuses » nous disent essentiellement : fini le temps supplémentaire non rémunéré, l’anxiété de performance et la microgestion.

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On veut plutôt faire place à une relation de confiance entre employeur et employé.e, dans laquelle les travailleur.euse.s sont épanoui.e.s, autonomes et gagnent en flexibilité.

Avant de s’intéresser au pan féministe de cette petite révolution, je vous propose de considérer ses implications pour les gestionnaires et les travailleur.euse.s.

Ce que les gestionnaires devraient retenir

Si vous êtes à la tête d’une équipe, comprenez que les besoins de vos jeunes collègues sont en train d’évoluer et qu’il va falloir vous adapter pour les garder. Les « emplois de filles paresseuses » ne sont que le symptôme d’un phénomène plus grand, qu’on a déjà vu poindre avec la Grande Démission et le quiet quitting.

D’abord, les jeunes travailleur.se.s veulent que ce qui importe, ce soit les résultats, plutôt que le temps passé à les atteindre.

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Autrement dit : faites-leur confiance et laissez-les vous prouver qu’ils sont capables de satisfaire vos attentes sans que vous n’exerciez de contrôle étroit sur leur horaire et leurs lieux de travail. Vous le savez très bien : plus que jamais, ils et elles ont accès à des outils technologiques qui boostent leur productivité. Votre rôle est de vous assurer que les objectifs soient clairs et communiqués à tous.te.s, pas de vous incruster dans le travail de ceux et celles qui sont responsables de les atteindre.

Ensuite, sachez que plus que jamais, vos jeunes collègues veulent que vous respectiez leur équilibre de vie. Leur performance ne dépend pas des heures supplémentaires qu’ils et elles sont prêt.e.s à faire, ou encore de leur présence au 5 à 7. Oui, cela veut dire que vous devriez respecter leur droit à la déconnexion et ne pas attendre de réponses de leur part à vos courriels envoyés après 17h.

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Finalement, entretenez un environnement de travail sain qui contribue activement au bien-être de vos collègues. Après toutes ces années à répéter qu’une bonne santé physique et mentale est essentielle à l’efficacité et l’engagement en milieu de travail, la génération Z est prête à voir ses supérieur.e.s passer à l’action.

Ce que les jeunes travailleur.euse.s devraient savoir

Si vous êtes en début de carrière, vous regardez peut-être maintenant votre emploi actuel d’un nouvel œil. Vous voulez vous lancer dans la chasse à l’« emploi de fille paresseuse »? Voici les conseils de nul autre que l’instigatrice de la tendance, Gabrielle Judge.

D’abord, soyez attentif.ve.s à l’état dans lequel se présente le ou la recruteur.euse lors de votre prochaine entrevue. A-t-il ou elle l’air fatigué.e? Stressé.e, peut-être?

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Est-ce qu’il ou elle est arrivé.e. en retard, a l’air pressé.e? Qu’en était-il de la préparation? Peut-être que, par manque de temps ou à cause d’une trop grande charge de travail, l’entrevue a été écourtée ou précipitée? Sans nécessairement sauter aux conclusions, sachez que ce sont tous des drapeaux rouges qui pourraient témoigner d’un milieu de travail toxique.

Ensuite, pendant l’entrevue, assurez-vous de poser des questions qui permettent de comprendre la façon dont les employé.e.s sont évalué.e.s et ce que représente pour eux un.e collègue performant.e. Ça vous en dira long sur les règles non écrites qui pourraient dicter les attentes de vos futur.e.s gestionnaires.

Les « emplois de fille paresseuse » sous la loupe féministe

Maintenant que mes conseils pratico-pratiques sont partagés, intéressons-nous aux raisons pour lesquelles ce mouvement véhicule plus efficacement que jamais l’importance d’un emploi sain.

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Gabrielle Judge est bien claire : les « emplois de filles paresseuses » ne s’adressent pas uniquement aux femmes. Ça n’empêche toutefois pas le mouvement, qui s’empare lui aussi du mot « girl » actuellement en vogue sur les réseaux sociaux, d’être revendiqué par celles-ci. Visiblement, Gabrielle Judge savait que l’idée qu’un homme gagne sa vie convenablement sans se brûler à l’ouvrage ne susciterait pas l’émoi.

N’y a-t-il pas alors matière à introspection collective quand la promotion de l’équilibre de vie des femmes, de leur confort et de leur liberté financière se mérite une tendance virale?

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Le constat émis lors de mes lectures sur le sujet est frappant : ce malaise se fait sentir chez la majorité des personnes ayant couvert la tendance. En effet, vous pouvez trouver en ligne une panoplie d’articles, de balados et de vidéos (dont plusieurs sont produits par des femmes, d’ailleurs) qui déplorent le mot-clic et mettent en garde les jeunes filles de s’y associer. Les titres de ces contenus sont évocateurs : « Les femmes de la Gen Z se tournent vers les “lazy girl jobs”, mais à quels coûts? », « Les “lazy girl jobs” sont une insulte à toutes les femmes qui ont travaillé fort » ou encore « Vous voulez une “lazy girl job”? Pensez-y à deux fois ».

Effectivement, « l’emploi de fille paresseuse » est confrontant parce qu’il questionne la place que nous avons collectivement accordée à la notion de mérite dans la vie professionnelle des femmes.

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Le fait qu’une femme puisse simplement répondre aux attentes de son poste sans remettre en question la valeur de son travail nous fait réagir. Pas surprenant, quand un rapport publié en 2022 rapportait que 90 % des femmes souffrent du syndrome de l’imposteur sur leur milieu de travail et qu’une étude de 2019 démontrait qu’elles sont tenues à des standards professionnels plus élevés que les hommes.

À mon sens, les « emplois de filles paresseuses » ont un potentiel fédérateur singulier pour les femmes, parce qu’ils incarnent un rejet direct de la notion de « dévotion » qui les accompagne dans leur vie professionnelle comme personnelle. C’est un pas important et essentiel vers la réappropriation de leur énergie et de leur temps.

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Comme la journaliste et autrice féministe Liz Plank l’a bien dit dans une récente publication sur Instagram au sujet d’une autre tendance virale « girl », c’est quand les femmes se rassemblent pour exposer, par elles-mêmes, des comportements ou des habitudes qui relèvent de l’insoumission et de l’indiscipline qu’elles démunissent le patriarcat de son arme la plus forte : son contrôle sur elles.

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Liz Plank (@feministabulous)

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Et c’est exactement ce que les « emplois de filles paresseuses » font, en disant : « regardez, je ne me démène pas ». Ce faisant, elles permettent à toute une génération de travailleur.euse.s élevé.e.s dans l’idée que le repos est un luxe de s’affirmer dans leur besoin de remettre leur bien-être au centre de leur vie.