« Twitter est-il en train de mourir? » C’est la question que s’est posée l’entrepreneur milliardaire Elon Musk en avril 2022. Peu de temps après, il déposait officiellement son offre d’achat du réseau social. Musk remarquait depuis quelque temps que plusieurs annonceurs, célébrités et internautes quittaient massivement le réseau social. L’entreprise montrait des signes d’affaiblissement. À l’interne, le personnel de Twitter était de plus en plus laissé à lui-même. C’est ce que confirmait un employé de l’entreprise dans une déclaration au magazine Wired : « Il n’y a pas de leadership fort pour le moment, l’ensemble de l’entreprise fonctionne sur le pilote automatique. La haute direction ne nous a rien dit. »
Peu après la confirmation de son acquisition en avril 2022, Elon Musk partageait un message aux employé.e.s résumé dans un article de Forbes : « Les employés de Twitter ont jusqu’au 18 novembre pour s’engager pleinement dans la nouvelle entreprise ou partir avec des indemnités de licenciement. Rester signifiera travailler de longues heures à haute intensité et seules les performances exceptionnelles constitueront une note de passage. »
On se souvient aussi des suppressions de postes massives qui n’ont pas tardé après l’arrivée de Musk. Toutefois, Philippe Berzahn, un professeur de stratégie à l’Emlyon business school en France affirmait dans un article sur l’autoritarisme de Musk que « tout redressement d’entreprise est douloureux, et certains le sont plus que d’autres. La stratégie d’ Elon Musk est très risquée, et certainement très critiquable, mais ne rien faire aurait été plus risqué encore, car le déclin était inéluctable ».
La méthode de la chasse à la baleine
Est-ce que Musk sait véritablement ce qu’il fait? Certain.e.s disent que oui, et plus qu’on pourrait le croire. Toujours selon le professeur Berzahn, Musk appliquerait une stratégie appelée « whaling and culling » (chasse à la baleine).
Le problème est qu’il y a présentement beaucoup trop d’ingénieur.e.s dans l’entreprise et peu de temps pour faire le tri. Berzahn explique dans son article que « la stratégie consiste à mettre l’entreprise immédiatement sous pression en lui donnant un objectif à très court terme quasiment irréalisable, une sorte de sprint, qui va faire une sélection naturelle très rapidement. Rien d’original, c’est ce que font les militaires dans les premiers jours de stages commando. Musk voit qui survit à ce sprint, qui se donne à fond et franchit les obstacles, et qui n’y arrive pas. C’est la phase de “whaling” (pêche à la baleine). Ensuite, il suffit de garder les premiers et de virer les autres. C’est la phase de “culling” (abattage) ».
Les gens qui restent vont ensuite rebâtir leurs équipes et iront naturellement pêcher parmi les meilleures personnes qui n’auront pas survécu aux coupures.
Une méthode de gestion controversée
La chercheuse principale en éthique des affaires à la Santa Clara University, Sarah Cabral, affirme dans un entretien avec Forbes qu’Elon Musk « semble offrir un choix aux employés, mais ce choix n’est ni libre ni rationnel », ce qui contrevient à l’éthique de la chose.
Imaginez-vous avoir 24 h pour décider du futur de votre carrière! Ce n’est pas une décision facile à prendre.
Cependant, le professeur Berzahn soutient qu’« on peut discuter de la morale d’une telle approche, bien sûr, mais pas la présenter comme folle ou irrationnelle ». De ce point de vue, cette méthode reste avant tout une stratégie d’affaires.
Les limites de l’autonomie
D’une part, le sociologue français Jean-Pierre Le Goff affirme que les individus ont tendance à être craintifs par rapport à l’autorité. Cette dernière serait perçue comme « le signe d’une volonté de mainmise et de domination à leur égard ». Un peu comme lorsqu’on se fait imposer des restrictions sanitaires par le gouvernement, et que des réactions émergent dans la population.
D’autre part, Le Goff souligne que certain.e.s dirigant.e.s « misent beaucoup sur l’autonomie des employé.e.s tout en n’assumant pas clairement leur rôle. Cela a pour conséquence de mettre la responsabilité de la réussite ou de l’échec de l’entreprise sur les employés ».
Selon le sociologue, mettre le fardeau sur les individus aura pour conséquence de détériorer les rapports sociaux en entreprise et de créer une distance plus grande avec l’autorité en place. Un peu comme ce qui était en train de se passer chez Twitter. Les employé.e.s étaient laissés à eux-mêmes. Par conséquent, ils ont perdu confiance envers la direction.
L’autorité, une nécessité?
C’est vrai que l’autorité, ça peut être chiant et frustrant. Cependant, les travaux de recherche du sociologue Le Goff rappellent que « même si l’autorité est déniée et dévalorisée, elle n’en continue pas moins d’exister dans le libre jeu des rapports sociaux ». En somme, l’autorité est essentielle au bon fonctionnement d’un groupe d’individus.
Imaginez conduire sans cadres ni règlements dans une ville. À en juger par ma conduite dans le jeu vidéo Grand Theft Auto, ça finit rarement bien.
La stratégie de gestion d’Elon Musk fera-t-elle décoller Twitter?
Selon l’analyse du Harvard Business Review, « les observateurs de longue date du style de gestion d’Elon Musk ne seront surpris ni par ce qu’il fait avec Twitter ni par la manière dont il le fait ». Selon l’article, une piste à suivre pour l’évolution de Twitter serait de « se baser sur les résultats obtenus dans les autres entreprises qu’il possède (SpaceX et Tesla) ».
Selon Ashlee Vance, la biographe de Musk, un responsable du recrutement dirait aux nouvelles recrues de SpaceX : « Si tu veux tout donner, alors tant mieux. Sinon, tu ne devrais pas venir ici. » Cette citation résume bien le style de gestion (tout ou rien) de l’entrepreneur.
Maintenant, est-ce une méthode de gestion acceptable? Moralement, c’est discutable. Stratégiquement, ça a du sens. Il y a encore beaucoup d’incertitudes face au mode de gestion d’Elon Musk chez Twitter. En tout cas, une chose est claire : « Musk a déjà réalisé de grandes choses que personne ne pensait vraiment possibles, et il l’a fait grâce à sa propre stratégie cohérente et audacieuse. »