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L’amitié est-elle à l’épreuve des enfants?

L’amitié est-elle à l’épreuve des enfants?

Quand la maternité redéfinit les liens.

Par
Brigitte Hébert-Carle
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Ma meilleure amie d’enfance n’a pas d’enfants. Pendant longtemps, on était toutes les deux membres du No Kids Club. On se voyait plusieurs fois par année, malgré la distance Québec-Montréal, que ce soit lors d’un week-end de camping ou dans un chalet.

Depuis que je suis mère, les occasions se font plus rares. Je lance quelques invitations dans les airs, mais elles restent souvent sans réponse. Et bien qu’elle soit une fée marraine exceptionnelle remplie de petites attentions, je sais que ça lui coûte d’être confrontée au fait qu’on ne partage plus la même réalité. Je sais qu’elle se protège, d’une certaine façon, en évitant les longues conversations sur la maternité ou les fins de semaine chaotiques entourées d’enfants.

Nos vies ont changé, et par le fait même, notre amitié a évolué.

Des réalités décalées

Prise dans le tourbillon de la parentalité, absorbée par la routine, j’avoue avoir perdu mes repères sociaux et m’être isolée sans le vouloir (la pandémie n’a pas aidé). Certaines amitiés se sont effritées, d’autres survivent à coup de textos espacés. Mais une chose est claire : entretenir des liens avec mes amies qui n’ont pas d’enfants est devenu plus complexe. Je me suis demandé comment elles le vivaient de leur côté.

Est-ce que leur façon de voir l’amitié a changé, elles aussi ?

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Pour Sarah, qui n’aura jamais d’enfants, le décalage est bien réel : « J’ai plusieurs amies qui sont devenues mamans dans les dernières années, et c’est certain que ça a changé un peu notre relation, affirme-t-elle. Elles sont beaucoup, beaucoup moins présentes et disponibles. C’est ça que je trouve le plus difficile avec des amies qui ont des enfants : c’est toujours moi qui dois m’adapter à leur horaire, à leur réalité. »

Deux solitudes

L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) rapporte que « selon un sondage britannique, presque un quart des parents se sentirait toujours ou souvent isolé du réseau d’amis ou ressentirait une solitude qui s’est aggravée depuis qu’ils sont devenus parents (22 %). » Mais qu’en est-il des femmes sans enfants?

De mon côté, concentrée à démystifier la parentalité, je n’avais pas l’impression que mes sujets de conversations pouvaient intéresser mes amies sans enfants. Ma vie se limitait à celle de mon enfant : ses premiers pas, son premier jour de garderie, son premier pipi sur le pot… J’avais l’impression de ne rien vivre d’autre. Et la fameuse routine à respecter quand tu es parent — ne pas déroger des heures de siestes, de boires, de dodos — élimine la spontanéité des rencontres amicales.

Certaines amies ont tenu bon. D’autres, non.

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Des conversations sans cesse interrompues

Sarah me confie que, lorsqu’elle est invitée chez des amies mamans, les échanges sont interrompus, fragmentés. Elle a l’impression de leur parler sans vraiment être écoutée.

Oh que je comprends Sarah. Depuis que je suis maman, j’ai dû apprendre l’art d’être interrompue et de ne jamais être en mesure de terminer une idée. Je l’ai vécu quand je n’avais pas d’enfant avec mes amies mères, et encore aujourd’hui, ça me fâche d’être interrompue en plein élan et d’oublier la suite de ma phrase.

C’est sans doute une des raisons pour lesquelles j’hésite maintenant à inviter mes amies sans enfants. J’ai peur qu’elles se sentent de trop.

Marie, elle, le dit franchement : « Honnêtement, n’étant pas mère, je n’avais aucun intérêt à participer à des conversations sur les couches, les trucs de bébé… Mais par-dessus tout, j’avais vraiment l’impression d’être exclue. »

Selon le projet de recherche de la sociologue et démographe Laurence Charton — financé par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) — plusieurs femmes involontairement sans enfants évoquent un sentiment d’isolement social. Comme si, dans une société où la maternité est valorisée, leur vie valait moins.

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La censure involontaire

Marie-Pierre est très zen par rapport à son choix de ne pas avoir d’enfants. Elle accompagne ses amies mamans avec bienveillance, mais se censure parfois sur ce qu’elle vit. « Tu vis les moments merveilleux des autres à travers eux, mais tes moments à toi ont l’air banals, explique-t-elle. Elles parlent d’accouchement, de maison, d’étapes de développement. Toi, t’as vu un bon film… »

Elle évite également certains sujets : « On dirait que la fatigue et les responsabilités, c’est réservé aux parents, exprime-t-elle. T’as pas le droit de dire que t’es épuisée quand t’as juste toi à gérer. »

C’est vrai que nos vies prennent des chemins différents. J’envie parfois mes amies qui voyagent, s’entraînent, dorment tard, avancent leur carrière sans culpabilité. Et pourtant, je sais que leurs angoisses valent autant que les miennes. Marie-Pierre a son rythme, son couple, son travail. Ce n’est pas parce qu’elle ne se lève pas à 6h qu’elle vit dans l’insouciance.

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« Ça arrive fréquemment que j’ai l’impression que ne pas avoir d’enfants, c’est comme se payer un trip à Cuba à vie », confie en riant Marie-Pierre.

Celles qui restent (et celles qui s’éloignent)

Bien sûr, je tiens à mes amies sans enfants (je refuse de dire « nullipare »!). Elles écoutent, même quand ce sont elles qui ont besoin de se confier, contorsionnent leurs horaires pour m’accommoder, prennent de mes nouvelles même si j’ai disparu du radar pendant trois mois et acceptent de souper à 17h30, un vendredi. Mais d’autres finissent par laisser aller les liens, fatiguées d’être celles qui doivent toujours s’ajuster.

Marie-Pierre a vu certaines amitiés disparaître. « J’ai fait beaucoup d’efforts, souligne-t-elle, mais quand j’ai arrêté d’appeler, plus rien n’est revenu. »

Le temps, cette denrée rare quand on devient parent, joue pour beaucoup dans ces amitiés qui changent. J’ai hâte d’en avoir plus, de retrouver un équilibre, de recommencer à aller plus souvent au théâtre ou au cinéma, de lire plus de livres sans licornes, de partir en week-end avec ma meilleure amie d’enfance et de lui parler de politique, de culture, et aussi un peu de ma fille, sans que ça prenne toute la place. J’ai hâte de recréer des amitiés qui comptent. Et je promets de faire plus d’efforts. Parce que je pense que mes amies sans enfants en ont déjà fait beaucoup.

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Alors, je me donne le défi de les appeler plus souvent. Parce que je les aime.