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L’âme du journalisme étudiant à McGill

C'est pas parce qu'on n’a pas un programme de journalisme qu'on ne sait pas en faire.

Par
Gali Bonin
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Plus je partage des articles de journaux étudiants de McGill, plus je réalise que les gens sont surpris par le fait même qu’il y a du journalisme dans leur université. Dans l’imaginaire collectif, pas de programme de journalisme = pas de journalisme. Pourtant, McGill n’est pas à plaindre avec ses trois journaux étudiants officiels et ses quelques dizaines de journaux de faculté. Je dirais même que l’institution anglophone est presque aussi bonne que l’UQAM dans ce domaine, ce qui est assez difficile à battre lorsque l’on prend en considération qu’environ 76,98% des uqamiens et uqamiennes étudient en communication (don’t quote me on that, c’est vraiment juste un sneak diss)!

Dans la longue histoire du journalisme mcgillois, la palme d’or du plus ancien journal revient au McGill Daily avec bientôt 109 ans d’activité. Est ensuite arrivé Le Délit, l’unique journal francophone de l’institution, en 1977. (Ouais, disons que McGill est down avec le français, mais faut toujours mettre un 66 ans de décalage) Finalement, le McGill Tribune a vu le jour en 1981, un petit dernier qui s’est rattrapé en devenant le journal le plus lu sur le campus.

Si tu veux un réel aperçu de l’âme du journal, il faut aller voir Boris Shedov

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Afin d’en apprendre plus sur l’historique du journalisme à l’université, je suis allé rencontrer Boris Shedov, celui qui incarne parfaitement l’essence et l’esprit du journalisme étudiant de McGill.

L’homme avant tout

Boris est une figure incontournable du journalisme étudiant à McGill. Il travaille à la Société de Publication du Daily, la DPS en anglais, depuis le milieu des années 80. La DPS chapeaute à la fois Le Délit et The Daily. Alors que je cherchais à en apprendre plus sur la DPS, Joseph Boju, rédacteur en chef du Délit en 2014-2015, m’a donné ce conseil : « Si tu veux un réel aperçu de l’âme du journal, il faut aller voir Boris Shedov; le type en charge de l’administration, le patron le plus sympathique et le plus humble au monde. » Après cette longue entrevue avec Boris, je peux vous confirmer que ce que dit Joseph Boju est vrai!

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Boris tient la barre d’une main adroite, tout en laissant aux étudiants une complète liberté quant à ce qu’ils veulent faire de ces journaux. C’est à la fois un capitaine empathique et un fidèle matelot. Les étudiants se présentent à lui plein d’espoir et le quittent avec les poches pleines d’accomplissements.

La rencontre

En appelant Boris sur Zoom, je m’attendais à trouver un homme avec des favoris, dans un bureau victorien, habillé d’un costume trois-pièces et portant un monocle (c’est pas mal comme ça que j’imagine tout le monde à McGill…). Alors, disons que quand ce bon vivant arborant un polo de soccer m’a répondu, ça m’a fait sourire. D’ailleurs, il n’était pas dans un bureau victorien, mais plutôt dans le confort de son salon avec des boîtes jusqu’au plafond, et derrière lui, une bibliothèque remplie.

À peine ai-je eu le temps de me présenter que j’ai compris que ce n’était pas moi qui le passais en entrevue, mais l’inverse : « Salut! Es-tu de Paris? Ou de Montréal… Oh de Montréal! Alors tu dois connaître Joseph Boju. C’est un gars adorable! » Ainsi, l’entretien qui devait durer une trentaine de minutes s’est transformé en une discussion de deux heures qui est partie un peu dans tous les sens.

Boris Shedov arborant son traditionnel sourire

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Boris m’a mis tellement à l’aise qu’après une heure à parler d’enjeux aussi variés qu’intéressants, j’ai cédé à la tentation et je me suis ouvert une bière en plein Zoom. La réaction fut instantanée : « Hey on devrait aller prendre une bière ensemble! Ça serait cool ça! » Définitivement, j’aime bien cet homme.

Une école pour la relève

Lorsque questionné sur l’importance du journalisme étudiant, Boris n’y va pas de main morte. Selon lui, cette forme de journalisme occupe une place importante au sein de la société puisqu’elle sert d’école pour la relève journalistique. « Notre mission est différente [de celles des grands médias]. À la DPS, nous formons des futurs journalistes comme vous », explique le Directeur de la DPS. Parmi les journalistes ayant fait leurs premières armes au Délit, on retrouve notamment Marc-Antoine Godin (La Presse et Athlétique Montréal), Richard Latendresse (TVA), Emmanuelle Latraverse (Radio-Canada) et Sophie Durocher (Journal de Montréal).

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Les bureaux de la DPS en plein déménagement à cause de la COVID-19

Niche et avant-garde

Ainsi, pour Boris Shedov, le rôle du journalisme étudiant est clair : « Nous ne sommes pas là pour faire du profit pour des actionnaires, mais pour donner une formation à la relève journalistique. » Cette citation met également en lumière un autre aspect important du journalisme étudiant. Étant financés par les étudiants et non pas par des actionnaires, les journaux universitaires n’ont de compte à rendre à personne sinon au corps estudiantin.

Ça leur permet d’aborder des sujets que les grands médias n’abordent pas, ou trop peu. « Nous ne deviendrons pas millionnaires en travaillant dans ce genre de médias, précise Boris. Le contenu que nous produisons est très niché et très d’avant-garde. » C’est entre autres le fait de ne pas avoir à se soucier des impacts financiers qui permet aux journaux étudiants d’aller couvrir des sujets qui ne trouvent pas de voix dans les médias traditionnels.

Pour Boris Shedov, le rôle du journalisme étudiant est clair : «Nous ne sommes pas là pour faire du profit pour des actionnaires, mais pour donner une formation à la relève journalistique.»

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« Je crois tout de même qu’il y a un marché pour [ce genre de couverture médiatique] », estime Boris Shedov. Je suis assez d’accord avec lui : plusieurs enjeux de société sont d’abord évoqués par des journaux universitaires avant de se rendre aux nouvelles nationales. L’exemple le plus récent serait le débat sur la place du droit civil au sein de la faculté de droit de McGill. Avant d’être débattue dans les pages de La Presse, la question avait été soulevée par Xavier Foccroulle-Ménard dans les pages du Délit. Comme quoi les discussions internes d’une université trouvent tout de même leur pertinence sur la scène nationale.

Si je devais résumer ma pensée et celle de Shedov, on pourrait dire que les journaux étudiants posent leurs yeux là où les grands médias ne pensent même pas regarder. Certes, le contenu y est plus niché et d’avant-garde; mais c’est parfois dans les plus petits recoins que l’on trouve les plus belles perles.

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Une source inépuisable d’anecdotes!

Je me voyais mal conclure cet article sans y inclure une des anecdotes savoureuses que raconte si bien Boris. Si souvent les sujets qu’abordait Boris étaient sans queue ni tête, j’ai pu trouver un témoignage avec un fil conducteur assez clair. (Vous verrez, il y a même une morale à la fin!)

« C’était un temps où nous utilisions un procédé appelé copy and paste. » Et on ne parle pas ici d’un simple ctrl+c, ctrl+v !

Quand Boris Shedov est entré à la DPS, il était responsable des ventes publicitaires, une section très lucrative pour la DPS à une époque où les journaux papier avaient encore une grande part des marchés publicitaires. Tant en matière de pub qu’en matière d’impression, les procédés journalistiques étaient tout à fait différents : « C’était un temps où nous utilisions un procédé appelé copy and paste. » Et on ne parle pas ici d’un simple ctrl+c, ctrl+v !

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Les articles étaient imprimés sur de longues bandes de papier, puis les éditeurs allaient les découper à l’exacto avant de les coller sur des grandes feuilles tout autour des publicités que Boris avait préalablement disposées. Vers deux ou trois heures du matin, un chauffeur de taxi débarquait sur le campus, attrapait les pages du journal terminées et les amenait jusqu’à l’imprimerie. Là-bas, on photographiait les pages avant d’en faire une plaque de plastique ou de métal (!!). La DPS a même gardé une de ces plaques métalliques datant des années 1920, avant de la donner à la bibliothèque de McGill pour leurs archives.

Bien évidemment, un processus demandant la mobilisation d’autant de personnes ne pouvait pas se faire sans quelques erreurs : « Il est arrivé à quelques reprises que le chauffeur de taxi oublie d’aller à l’imprimeur ou s’endorme, ou encore qu’il se saoule. Alors il y a eu des éditions du Délit et du Daily qui n’ont jamais été imprimées. » Comme quoi, faut faire bien sa job, sinon ta brosse du lundi soir peut affecter tout un campus!

L’entrevue a été traduite librement de l’anglais.

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