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La vie pas toujours facile d’une conseillère en ressources humaines noire
La fonction de professionnel.le des ressources humaines est plutôt délicate : on se retrouve souvent entre l’arbre et l’écorce, puisque même si l’on souhaite soutenir les employé.e.s et nous assurer qu’ils et elles aient un environnement de travail sain, on a aussi un devoir de loyauté envers l’employeur. Est-ce que lorsqu’on est une personne racisée qui pratique ce métier, notre origine ethnique rajoute une couche de complexité?
C’est la question que j’ai posée à deux professionnelles des ressources humaines noires dans le cadre du Mois de l’histoire des Noir.e.s.
Entre normal et pas normal
« Je ne vis pas de différence ni de discrimination dans l’entreprise pour laquelle je travaille, au contraire : je considère que mon employeur est même un pionnier pour ce qui touche à la diversité, l’équité et l’inclusion », me mentionne Noellie Dias, CRHA, lorsque je lui demande si elle ressent une différence entre elle et ses collègues caucasien.ne.s.
C’est à nous – personnes racisées – de ne jamais tolérer les actes discriminatoires.
Elle soulève toutefois que c’est à nous – personnes racisées – de ne jamais tolérer les actes discriminatoires, peu importe les conséquences qui pourraient s’en suivre.
Noellie me parle d’ailleurs d’une situation qu’elle a vécue chez un ancien employeur, une agence de recrutement, alors qu’un client l’avait priée « de ne plus lui envoyer le même type de personne », en faisant référence à des candidat.e.s noir.e.s. Ce client lui avait fait cette demande sans savoir qu’elle était elle-même une personne noire. Elle lui a alors mentionné, de manière polie mais ferme, que c’était la dernière fois que de tels propos déplacés seraient tolérés, et qu’elle devrait autrement mettre un terme à leur relation d’affaires.
Le plafond de verre
Pour Nathalie Balthazar, CRHA, la discrimination raciale « dépend de quel type de poste tu occupes en ressources humaines ». « Lorsque tu es une personne de couleur en recrutement, tout le monde est bien correct, tout le monde est bien à l’aise, dit-elle. Par contre, dès que tu sors de là, dès que tu veux faire autre chose et aller dans la cour des grands, c’est différent. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à vivre des enjeux. »
Pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec la gestion des ressources humaines, le domaine – comme bien d’autres – comprend des rôles stratégiques et d’autres plus opérationnels. De manière générale, même si les deux sont importants, la fonction d’acquisition de talent se retrouve du côté des opérations, tandis que les postes de conseillères et conseillers séniors, de partenaires d’affaires RH et de directeurs et directrices RH s’inscrivent du côté de la stratégie, et sont plus influents.
Nathalie dit qu’elle a l’impression que les personnes noires se voient plus souvent confier des rôles opérationnels. Et que ça doit changer.
«Le fait de ne pas avoir été considérée pour plusieurs promotions alors que mon rendement y était, ç’a été très difficile.»
D’ailleurs, les deux professionnelles avec qui j’ai discuté mentionnent qu’à la sortie de l’école, il est difficile pour les Noir.e.s, mais aussi pour les autres minorités visibles, d’obtenir des postes autres qu’en recrutement. On se retrouve souvent à travailler en agence de placement. Noellie affirme que « ce sont littéralement les seules qui vont nous prendre, parce qu’on n’a pas le réseau nécessaire pour accéder aux grandes entreprises ».
On retrouverait donc une surreprésentation des groupes minoritaires dans ces agences. D’ailleurs, Manon Poirier, directrice générale de l’ordre des CRHA, mentionnait l’été dernier que notre ordre professionnel doit continuer de faire du chemin dans la représentativité des minorités visibles dans notre profession, ce qui aura, nous l’espérons, une incidence sur la représentativité dans les fonctions stratégiques.
Une discrimination chiffrée
Lorsque je demande aux deux femmes si elles croient que leur carrière aurait été différente si elles étaient Caucasiennes, elles sont sans équivoque.
« Le fait de ne pas avoir été considérée pour plusieurs promotions alors que mon rendement y était, ç’a été très difficile. Je sais que ma couleur de peau y a à voir, mais personne ne va jamais me confirmer ça », déplore Nathalie Balthazar.
Le fait de croire que notre couleur de peau constitue une entrave à notre carrière est un sentiment difficile à digérer, d’autant plus qu’on ne peut souvent pas prouver que la discrimination que l’on vit est bien réelle.
Selon une étude de McKinsey publiée en 2019, aux États-Unis, environ 1 femme sur 5 occupe un poste de haute direction, mais cette proportion chute à seulement 1 sur 25 pour les femmes racisées. Dans la même veine, selon l’étude Diversité en tête réalisée par l’Institut de la diversité de l’Université Ryerson et la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, même si les femmes provenant de minorités visibles composent 11,5 % de la population montréalaise, elles occupent une fonction de haute dirigeante que dans une proportion de 1,9 %.
Malgré ces constats, une chose positive ressort clairement de mes discussions avec mes interlocutrices : le monde du travail évolue et s’améliore. Elles mentionnent d’ailleurs toutes deux que le meurtre tragique de George Floyd en 2020 semble avoir été un tournant pour bien des organisations qui se sont engagées contre les discriminations raciales.
Même si elles sont d’avis que nous devons continuer de travailler pour une meilleure représentativité des personnes racisées dans les fonctions ayant une influence sur les décisions corporatives, les deux professionnelles rencontrées confirment avoir trouvé des milieux de travail où leur expertise est valorisée et respectée. Comme quoi, ça existe!