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Ma vie idéale dans le fond de mon ventre quand j’étais toute petite était d’enrayer la faim dans le monde. J’étais ce genre d’enfant et on m’avait appris à tout manger parce que la famine, j’en voulais à la famine. Après ç’a été de devenir avocate.

Puis beaucoup plus tard, ce que je voyais dans ma vie à encore dessiner c’était un quotidien rempli de livres, de voyages, de temps pour flâner et écrire dans des cafés bondés. Mon amoureux à mes côtés avec qui partager le bonheur. Des projets, du succès. Je me voyais étudier longtemps.

Mais je me suis prise à avoir des idées qui n’étaient peut-être pas tant les miennes.

Je me suis vue souriante avec des enfants sages, des enfants calmes, des enfants propres. Je me suis vue rangée. Avec une vie rangée. Je me suis vue concilier tout ce que je voulais avec ces idées.

Je me suis mariée et j’aimais fort mon mari pour le meilleur et pour le pire j’avais promis et même clamé en vœux. Je portais une robe belle et je ne ressemblais pas à un gâteau, ce jour-là. Le matin, j’avais mangé des fraises. Je me souviens toutefois de notre quotidien qui se répétait toujours un peu avec les mêmes contours. J’avais des envies d’une vie avec un peu de plus dedans, mais je ravalais ces idées pour les entasser dans le fond de mes talons. Faire avec ce qui est.

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Et puis j’ai eu des enfants et je me suis mise à avoir la chienne et personne ne m’avait dit que j’aurais la chienne de même. Dans mon idée de la chose, j’étais plutôt maître de moi-même. Je n’avais pas de cernes, de mou de corps, de vomi sur mes vêtements. Ma vie rêvée était blanche et dorée et avait un parfum de brise chaude d’été.

Ma vie vécue s’effaçait dans des teintes de gris et de brun. Elle se disloquait au fil des jours et des nuits qui s’enfilaient sans vraiment que je ne les distingue. Un long même moment qui ne finissait pu de ne pas se finir. Mais j’me disais que c’tait le mien, ce moment. Je l’avais voulu et choisi. Je voulais ça, une famille. Des cadres sur les murs avec des photos de nous souriant pour montrer à qui viendrait visiter l’appartement que notre beau, il se figeait si facilement tellement tout va bien tout a l’air de bien aller tout se tient.

La vie photoshoppée.

Entre les p’tits, le travail, le lavage, les repas, le plancher à laver, les effluves de cigarette qui me levaient le cœur, les discussions qui n’en étaient plus, les séries télé à regarder parce qu’il ne nous restait que ça et des rides de char à faire le dimanche après-midi pour faire de quoi sans avoir à trop s’avoir, ma vie me devenait étrangère et je tombais dans des tranchées trop creuses qui m’empêchaient de voir le reste du monde et des possibles. J’me disais mais c’est ton trou, tu l’as voulu. Mets deux-trois coussins, une chandelle parfumée, une musique d’ambiance feutrée.

Chérie ce trou de ta vie ça pourrait être pire tellement pire pourquoi tu chiales et n’arrives pas à te croire heureuse.

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On me disait que je devais vouloir d’une maison avec de l’herbe pour que les p’tits puissent se rouler dedans. Une cour en asphalte et un abri tempo. Des fleurs dehors l’été, des lumières de Noël l’hiver. Avoir un chauffe-eau. Une hypothèque et parler de mon hypothèque. Sortir mes poubelles au bon moment sous le regard bienveillant des voisins aussi heureux que moi d’aligner leurs déchets sur le bord de la rue.

Il m’arrivait d’en regarder, des maisons à vendre, parce que je devais me faire un peu à l’idée, et je trouvais ça drôle de devoir apprivoiser ma vie rêvée, mais ça me faisait toujours pleurer et je ne pouvais pas apprécier une salle d’eau près de la cuisine, un garage dans lequel rangé des pneus d’hiver, une vue imprenable sur d’autres maisons à perte de vue.

Un matin, j’ai réalisé que je me levais avec le souhait qu’il soit déjà le moment de me cacher sous mes couvertures et qu’il fasse noir et silence.

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Je ne voulais plus de mes journées, de ce qu’il y avait dedans. Je ne voulais plus des ronflements qui m’empêchaient de dormir, des gestes forcés pour alimenter un lien qui n’existait que dans un conte qu’on n’arrivait plus à se lire. Ce matin-là je n’ai pas reconnu celui qui s’est réveillé à côté de moi. Je ne sentais plus son odeur, elle ne me parlait plus. Alors j’ai su.

Dans la rupture est aussi disparue l’anxiété de devoir suffoquer dans une maison et des obligations et des compromis et beaucoup de bruit. Je me souviens des jours de peur à ne pas savoir ce que je pourrais ben vouloir et souhaiter et espérer à nouveau. Fallait que je me dessine un horizon et j’avais oublié comment on fait ça don’ rêver sa vie, la repartir à presque tout neuf.

J’avais beau ne plus avoir voulu de ce que je connaissais trop, l’inconnu c’est un peu opaque et faut que tu te balances dedans sans savoir et ça génère son lot de tremblements. Et on ne nous apprend pas et jamais à voir la vie autrement, à se dire qu’on pourrait la composer juste avec ce qui nous meut fort.

Fa’que quand faut le faire, c’est à petits tâtons et avec la chienne de se tromper. Encore.

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Alors j’ai un désormais quotidien à tout moi et à tous mes p’tits. Je travaille un peu trop, tout passe si vite, je me dis souvent fatiguée. Mais. J’ai fini par remettre le doigt sur ce que je souhaite et veux et ne veux plus et pas et je m’applique à m’en approcher, à y être. On ne vit qu’une seule fois, il paraît. Je serais triste d’avoir raté ma shot.

Dans ma vie rêvée d’aujourd’hui, j’ai du temps à déployer, des espaces à occuper à ne rien faire ou à faire si peu. Boire un thé noir chaud avec des bas de laine qui montent jusqu’aux cuisses et un énorme chandail et un foulard et une doudou et un livre à lire que pour le plaisir. Un livre à relire, même. Un chalet dans lequel faire des feux. Le bruit de la mer. Des mots à aligner pas dans l’urgence. Un lit à occuper à deux les après-midi pluvieux, les matins avant la vie, les midis entre la vie, les soirées et les nuits. Parce qu’on se veut trop. Et que je me demande souvent pourquoi donc qu’on ne fait pas que ça se générer du chaud de corps. Me semble.

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Des huîtres à profusion. Des verres de bulles pour aucune occasion. Des lieux à visiter, à montrer aux p’tits le beau du monde, même juste celui des fentes dans le trottoir l’autre bord de la rue. Berlin. Un jour. Des petites choses. Des petites choses à portée de pouvoir ce matin, si ça me chante, d’autres à planifier, à poser un peu plus loin dans le temps question d’étirer le sourire.

Dans tous les cas, commencer mon histoire du soir par un : “Il était une fois non je pense qu’il était plutôt des fois plein de fois tellement de fois et de chemins et de ces choses qui se produisent que je me demande à quoi bon de rêver trop loin et tout remettre et procrastiner sa joie. Rien à bon.”

Je me réveille le matin et je ne pense plus aux étoiles et à la noirceur et à comment elles sont mes amies. Je pense aux minutes et aux heures à comment je vais les meubler et à comment je ferai pour mieux les habiter. Il était une fois toute.

Fin.

***

Pour lire un autre texte de Véronique Grenier: Le vertige.

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