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La tyrannie de la productivité

Les PDG ne sont pas tous des exemples à suivre.

Par
Jasmine Legendre
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En cette période de l’année où l’on veut tous devenir la meilleure version de nous-mêmes, certains décident de se donner comme objectif d’être plus productifs au travail. C’est noble, mais à quel point les modèles de productivité qu’on nous présente sont réalistes?

Que ce soit dans le but de satisfaire davantage les exigences des boss, ou de paver la voie pour prendre leur place dans une couple d’années, les livres de croissance personnelle, les citations inspirantes des influenceurs et le mode de vie de nos idoles CEO agissent comme des life goals en ce début janvier. Prochaine destination : employée du mois et promotion (et le salaire qui va avec).

C’est pas pour rien que le numéro de décembre-janvier du magazine Fast Company promet de dévoiler «128 secrets des personnes les plus productives».

Faire l’apologie de la productivité, c’est trendy.

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Faire l’apologie de la productivité, c’est trendy. Dans Fast Company, on parle des méthodes de Peter Shankman, PDG atteint d’un trouble du déficit d’attention. Pour être plus productif, le dirigeant s’est booké un vol à 5000 piasses en classe affaires pour terminer l’écriture d’un livre sur lequel il travaillait. Parce qu’un siège-couchette d’avion est le seul endroit où il peut se concentrer.

L’euphémisme dit que «ça semble extrême», mais nous on dit que ça entre dans la catégorie «pratiques excessives». Surtout que 5000 dollars, pour le travailleur moyen, c’est près de trois mois de salaire. Ça fait cher de l’heure pour plaire à son boss.

Dans le même ordre d’idée, un éditorial de The Economist a abordé le quotidien de Tim Cook, directeur général des iPhones qui vous permettent d’être joignable par votre supérieur à toute heure de la journée. Monsieur Cook se lève à 3h45 pour répondre calmement à ses courriels. L’auteur de l’article rétorque que la seule chose qu’il obtiendrait en se levant si tôt le matin, ce n’est pas la position enviable de Tim Cook, mais bien le divorce de sa femme.

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Est-ce que c’est un rythme de vie recommandable pour la travailleuse «ordinaire», mère de famille de trois enfants, que de se lever aux aurores afin de lire calmement ses courriels, aller au gym, tout ça avant de faire déjeuner les enfants à 7h pour être au bureau, le cœur léger, à 8h?

OK, la travailleuse moyenne ne dirige pas une entreprise qui vaut des milliards, mais elle n’a pas non plus les assistants de Tim Cook pour faire une partie de sa job à sa place, emmener ses enfants à la garderie ou conduire sa Toyota Echo dans le trafic pendant qu’elle répond à ses courriels.

L’auteure à succès JK Rowling (qui a une carrière plus qu’enviable) se révoltait récemment contre un tweet du magazine Inc. qui faisait valoir que «les personnes les plus productives du monde commencent leur journée à 4h du matin». Ce à quoi l’auteure d’Harry Potter a poliment répondu: «Oh, piss off». Comme quoi, la magie derrière la productivité ne se trouve pas nécessairement dans une nuit écourtée.

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Outre la glorification du mode de vie des PDG dans les revues qui parlent d’argent, l’étalement au grand public de leur oh-combien-dérisable productivité ne fait qu’accroître le stress chez les travailleurs qui se sentent obligés de répondre à des appels et des courriels de leurs supérieurs encore plus tôt le matin.

Ces modèles de productivité sont surtout des mises en garde qui montrent à quoi ressemble votre vie quand vous dirigez une multinationale. Ce ne sont pas nécessairement des exemples à suivre.

Et qui dit stress, dit aussi journée moins productive. Une étude suisse faisait d’ailleurs valoir qu’on devrait «rendre les pratiques managériales plus «agiles», c’est-à-dire en valorisant davantage les employés et en leur offrant des conditions de travail optimales.» Ce qui n’inclut pas devenir une copie conforme du CEO.

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Aux dirigeants d’entreprise à succès qui voudraient que leurs employés aient un train de vie productif comme le leur, mais aussi à nous qui nous infligeons des modes de vie éreintants dans le but d’être successful, essayons plutôt l’indulgence.

Ces modèles de productivité sont surtout des mises en garde qui montrent à quoi ressemble votre vie quand vous dirigez une multinationale. Ce ne sont pas nécessairement des exemples à suivre. D’autant plus qu’on fonctionne tous différemment et qu’il y a 1001 trucs pour être plus productif. Dont celui de dormir assez pour être reposé.