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La retraite : un concept dépassé pour les milléniaux?

Les milléniaux et la génération Z veulent travailler moins, vivre plus.

Par
Marie-Ève Martel
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Depuis quelque temps, le mouvement FIRE (de l’anglais Financially Independent, Retire Early) défraie les manchettes et fait rêver. Or, en opposition à ses adeptes, qui enchaînent les heures, les boulots et les investissements dans l’espoir de prendre leur retraite avant 40 ans, on en trouve d’autres qui préfèrent profiter de la vie dès maintenant, quitte à travailler moins, mais plus longtemps, voire à ne jamais complètement arrêter.

C’est le choix qu’ont fait Isabelle Legault, Krystel Bertrand et Shanti Coussa, qui ont accepté de me parler de leur rapport à la retraite.

Miser sur maintenant

Isabelle, une quinquagénaire qui travaille comme intervenante psychosociale à son compte, a décidé de cesser de s’en faire. « C’est écrit nulle part que je dois arrêter de travailler à 65 ans, constate-t-elle. Je vais continuer, mais je le ferai via des projets qui vont me faire plaisir, en lien avec l’entrepreneuriat, et ça ne sera pas 40 heures semaine. »

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« La pré-mort » : c’est avec ces mots lourds de sens que Krystel décrit sa vision de la retraite. « L’aboutissement de la vieillesse », où trop de gens se demandent quoi faire pour s’occuper. Un concept dépassé à ses yeux : « La retraite, c’est le American Dream des boomers, qui se disent : ‘’Je vais travailler dans la misère toute ma vie et je vais aller la finir sur un bateau de croisière’’, ironise-t-elle. Personnellement, j’aime mieux travailler un peu et vivre un peu en même temps, plutôt que de sacrifier du temps aujourd’hui pour me payer une couple de bonnes années à 70 ans. »

Bien sûr, Krystel Bertrand a beaucoup travaillé quand elle était plus jeune. « Des semaines de 60 heures, j’en ai fait », raconte celle qui travaille comme coordonnatrice pour une maison d’édition. Mais la maternité lui a fait revoir son sens des priorités. « J’ai décidé de profiter de la vie maintenant parce que j’ai le luxe d’avoir mes enfants à la maison. Quand j’arriverai à l’âge de la retraite, ils ne seront plus là de la même façon », relativise celle qui gagne un salaire moyen (soit environ 40 000$) et qui demeure sur la Rive-Sud de Montréal.

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À 33 ans, Shanti Coussa partage cette vision. « J’ai travaillé à temps plein pendant quelques années pour me rendre compte que pour moi, ça ne faisait pas de sens, de travailler de 9 à 5, de revenir chez moi fatiguée et de ne pas avoir l’énergie pour cuisiner, prendre soin de moi, voir des gens… », énumère la Montréalaise.

Entre quelques contrats ici et là, à temps plein ou à temps partiel, celle qui est actuellement superviseure d’équipe pour un organisme humanitaire prend le temps de s’investir dans diverses passions, de vivre des amitiés enrichissantes et de ralentir, tout simplement.

« Je me sens bien, car je ne suis pas épuisée par le travail, constate-t-elle. Je me dis que si je suis bien maintenant, que j’ai atteint un certain équilibre, je pourrai le garder plus longtemps et continuer de faire ce que j’aime en travaillant un peu. »

Le rejet du American way of life

Le discours de ces trois jeunes femmes est révélateur d’une tendance marquée chez les plus jeunes : « Le monde du travail est en pleine transformation, croit Isabelle. Les plus jeunes générations n’ont plus la même relation avec le travail que les précédentes : elles ne veulent pas se tuer à la tâche. Elles veulent travailler, oui, mais aussi s’épanouir dans d’autres domaines. »

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Ses propos rejoignent ceux de Jacques Hamel, professeur émérite du Département de sociologie de l’Université de Montréal où il a étudié, pendant toute sa carrière, le rapport des 18 à 35 ans au travail.

Selon lui, aussi bien le mouvement FIRE que son opposé ne datent pas d’hier. « Ça n’a rien de nouveau, dans la mesure où l’on parle de simplicité volontaire chez les jeunes depuis au moins une vingtaine d’années, dit-il. Ils veulent consommer moins et travailler moins. »

Hamel rappelle l’époque des Trente Glorieuses, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, où l’économie a connu un grand essor et où le rythme de consommation était beaucoup plus soutenu qu’aujourd’hui. « C’était le American way of life: on va à l’école pour acquérir un métier ou une profession, on entre sur le marché du travail, on devient indépendant financièrement, puis on achète une maison, on se marie et on fonde une famille », résume-t-il.

« Depuis le milieu des années 1970, dans les sociétés occidentales, les individus accordent de moins en moins de valeur au travail, surtout que celui-ci s’est transformé », avance le professeur retraité.

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En effet, l’époque où, dès la sortie des classes, on était recruté par une entreprise au sein de laquelle on travaillait toute notre vie, est bien révolue. Maintenant, « les employeurs offrent des emplois précaires et flexibles, où ils pressent les employés comme des citrons avant de s’en débarrasser, poursuit M. Hamel. Est-ce donc étonnant de voir des gens qui, très tôt dans la vie, occupent ce genre d’emploi, décident de bouder ce mode de vie traditionnel? »

« Le travail n’est plus un moyen pour les individus de se réaliser en tant que personnes, poursuit-il. Les jeunes veulent encore travailler, mais pas au détriment de leur vie personnelle et familiale. »

Et les finances dans tout ça?

Aussi bien Krystel qu’Isabelle et Shanti sont conscientes du coût financier de leur choix. Et elles l’assument.

« J’ai l’impression que de prendre une vraie retraite, c’est utopique pour nous, estime Krystel. Je ne suis pas sociologue, mais je trouve que notre génération s’est fait avoir : l’épicerie coûte cher, on n’a pas le choix d’aller au privé parce qu’on n’a pas de médecin de famille. Quand j’ai fini l’université, j’avais des dettes parce que mes parents n’avaient pas pu m’aider. »

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Pas d’enfants ni même d’animaux de compagnie, un loyer abordable, pas de voiture et, surtout, pas de dettes : voilà le secret de Shanti, qui se considère privilégiée.

« Je n’ai pas de grosses dépenses, et j’essaie d’épargner quand c’est possible, indique la jeune femme qui dit économiser entre 500 et 1000$ annuellement. Ma vision, c’est d’aller avec le flow, de ne pas faire de dépenses inutiles. »

« L’aspect financier [de mon mode de vie] m’a déjà stressée, mais j’ai eu la chance de vivre des expériences qui m’ont prouvé que tout fini par s’arranger, poursuit Shanti. Quand je pensais manquer d’argent, un contrat se présentait à moi. Je m’adapte. »

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Même si la retraite n’est pas dans un avenir rapproché, Maxime Gauthier, conseiller chez Mérici Services financiers, recommande de penser un peu à long terme, ne serait-ce que pour ne pas être pris au dépourvu.

« La retraite peut, pour certaines personnes, ne pas être un objectif de vie. Il s’agit d’un choix peu commun, mais qui appartient à chacun. Toutefois, l’idée de ne pas prendre de retraite ne devrait pas être perçue comme une forme de magie qui permet d’éviter la discipline de l’épargne », rappelle-t-il.

« Il est essentiel d’avoir des sommes de côté et de les faire fructifier pour répondre à une foule de possibilités qui peuvent survenir dans le temps, particulièrement à un âge plus avancé, comme la maladie, la perte d’un partenaire de vie, le besoin de plus de support ou d’accompagnement, etc. », poursuit-il, ajoutant que les prestations provenant des régimes publics « risquent de ne pas répondre aux attentes et au niveau de vie de la plupart des gens des générations actuellement actives. »

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« Avoir des options, c’est la meilleure des options », conclut le conseiller financier.