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La question à 15 500 $ : qui va porter la dette?

Couper les services sociaux redirige les moyens des pauvres vers les retombées des riches.

Par
Farnell Morisset
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« Appelez-vous ça des coupures? Moi, j’appelle ça une augmentation de 100 [embauches]. Puis, la bonne gestion, c’est de dire : “Vous avez dépassé le budget qu’on vous a donné”. »

– François Legault, premier ministre du Québec, 20 janvier 2025

De 2020 à 2024, soit la période de la COVID et de l’instabilité économique qui en a découlé, l’endettement net du gouvernement fédéral du Canada est passé de 783 727 millions $ à 1 376 656 millions $. Celui du gouvernement du Québec, lui, est passé de 183 726 millions $ à 221 086 millions $. À l’échelle individuelle, ça représente une charge collective qui est passée de 42 000 $ à 57 500 $, soit une augmentation d’environ (j’ai arrondi) un peu plus de 15 500 $ par individu.

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Le but de cet article n’est pas de se lancer dans une tirade contre la dette publique. La direction actuelle est inquiétante, oui, mais on reste dans une position enviable sur le plan mondial en termes de ratio de la dette sur le PIB, et contrairement aux individus, les pays ne sont pas généralement contraints de rembourser leurs dettes à échéance (ils peuvent toujours la refinancer). Tant que la croissance économique d’un pays augmente plus vite que le coût des intérêts sur sa dette, la charge de la dette diminue (en théorie) par rapport à sa capacité de la payer. Et c’est pas non plus comme si l’argent ayant causé cet endettement avait été jeté par les fenêtres – il reste dans l’économie et y circule encore.

Il est cependant indéniable que même s’il ne s’agit pas d’une source d’inquiétude majeure, la direction que prend notre dette publique finira par nous affecter de façon tangible et concrète. Cette charge, il faut la porter, et pour la porter, il faut la répartir. Et il faut sérieusement réfléchir à comment on le fera.

À qui adresser la facture?

Ici, prenons un pas de recul, parce que c’est le nerf de la guerre. La question à 15 500 $ est là : qui va porter ce fardeau additionnel? C’est la question qui va définir la direction de notre sociale-démocratie pour l’avenir rapproché.

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Commençons par une question simple : est-ce que la valeur nette de votre ménage a augmenté d’au moins 15 500 $ par personne (enfants inclus) depuis 2020? Si la réponse est « non » (et c’est statistiquement le cas pour la majorité d’entre nous), diviser à parts égales ce fardeau équivaut à vous appauvrir alors que la part du lion de l’argent ainsi ajoutée dans l’économie pendant la pandémie s’est retrouvée entre les mains de ceux qui étaient déjà riches. On l’oublie quand on regarde tout le mal autour de nous qu’ont créé la pandémie et l’inflation qui a suivi, mais cette même période de temps a aussi vu une croissance record de la richesse des milliardaires au pays.

C’est d’ailleurs une chose dont il faudra se rappeler quand certaines voix vont inévitablement se lever pour réclamer un crash diet à l’économie, un régime minceur d’austérité accompagné d’un verre de « se serrer la ceinture ». Ces mesures sont souvent présentées comme étant sans coût pour le public parce qu’elles n’augmentent pas les impôts, mais ça serait manquer de perspective.

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La cible parfaite

Les cibles typiques de l’austérité sont généralement les programmes sociaux dont dépendent les classes socio-économiques moins aisées, et les couper a une incidence directe sur leurs portefeuilles. Couper un programme d’aide aux devoirs après les heures de classe, par exemple, signifie que des parents devront prendre un quart de travail de moins – et perdre les revenus associés – pour accompagner leurs enfants dans les devoirs. Ou pire encore, pour les familles qui ne peuvent pas se le permettre, c’est le succès scolaire futur de l’enfant – et les revenus associés tout au long d’une vie – qui vont payer la facture.

En d’autres mots, couper des programmes sociaux comme réponse à la dette publique, ça équivaut à faire payer les plus pauvres pour financer les retombées records des plus riches depuis la pandémie.

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Comprendre ça, quand vient le temps de parler (comme aiment tant le faire nos politiciens) de la « juste part » de chacun, est un élément crucial de la conversation. Notre politique économique doit nous servir à tous, sinon, c’est éventuellement nous qui serviront la politique économique des autres.