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La question à 100 $ : survivre au capitalisme avec Gabrielle Lisa Collard

Et essayer de respecter ses limites entre travail à la pige, réseaux sociaux et militance.

Par
Sarah-Florence Benjamin
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Gabrielle Lisa Collard est écrivaine, journaliste et militante anti-grossophobie. En 2016, elle crée le blogue dix octobre pour partager son expérience en tant que personne grosse. Ce blogue est devenu une référence lorsqu’il est question de lutte à la grossophobie.

Elle écrit entre autres pour Elle Québec, Châtelaine et Ton petit look, et a publié La mort de Roi, son premier roman, en 2019. Elle lance en ce moment Corps rebelle, où elle reprend quelques textes de dix octobre sous forme d’essai, en plus de textes inédits.

On ne la voyait plus beaucoup depuis 2020. C’est qu’elle a décidé de prendre une pause bien méritée pour se concentrer à gérer le quotidien apocalyptique et les deux millions de blagues de mauvais goût sur le fait d’avoir donc bien peur de prendre du poids en confinement.

Avec son franc-parler habituel, Gabrielle Lisa Collard m’a jasé de burnout militant, d’écriture et de sa haine profonde du 9 à 5.

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Ton nouveau livre, Corps rebelle, est sorti en librairie. Qu’est-ce qui t’a donné envie de rassembler tes écrits sous cette forme?

J’avais déjà été approchée par des éditeurs au fil des années, mais ça n’avait jamais adonné. Écrire un livre, c’est beaucoup de travail gratuit en amont, donc il faut être motivée.

Quand j’ai commencé, « grossophobie », c’était même pas un mot au Québec.

Pendant la pandémie, j’ai complètement arrêté d’écrire pour dix octobre, je ne nourrissais plus le compte Instagram, parce que c’était juste déjà difficile d’exister. J’avais l’impression de me noyer dans la grossophobie! Les gens faisaient des blagues comme si la pire chose qui pouvait arriver, c’était de prendre du poids en confinement, ou on disait que les personnes grosses allaient toutes mourir de la COVID. C’était trop.

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Quand Elisabeth Massicolli m’a proposé d’en faire un livre avec Québec Amérique, j’étais plus en confiance. On avait déjà travaillé ensemble et je savais que j’allais être entre de bonnes mains. Ça m’a donné l’occasion d’avoir un regard plus global sur ce que j’ai écrit. C’était aussi l’occasion d’en faire quelque chose de permanent.

Certains textes datent de quelques années. À leur lecture, trouves-tu que les choses ont changé depuis?

Oui, vraiment beaucoup! Quand j’ai commencé, « grossophobie », c’était même pas un mot au Québec. Je voulais juste faire un blogue plus-size qui ne faisait pas de nos vies un drame, qui ne proposait pas de régimes, qui n’était pas toujours full négatif, et déjà ça, ça n’existait pas tant que ça.

Maintenant, on parle de grossophobie médicale, des professionnel.le.s de la santé qui ont encore des préjugés face aux personnes grosses. On comprend de plus en plus que le poids, c’est pas un proxy pour toute la santé d’une personne, c’est pas une question de faire de mauvais choix de vie.

Il faut que l’écriture soit une passion, mais que t’aies pas peur d’être pauvre!

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Maintenant, y’a plein de voix différentes qui s’expriment sur le sujet, des voix qui méritent plus de place que moi, franchement. Des grosses blanches de mon âge, y’en a plein! Maintenant, on parle des personnes grosses noires ou de couleur, des personnes grosses queer, des personnes grosses en situation de handicap. C’est plus juste moi qui crie dans mon coin. C’est pour ça entre autres que je me suis sentie à l’aise de prendre du recul du militantisme pour un moment.

Qu’est-ce que t’es tannée de devoir répéter au monde?

Y’a 3000 affaires, je pense! Que le poids, c’est pas un choix, c’est pas quelque chose sur lequel les gens ont le contrôle, que c’est pas normal que des gens soient enragé.e.s à la vue d’une personne grosse qui s’haït pas elle-même! Ça me fait capoter que les gens soient à l’aise avec leur haine comme ça, à l’aise de venir dire à des inconnu.e.s qu’iels vont mourir ou des trucs du genre.

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C’est quoi le secret pour payer les factures quand on écrit?

Ça fait 10 ans que je vis de mon écriture. Il faut que l’écriture soit une passion, mais que t’aies pas peur d’être pauvre! Au début, je gardais une side job pendant que je faisais de la pige pour avoir un revenu stable. Assez rapidement, je n’ai pas eu à chercher mes contrats. C’est souvent inégal, mais j’ai peu de dépenses et je suis consciente que j’ai beaucoup de privilèges.

J’ai travaillé dans un bureau et j’étais si malheureuse. On n’est pas des machines, on n’a pas tou.te.s un rythme de travail égal.

J’ai fait le choix d’abandonner la stabilité au profit de la flexibilité et c’est un choix que je ferais encore et encore. Ç’a été rough, j’ai fait faillite à un moment en étant pigiste, mais j’adore écrire et c’est ce que je veux faire. Je pense que c’est rough aussi pour les gens qui écrivent en entreprise. Moi, je sais que j’aime mieux faire 12 000 $ par année, mais pouvoir aller à l’épicerie le lundi matin quand y’a personne!

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Comment composes-tu avec la vie de travailleuse autonome?

Le beat du 9 à 5, je suis pas capable. J’ai travaillé dans un bureau et j’étais si malheureuse. On n’est pas des machines, on n’a pas tou.te.s un rythme de travail égal. Au bureau, t’es pénalisé.e si tu travailles trop lentement, si tu travailles trop vite, on regarde comment t’es habillé.e, on regarde ce qui se passe sur ton écran. Là, je travaille de chez moi et il n’y a que le résultat qui importe.

C’est un choix que je ne regrette pas et que je refais chaque fois qu’on m’offre des postes. C’est un stress, de ne pas savoir chaque mois combien tu vas gagner, mais, pour moi, c’est un stress vraiment moindre comparé à prendre le métro cinq jours par semaine. Je ferais 50 000 $ de moins pour pouvoir être en mou pas de brassière chez nous! On s’en rend pas compte, mais ça coûte cher, aller travailler, entre les lunchs, le transport, le linge, un moment donné! Je suis encore une fois vraiment consciente de mon privilège, parce qu’il y a plein de gens qui n’ont pas le choix de le faire.

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Combien de temps passes-tu par semaine à faire du travail non payé?

Juste pour dix octobre, je devais passer 10 à 15 heures par semaine à travailler gratuitement. C’est une petite communauté, mais elle est très engagée, donc juste poster sur les réseaux sociaux, répondre aux messages, partager des contenus, ça prend des heures! Maintenant que j’ai reparti un peu le compte sur Instagram, je me permets de prendre des pauses, mais c’est tough.

J’aime prendre le temps de répondre à tout le monde qui écrit, mais à la longue ça peut devenir vraiment lourd.

J’aime prendre le temps de répondre à tout le monde qui écrit, mais à la longue ça peut devenir vraiment lourd. J’ai définitivement vécu le burnout militant, parce que j’avais de la difficulté à mettre mes limites. On est de plus en plus conscientisé.e.s par rapport au trauma dumping, mais ça arrivait souvent qu’on m’envoyait chaque terrible expérience, chaque chronique incendiaire, chaque traumatisme, sans même un bonjour. C’était dur parce que je voulais aider, mais je ne suis pas thérapeute. J’essaie de faire plus attention à moi là-dedans maintenant, mais c’est dur.

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La question à 100 $ : si t’étais payée pour militer à temps plein, le ferais-tu?

Je lutte déjà pas mal full time contre la grossophobie, donc ça serait le fun d’être payée pour, tant qu’à y être! Mais même si c’était ça, mon travail, je sais que je n’arrêterais jamais d’écrire.