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La préadolescence : vrai phénomène ou invention des parents ?

On a demandé l'avis de Sarah Hamel sur la question.

Par
Laurence C Germain
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Lorsque je travaillais dans les écoles primaires auprès des jeunes de 5e et 6e année, j’étais toujours fascinée de constater à quel point ils avaient entre eux des écarts majeurs au niveau de leur poussée de croissance et de leur maturité émotionnelle. C’est une drôle de période, où ils sont trop jeunes pour être considérés comme des ados, mais trop vieux pour qu’on les traite comme des enfants. C’est alors que le terme préado a rapidement fait son entrée dans mon vocabulaire, pour désigner cette espèce de période pas claire.

Bref, est-ce que ça existe vraiment, la préadolescence, ou est-ce qu’on a juste inventé ce concept-là pour justifier les problèmes d’attitude? J’ai eu la chance de m’entretenir sur le sujet avec Sarah Hamel, psychoéducatrice et auteure du livre Le Ti-pou d’Amérique de 7 à 12 ans.

Ça commence quand, la préadolescence?

Selon Sarah, cette phase du développement se vit de 10 à 12 ans, mais peut varier d’un enfant à l’autre. Il faut garder en tête que le tempérament aura aussi un impact important sur sa manière de s’affirmer au cours de cette période. On qualifie souvent les comportements de « préadolescents » lorsqu’il est question d’actes d’affirmation ou d’attitudes qui vont à l’encontre des règles établies. C’est parfaitement normal, puisque « la préadolescence, c’est l’amorce de la crise de l’adolescence », m’explique Sarah.

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D’un point de vue historique, il s’agit d’un tout nouveau concept. Comme l’explique Gordon Neufeld, psychologue canadien expert en développement et en attachement de l’enfant dans son livre Hold on to Your Kids : Why Parents Need to Matter More Than Peers, c’est seulement à partir de la Deuxième Guerre mondiale que serait apparue la sous-culture des jeunes, c’est-à-dire : la surimportance des amis et le rejet de l’adulte, ce qu’on a éventuelement nommé « la crise de l’adolescence ». Les jeunes rejettent la culture des « vieux » et créent leur propre culture. C’est ce qui explique, entre autres, qu’on ait autant de difficultés à communiquer.

Est-ce que ça arrive partout?

Sarah précise aussi que la crise d’adolescence est un concept qui, dans plusieurs cultures, n’existe pas. C’est plutôt dans les pays industrialisés et surtout les pays occidentaux qu’on l’observe. « Si notre société nous permettait d’élever nos enfants de plus près, on ne verrait que très peu de manifestations de crise d’adolescence. Certes, il y aurait la quête identitaire et le désir de devenir maître de ses décisions, mais le rejet de l’adulte, le repli sur soi et la surimportance des amis ne serait pas la norme ».

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En effet, le rôle de transmission que le parent doit remplir auprès de son enfant est nécessaire pour favoriser un contexte dans lequel il peut se déposer pour forger son identité et acquérir sa maturité affective. Toutefois, la sous-culture de l’adolescence actuelle ne permet pas cet échange, car les jeunes ayant un style d’attachement orienté sur leurs pairs voudront rejeter les adultes significatifs et se tourner davantage vers leurs amis et les réseaux sociaux pour vivre cette phase de leur création identitaire.

Dans notre société occidentale, on constate d’ailleurs que les enfants d’âge scolaire ne se tournent plus vers leurs grandes personnes significatives et cela est problématique lorsqu’il est question du processus de maturation affective. Comme l’explique Sarah, « la relation d’attachement avec un adulte significatif, c’est comme une bulle méga blindée dans laquelle l’enfant peut se montrer vulnérable, parce qu’il est protégé. C’est ce contexte-là qui leur permet de devenir de futurs adultes matures et forts sur le plan de la santé mentale. »

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L’attitude « rushante », est-ce que c’est normal?

Sarah affirme que oui, car il n’y a rien qui dit plus « je suis ma propre personne » que de faire le contraire de ce qu’on te dit de faire ! C’est ce qu’on appelle la « contre-volonté », c’est sain et c’est une façon d’apprendre à s’affirmer. Les pulsions sexuelles, les changements hormonaux et les sauts d’humeur sont aussi parfaitement normaux.

Par contre, lorsque l’on parle de comportements plus inquiétants, comme s’isoler dans sa chambre ou ne plus vouloir aller en vacances avec sa famille, ça, c’est assez récent et ça ne peut pas être expliqué par la biologie ou par une phase développementale. « Toutefois, pas de panique, ça peut arriver au meilleur parent du monde entier. Personne n’est à l’abri que son jeune ait un style d’attachement orienté vers les pairs. Notre société fait tout pour que ça arrive. Si l’enfant est dans ce style d’attachement, c’est là qu’il va repousser les adultes qui vont vouloir prendre soin de lui. Il peut manquer de respect aux enseignants ou faire de l’attitude à ses parents en leur répondant. »

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Comment accompagner les jeunes là-dedans?

On aura tendance à penser qu’il faut donner de l’espace aux jeunes pour les laisser vivre cette période sans s’en mêler, alors que c’est tout le contraire. Comme l’explique le Dr Gordon Neufeld, « le problème, c’est justement que les parents vont avoir tendance à capituler dans un moment où leur jeune a besoin de l’espace sécuritaire qu’une personne mature peut leur offrir, puisque la maturation affective d’un adolescent est encore loin d’être terminée. »

Sarah précise que si les parents souhaitent apprendre comment regagner le cœur de leurs jeunes, le livre Hold on to Your Kids : Why Parents Need to Matter More Than Peers est une référence béton qui explique comment favoriser une relation nourrissante avec votre enfant. Gordon Neufeld y donne aussi des pistes de solutions quant à la stratégie parentale à favoriser, l’impact du ton et des comportements sur la qualité du lien d’attachement et les méthodes disciplinaires à éviter car elles nuisent à la relation.

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