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S’il y a bien une chose à savoir avant de commencer l’université à Sherbrooke, c’est que les jeudis soirs : ça brasse. T’as pas vraiment vécu le #SherbyLove si t’as pas bu une petite bière avec tes amis sur le campus en admirant le soleil qui se couche derrière le mont Orford. Cette tradition ne date pas d’hier. Si l’université a été inaugurée en 1954, il aura fallu moins de 10 ans pour voir apparaître les premières beuveries sur le campus. Les boomers aussi aimaient fêter.
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1963
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Avant de servir des bières à 2,50$ dans des bocks réutilisables, les étudiants de l’UdeS festoyaient dans des bars à même l’université. Plusieurs de ces établissements ont notamment marqué le night life sur le campus : Le Tombeau de BACUS (pour Boite à chansons de l’UdeS) de 1963 à 1968, l’Antre II, un casse-croûte style bar de 1968 à 1976 et le Bahut en 1977 qui, après avoir été ravagé par les flammes en 1998, est devenu le Kudsak en 1999.
Dans les premières années de l’histoire des bars de l’UdeS, on y retrouvait davantage une ambiance de rencontres: ils étaient LES spots de dates sur le campus. Par chance, la venue du Bahut en 77 a mis le party dans la place. Il fallait arriver très tôt pour ne pas se faire refuser l’entrée tellement la file était longue. Rien n’empêchait les étudiants assoiffés de danser serrés sur du Beau Dommage.
1970
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Les années 70 : l’époque où ont eu lieu les premiers partys «en sciences»… C’est là que tout a commencé. Chaque association organisait son propre événement dans la cafétéria de la Faculté de droit (endroit que l’on appelle maintenant le Café Gigi), et là, ça veillait tard! Une tradition était née. Martine Cabana, finissante de 1985 à la Faculté d’éducation, me raconte qu’à l’époque, c’est l’Association générale étudiante en génie et celle d’administration qui organisaient les plus grosses soirées… et c’est toujours le cas aujourd’hui.
La ville de Sherbrooke au grand complet se rejoignait à l’université pour profiter d’une (ou 3) petite fraiche. Le classique itinéraire du jeudi soir débutait par un prédrink au Bahut ou au Kudsak suivi d’une soirée prolongée en sciences. On voyait déjà apparaître les balbutiements des 5@8 dans quelques facultés, mais ce n’était rien comparé aux années à venir.
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2006
L’Université de Sherbrooke est en deuil. La direction de l’université a décidé de ne pas renouveler le contrat du Kudsak avec la Fédération étudiante universitaire (FEUS). Les motifs de cette fin brutale sont encore inconnus. L’avenir est au 5@8.
Les associations étudiantes ont toujours été impliquées dans les décisions quant aux fêtes sur le campus. En 2006, elles avaient beaucoup plus de liberté qu’aujourd’hui.
Chaque association avait droit à un 5@11 (et même parfois des 6@12!) par trimestre. Trois heures de plus que le programme régulier qui se terminait à 20h. Ainsi, 8 facultés, 8 jeudis dans la session (qui je le rappelle compte environ 15 semaines) … ce n’est pas les occasions qui manquent. On vendait non seulement de la bière, mais aussi de l’alcool fort, des doubles, des quadruples! Marc-Olivier Cholette, étudiant de l’UdeS de 2011 à 2018, aime surnommer cette époque « l’âge d’or des 5@8 ». Quand une faculté organisait un 5@11, ça n’empêchait pas les autres de faire un 5@8. En veux-tu du choix? En v’là!
C’était comme une business : les assos devaient trouver des attraits qui les différenciaient pour attirer la clientèle à leurs événements. C’est là que les clichés sont apparus. En Génie, ça se croit tout permis, ça arbore des déguisements hauts en couleur et ça boit comme si leurs vies en dépendent ; en Admin, c’est plus douchebag, on fait le party une heure plus tôt donc un 4@7 et on bounce sur le beat d’un DJ electro, comme si on était à la Commission des Liqueurs ; en Droit, c’est les « m’as-tu vu? », les plus cools de tous, mais faut quand même avouer qu’ils sont pas pire cutes les futurs avocats et les avocates ; en Sciences, ça fait le party un peu geek avec une section jeux de société, on y va pour la pizza quand il y en a plus en Génie ; en Éducation, tout le monde est gerlot assez vite, soit parce qu’ils ne sont pas habitués de boire ou parce qu’ils boivent jamais dû à leurs vies d’adultes déjà entamées ; en Sciences humaines, il ne se passe pas grand-chose, c’est dans un sous-sol… Chaque faculté a son monde, son microclimat bien à elle.
J’en ai discuté avec le Doyen de la Faculté de génie, Professeur Patrik Doucet. Originaire de Sherbrooke, il est gradué de l’UdeS en génie mécanique où il a d’ailleurs occupé le poste de directeur des 5@8 pendant ses études. Il m’explique que comme 80% de la population étudiante de l’UdeS vient de l’extérieur, les 5@8 sont des moments primordiaux pour tisser des liens. « C’est très important pour la vie étudiante à l’université. Ça permet aux étudiants et étudiantes de parler, de décompresser, de faire de nouvelles rencontres. J’ai toujours défendu ces événements et j’ai toujours voulu être impliqué dans les décisions les concernant. » Il me rappelle aussi toute la portion entrepreneuriale que de telles organisations étudiantes impliquent. C’est en effet énormément d’heures de bénévolat qui sont consacrées à la mise en place des 5@8. Pour chaque faculté, les profits engendrés sont destinés aux activités des différentes cohortes : bals de finissant, compétitions, voyages, même des organisations caritatives telles que Leucan! Comme quoi les débauches peuvent servir à quelque chose de pertinent!
2010
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Les jeudis soirs à Sherbrooke généraient énormément d’achalandage. Les 5@8 n’accueillaient pas seulement des gens de l’UdeS, mais beaucoup d’externes. Il pouvait y avoir jusqu’à 3 500, voir 4 000 personnes par faculté. Ça devenait problématique. La sécurité ne fournissait plus.
Victimes de leurs succès, les associations se sont retrouvées en discussion avec le Comité planification de l’Université de Sherbrooke qui regroupe tous les doyens et les membres du rectorat. Résultat : il y avait maintenant qu’une seule activité prolongée (5@11) par trimestre où chacune des facultés avait le droit d’y organiser sa soirée. Ceci permettait entre autres de concentrer les effectifs en une seule soirée pour éviter les débordements récurrents. Pour les autres jeudis de la session, on se tenait à des activités d’une durée maximale de 3 heures. Adieu, l’âge d’or des 5@8.
2017
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Terreur sur le campus. Un beau matin de novembre, le Comité planification annonce de nouvelles conditions entourant les 5@8 : aucun alcool au-delà de 6 % ne sera vendu et les non-étudiants (qu’on appelle les externes) ne seront plus tolérés. Par ces mesures, l’Université voulait éviter que le campus devienne « un bar » et que le but des 5@8, la fraternité, soit priorisé. Les associations étudiantes crient au scandale. Comment se fait-il qu’après tant d’années de travail coopératif entre la communauté étudiante et les membres du rectorat, ces derniers se permettent de leur faire faux bond de la sorte?
Charles Dubé, étudiant de communication-marketing, lance une campagne contre les nouvelles contraintes. Sous la ligne directrice « Droit au party », ses slogans reprochent les nouvelles politiques : « Make Thursday Nights Great Again », « On est plus au cégep, on mérite des doubles », « Rectorat partout, justice nulle part ». Les visuels ont été partagés sur les réseaux sociaux des multiples facultés.
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L’Association générale étudiante de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke (AGEFLESH) s’est rendue jusque dans les studios de Radio-Canada pour exprimer leur désarroi. Elle a ensuite a voté en assemblée de faire fi des nouvelles mesures en guise de moyen de pression. La marde était pognée, comme ils disent…
À ce jour si vous profitez d’un 5@8 à l’UdeS, vous n’aurez pas conscience des changements de 2017. C’est plutôt lors des 5@11 : seulement de l’alcool qui n’excède pas 6 % est servi et les externes peuvent être admis seulement s’ils s’inscrivent 24 h à l’avance.
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J’ai fait mon baccalauréat en communication appliquée de 2016 à 2019. J’ai vécu des jeudis soirs mémorables (ou très flous) sur le campus. Bon, je n’ai peut-être pas vécu « l’âge d’or des 5@8 », mais j’ai rencontré du beau monde (coucou les gars de Génie), je me suis liée d’amitié avec des personnes qui me sont très chères, je me suis fait des amies éphémères dans la file de la salle de bain, j’ai attrapé quelques grippes à courir d’une faculté à l’autre sur le campus sans mon manteau en plein hiver, j’ai dansé à maintes et maintes reprises le set carré sur Cœur de loup avec une marre d’inconnus, j’ai manqué quelques cours le vendredi matin (et même le jeudi soir)… Et avec un pas de recul, je peux affirmer sans l’ombre d’un doute que t’as pas réellement vécu le #SherbyLove si t’as pas passé un jeudi soir à l’Université de Sherbrooke.