Logo

La Mommy Wine Culture : de l’alcool et des mères à boutte

Meme ou réalité plus sombre?

Par
Julie Chaumont
Publicité

« Shooooter! » ais-je eu envie de m’exclamer lorsque Gabrielle m’a contactée pour écrire un article sur la Mommy Wine Culture. Je me voyais déjà passer trop de temps à chercher des memes rigolos sur les réseaux sociaux et rire des multiples objets cringe que j’allais dénicher pour pouvoir agrémenter ce texte de drôleries. Mais j’ai même pas eu le temps de sortir la bouteille de Sour Puss que la réalité m’a rattrapée, mes recherches m’ayant rapidement menée au dark side of the wine.

Il suffit de taper « Mommy Needs Wine » dans Google images pour avoir accès à une panoplie de memes sur la mère à boutte qui a besoin d’un verre de vin (ou plus!) pour survivre à ses enfants. Ces petites images qui se veulent rigolotes circulent abondamment sur les réseaux sociaux. Il y en a des drôles. Il y en a des moins drôles. Il y en a des carrément dérangeantes – Mommy needs a second glass of wine because she didn’t have a second abortion. Ouch. Si c’est ça ta vie, c’est pas d’un deuxième verre de vin que t’as besoin, c’est d’un bon psy pour t’aider à faire la paix avec ce que tu vis.

Personnellement, quand je trouve que ma vie, c’est de la marde, je préfère regarder Élyse Guilbault avec du chocolat plein les dents qu’un meme de mère à boutte.

Publicité

La mère épuisée qui a besoin d’un verre ne sévit pas seulement sur Internet. Elle envahit aussi l’espace télévisuel. « Ouvrez la télé pour regarder des émissions, tout le monde boit du vin. Et ça boit des gros verres, des ballons bien remplis. On est loin des verres des années 50! », me fait remarquer Anne Elizabeth Lapointe, directrice générale de La Maison Jean Lapointe, un organisme sans but lucratif qui vient en aide aux personnes aux prises avec une ou plusieurs dépendances. « Dans la société, l’alcool, ce n’est pas mal vu. Malgré tout ce qu’on sait, c’est très encouragé. C’est répandu, c’est accepté », souligne-t-elle.

Ses propos rejoignent ceux de Kim Brière-Charest, directrice de projets en substances psychoactives à l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ), avec qui j’ai parlé des statistiques du Rapport final sur les enjeux liés à la consommation d’alcool chez les Québécoises. Elle aussi parle de banalisation et d’omniprésence de l’alcool.

Publicité

Et ça, c’est sans parler des stratégies marketing utilisées pour viser spécifiquement les femmes (produits aux couleurs chatoyantes, cocktails, prêts à boire, etc.).

Et glou, et glou, et glou…

Le verre de vin est LA récompense ultime de la mère à boutte, l’échappatoire qui lui permet de décompresser et d’avoir un peu de me time. L’antithèse du café frette des matins pressés. C’est l’élixir qu’on savoure pour respirer, pour se retrouver. À en croire les memes, tant que les mères auront du vin, elles pourront continuer à être des superwomen. Et c’est bien là le piège.

« Aujourd’hui, les femmes jouent de multiples rôles. Elles travaillent, elles sont mères, elles sont conjointes, elles ont une vie sociale, etc. Il y a quand même beaucoup de pression chez les femmes. Même au niveau de l’équité dans le milieu de travail, il y a beaucoup de pression. »

« C’est sûr que le petit verre de vin à la fin de la journée est souvent perçu comme une récompense. Et c’est ça qu’on voit en traitement chez les femmes. C’est une récompense, une façon de se désennuyer, de décompresser, de soulager des émotions négatives, etc. Ça devient très vite un réflexe », dit madame Lapointe.

Un réflexe qui peut avoir de lourdes conséquences…

Publicité

L’éternelle inégalité

Selon madame Brière-Charest, il manque de prévention et de sensibilisation en matière de consommation d’alcool. « Sans entrer dans les quantités recommandées, je pense que l’important, c’est d’être sensible à savoir qu’il y a des impacts sur la santé, mais plus largement aussi des impacts sociaux. »

Pour ce qui est des impacts sociaux, la wine mom contribue aux stéréotypes selon lesquels la mère porte toutes les responsabilités familiales sur ses épaules. « Malheureusement, encore aujourd’hui, ce qu’on observe, c’est que près de huit mères sur dix estiment qu’elles sont jugées différemment que les pères lorsqu’elles consomment de l’alcool. On a beaucoup de questions à se poser au niveau de la parentalité », souligne madame Brière-Charest.

Une recherche avec les mots « Daddy Needs Wine » dans Google images vient confirmer les stéréotypes. Ben de la marchandise, aucun meme, et surtout, aucun lien avec la surcharge liée aux enfants ou à la vie de famille. C’est donc dire que tous ces memes que les mères partagent sur les réseaux sociaux avec un sourire en coin ne font finalement que renforcer l’éternel stéréotype de la femme qui gère tout et qui doit être parfaite. Par ailleurs, avez-vous déjà vu un père partager ce genre d’image là?

Pas moi!

Publicité

Lâche ton verre

Ces memes, produits dérivés et autres tactiques de marketing faisant la promotion d’un bon verre de vin sont-ils vraiment les coupables de la consommation excessive d’alcool chez les mères? Dans mon cas, je n’ai absolument pas besoin de phrases d’encouragement pour m’inciter à virer une bonne brosse avec mes amies une fois de temps en temps, mais selon les personnes qui travaillent dans le milieu de la dépendance, dont les deux intervenantes consultées pour cet article, oui, ça contribue au phénomène.

« On voit que c’est un phénomène qui va sans doute se traduire par une hausse de problèmes de consommation d’alcool dans les prochaines années », souligne Anne Elizabeth Lapointe.

Publicité

« À l’ASPQ, on souhaiterait minimalement s’assurer de réduire la quantité de publicités sexistes, donc vraiment s’assurer qu’on évite les stéréotypes liés aux femmes qui consomment de l’alcool puis aussi, idéalement, qu’on puisse revoir sous un angle plus large cet encadrement marketing là », dit pour sa part Kim Brière-Charest.

Sans tenir un discours moralisateur, ces deux femmes ont raison. L’alcool est une drogue qui fait des ravages et banaliser son omniprésence dans notre quotidien, voire d’en faire la promotion, ça n’a absolument rien de bon. Mon collègue Hugo Meunier l’avait relevé dans le documentaire Péter la balloune, que vous pouvez facilement trouver sur YouTube.

Je vous invite aussi à consulter le Rapport final sur les enjeux liés à la consommation d’alcool chez les Québécoises publié sur le site de l’APSQ. Les nombreuses statistiques qui s’y trouvent sauront peut-être vous conscientiser davantage que la lecture de cet article trop court pour faire le tour d’un sujet si lourd. Santé!

Publicité

PS N’attendez pas d’être rendue au fond du baril pour aller chercher de l’aide. Ci-dessous, de nombreuses références pour vous soutenir.

Ressources et références

Publicité