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La « mère ordinaire » : mieux vaut en rire qu’en pleurer?
Exposer le côté obscur de la maternité.
Voilà un sujet qui est abordé et réabordé à travers moult billets de blogues.
Moult moult moult.
L’intention peut être noble. C’est que se flasher l’indignité répond à un sacré besoin : partager ce « sentiment de culpabilité ressenti quand tu ne respectes pas les préceptes du parent parfait ». Ça, c’est l’auteure Caroline Allard qui l’a écrit dans le tome 1 du recueil Les chroniques d’une mère indigne.
Caroline nous remettait alors dans la face le caractère douteux et funné de différents aspects de la vie de famille, à travers une auto-fiction qui a été livrée par des interprètes. Mais dix ans plus tard, lâchez-nous ça, le scénarisé!
La mère indigne fait place à l’emblème populaire de la mère ordinaire, qui nous présente sa famille réelle avec leurs faces réelles, des photos réelles et des anecdotes réelles.
Cette mère ordinaire, c’est Bianca Longpré. Pour ceux et celles qui se disent « qui c’est ça? », rappelons-nous qu’elle a particulièrement fait jaser avec son texte « T’as pas d’enfant, tu m’en dois une! ». En juin dernier, elle a aussi publié une photo de son fils de 2 ans en larmes en le qualifiant de p’tit Ben Laden, de terroriste et de suicidaire, de bipolaire en répondant aux gens qui condamnaient la chose qu’ils ne maîtrisaient pas l’humour. Je pourrais ajouter que cette semaine, à l’émission Médium large, elle a mentionné que la charge mentale pouvait être un choix, mais je vais m’arrêter ici.
Elle a aussi publié une photo de son fils de 2 ans en larmes en le qualifiant de p’tit Ben Laden
C’est qu’en termes de faits saillants, il faut aussi souligner que le discours de la mère ordinaire semble faire écho chez plusieurs, mais plusieurs couples de parents hétérosexuels. Et ça, ça me soulève le questionnement sur un moyen temps.
« Arrête, c’est juste pour rire! », me diront certain.e.s.
Ah oui? Et si on prenait le temps de se pencher sur certaines idées rattachées à cette tendance qui rejoint plus de 90 000 abonnés sur Facebook et qu’on jouait à « trouvera trouvera pas ce qui va ce qui ne va pas »?
On va peut-être rire.
Un peu jaune.
IDÉE #1 : Laver son linge sale en public, c’est adéquat
Ici, ça s’applique au propre comme au figuré. Mais entre photographier sa salle de lavage pour témoigner de l’accumulation de la charge de travail et rapporter les coups de pioche de son conjoint, dépeint comme un être-incapable-de-laver-un-plancher-incapable-de-s’occuper-des-enfants-seul-trop-longtemps-incapable-de-faire-un-repas-adéquatement, il y a une marge.
« On se compare, on se console » peut s’appliquer à des bourdes organisationnelles, mais quand on parle de dynamique familiale, est-ce qu’on doit commencer à entrer dans la surenchère publique de « mes enfants sont pires que les tiens » ou « mon mari est plus tata que le tien »?
En quoi c’est productif?
Et de toute façon, une fois qu’on a identifié nos difficultés, on fait quoi? On les répertorie et on cumule les like? On les subit et on accepte ce statut quo?
En quoi c’est productif?
IDÉE #2 : Exposer son enfant et partager un pan de sa vie privée dans le public, c’est convenable
Question quiz : à quel point instrumentalisons-nous nos propres enfants dans le but d’obtenir la reconnaissance d’inconnus sur les réseaux sociaux?
C’est bien plate, mais comme parent, on a des responsabilités de base envers notre enfant.
Genre le protéger.
Je ne crois pas que dans la vie-réelle-concrète on accepterait que 4 000 personnes prennent une photo de notre progéniture pendant qu’elle fait une crise de larmes. Je ne crois pas qu’on accepterait qu’ils l’exposent à Pierre-Jean-Jacques-pis-Monique, en ponctuant le tout d’un commentaire pas nécessairement bienveillant.
Pourquoi est-ce plus acceptable sur les médias sociaux?
(bruit de criquets)
IDÉE #3 : Avoir pour rengaine « J’t’a boutte, j’veux du vino! », c’est normal
À quel point est-ce anecdotique de se sentir constamment dépassé.e par les évènements, de ne pas bénéficier du support d’un.e partenaire, de se sentir contraint.e par une structure familiale?
Les difficultés à actualiser la mythique « conciliation travail-famille », l’isolement et le surmenage qui en découlent, c’est bien réel. Ce n’est pas à prendre à la légère. Et responsabiliser sa marmaille d’être à la source d’un désir d’alcool perpétuel, c’est problématique.
Point barre.
IDÉE #4 : Mettre les hommes (nonos) d’un bord, les femmes (germaines) de l’autre, c’est naturel
Ici, on surligne solidement les stéréotypes de genre. Le père est inadéquat et paresseux parce qu’il est un homme, « vous savez, ils sont tous de même, c’est inné », et la mère est en contrôle parce que, « que voulez-vous, c’est dans sa nature de tout gérer, elles sont toutes de même, c’est inné, oui, vous êtes de même, vous aussi, DITES-MOI QUE VOUS ÊTES DE MÊME! »
Mais il se trouve que « nous [les femmes] ne naissons pas avec une passion dévorante pour le rangement de table, de même que les garçons ne naissent pas avec un désintérêt total pour les choses qui traînent ». Ça, c’est un extrait de la BD sur la charge mentale, créée par la blogueuse Emma. Fort intéressante, elle remet les rôles traditionnels en perspective en visant pas mal dans le mille (vous pouvez la lire ICI).
On surligne solidement les stéréotypes de genre.
Alors pourquoi considérer ces stéréotypes comme des fatalités, les subir et en « rire-avec-des-guillemets » plutôt que d’ouvrir le discours à leur sujet en cherchant à les assouplir, quitte à les déconstruire?
Pourqueeeouuaa?
IDÉE #4 : Mettre les mères (who knows better) d’un bord, les pas-mères (who knows nothing) de l’autre, ça va de soi
« Il y a juste les mères qui peuvent comprendre ». « Les filles sans enfants, ne soyez pas susceptibles, c’est de l’humour ».
Je comprends le fun de partager avec quelqu’un qui vit une situation similaire. Toutefois, notre façon de vivre la maternité n’est pas standardisée, uniforme et généralisable. Les vécus sont pluriels alors il est possible qu’une mère parle à une mère et que… coup de théâtre! Elles ne partagent pas la même vision.
De l’autre côté (parce que ç’a l’air que ça se scinde en deux), ce n’est pas parce qu’une personne n’élève pas d’enfants au quotidien qu’elle ne comprend rien de rien. Ayons confiance. Elle peut comprendre. Différemment, peut-être, mais comprendre quand même. Elle peut même aider.
J’dis ça de même, mais la solidarité et l’esprit collaboratif m’ont toujours paru plus winner que l’individualité et le repli sur soi.
Alors on fait quoi, avec ça?
À n’en point douter, un des grands défis de la parentalité, c’est de répondre aux besoins de l’enfant (et Dieu sait qu’il en a) tout en satisfaisant nos besoins personnels, relationnels, sociaux, sexuels, conjugaux. Ce n’est pas évident et c’est CLAIR que ça peut générer de la frustration, de l’ambivalence et un p’tit (ou grand) feeling de détresse.
J’aimerais prendre ça à la légère comme c’est généralement recommandé quand on se questionne sur le discours porté par ces mères ordinaires. Mais au-delà de la situation individuelle vécue par la famille de Bianca Longpré, il y a clairement un sentiment d’identification massif qui n’est pas anodin.
Ce n’est pas léger de vivre avec la charge mentale.
Ce n’est pas léger de vivre avec la charge mentale. Ce n’est pas léger de justifier des comportements inadéquats par des stéréotypes de genre. Alors à quel point doit-on « aimer et partager » plutôt que « se questionner et revendiquer »?
Au lieu de se pointer continuellement du doigt en faisant « je suis de même », « toi t’es de même », « moi aussi j’suis de même », « toi t’es de même », « lui y est de même », « y sont tous de même », « on est de même », pourquoi ne pas se pencher collectivement sur ce qui cloche pour tenter de faire évoluer le portrait?
L’éducation qu’on offre aux futurs papas, aux futures mamans, il faut la requestionner. La qualité des structures sociales mises en place pour soutenir les parents, il faut l’évaluer. Oui, il faut réfléchir, sensibiliser, conscientiser, dénoncer, mais aussi agir.
Il serait peut-être souhaitable d’aller au-delà de la proposition « subir et rire » et d’éviter de se complaire dans la complainte. Parce qu’à travers tout ça, mère ordinaire ou pas, le véritable défi n’est pas seulement d’élever nos enfants : c’est aussi de chercher à s’élever individuellement et collectivement une fois qu’on est grand.