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La leçon du crotté qui m’a volé
Ben voyons, ça fait combien de verres que j’bois, m’semble que j’me sens un peu gorlot… C’était quand même une belle soirée. Les gens sont drôles pis beaux pis fins. J’aime les gens. Coudonc, j’suis-tu saoul? Oh well, j’ai mangé une feuille de kale la semaine passée, j’peux ben boire 3 bouteilles de vin à soir. Hey ça faisait longtemps que j’avais fermé ça, un bar, moé… J’ai la plotte à terre! J’me tourne pour ramasser mon sac. MON SAC.
La mini attaque de cœur me pogne. Y’était à côté d’moi y’a 2 secondes. Y’EST OÙ? Esti de quartier trash de câlisse. J’vais brailler. J’hais les gens. J’fais le tour de la place à peu près 97 fois avec un des employés. Y’a pu de sac. Mon portefeuille. Mes clés d’appart. Mon linge. Mes appareils auditifs à fucking 3000 $. All gone.
J’marche pour m’en aller chez nous, les poches vides. Ça fait bizarre, n’avoir rien à trainer avec moi. J’me sens libre. Léger. Comme quand j’était p’tit. I guess… J’sais pas. J’essaye juste d’avoir l’air deep. J’suis officiellement saoul. J’examine, tel un James Bond, chaque personne que je croise sur le trottoir avec un sac, voir si je ne verrais pas le mien. Tout le monde a l’air louche. LES GENS SONT PAS TRUSTABLES.
IT’S A DAAAAMN COOOOLD NIGHT! TRYING TO FIGURE OOOOOUT THIIIS LIFE!
(Avril Lavigne, qui me comprend)
J’me sens violé dans mon intimité. C’était MES choses avec MON odeur, placées dans l’ordre que MOI j’aime. En même temps, ma yeule. Au moins, j’ai pas l’cancer pis j’vis pas dans un pays d’marde. En plus, j’ai encore mes jambes. L’autre soir, j’regardais une série sur les ambulanciers et le monsieur s’est fait frapper par un char et il a perdu ses jambes. C’était fucking triste. Plus triste que mon sac. Mais mon sac, c’est plus triste que d’autres affaires moins tristes, donc j’ai tu le droit d’être en criss ou non? C’est ben compliqué, vivre quand t’es woke…
C’est ben compliqué, vivre quand t’es woke…
Coudonc, y fait ben frette tabarnak! Of course que l’automne a décidé qu’il tombait à soir! C’tu ça, le karma? C’tu à cause que j’ai fait des yeux doux à l’inconnu babe au bar alors que mon chum dort paisiblement chez nous? En même temps, j’lui ai pas mâchouillé les foufounes, à l’inconnu, j’lui ai juste souri… Ça compte-tu?
Tu m’fais chier, esti de crotté puant voleur de sac qui entre dans les bars pour voler les innocents su’à rumba sans défense (moé). À moins que tu ne sois pas un crotté. À moins que tu sois un monsieur full fancy. Peut-être même que t’es une p’tite madame. Pourquoi j’assume automatiquement que t’es un gars? Bon ça y’est, j’suis sexiste!
THERE WERE NIGHTS WHEN THE WIND WAS SOOO COOOOOOLD!
(Céline, qui a déjà rushé elle aussi, apparemment)
J’passe devant une pancarte électorale (une des milliers qui va continuer de trainer partout dans la ville). Quelqu’un a dessiné une plotte dans face d’la politicienne. J’suis tanné des gens. J’arrive devant mon appart. J’espère que mon chum va se réveiller si je cogne assez fort à la porte… J’ai pu de clé.
Fidèle au poste, il m’ouvre après quelques minutes. J’lui raconte mes gros malheurs et il m’écoute, à 4 h 30 du matin, alors qu’il travaille tôt le lendemain. J’suis chanceux. Mon sac vide mais l’cœur plein, on s’endort collés.
Le lendemain matin, j’ai un message sur ma boite vocale. C’est la banque. Des activités inhabituelles ont eu lieu durant la nuit sur ma carte de crédit ET ma carte débit (parce que quelqu’un s’est dit que c’était une bonne idée de mettre l’option « tap » sur une carte débit). Une vingtaine de transactions ont été faites sur mes cartes… Première transaction? 4.79 $ au McDo… REALLY? C’est même pas ton cash! Achète-la donc, la méga boite de croquettes, rendu là, espèce de cheap psycho.
Il a suivi mon conseil pour le reste de la nuit, apparemment. Des rides de taxi, des visites dans des dépanneurs, des pharmacies et des fast food (pas mal les seuls commerces d’ouverts la nuit) à grands coups de MasterCard.
4.79 $ au McDo… REALLY? C’est même pas ton cash! achète-la donc, la méga boite de croquettes, rendu là, espèce de cheap psycho.
J’appelle pour faire canceller mes cartes. J’ai peur de rien comprendre au téléphone sans mes appareils auditifs. Il ne m’a pas juste volé mes biens, cet osti -là, il m’a aussi volé un de mes sens! UN DE MES SENS. J’imagine mon crotté en train de gosser avec mes appareils, à n’avoir absolument aucune crisse d’idée à quoi ça sert ou combien ça vaut…
J’marche vers le poste de police pour faire un rapport. Y pleut. Y fait frette. Y’a une p’tite madame qui m’fait un sourire sur le trottoir (j’pogne avec ça, moi, les p’tites mesdames). J’me force à lui sourire en retour même si j’suis pas dans l’mood pentoute.
THERE’S ALWAYS GONNA BE AN OTHER MOUNTAIN, IM ALWAYS GONNA WANNA MAKE IT MOOOOVE!
(Miley, pleine de sagesse)
J’arrive au poste, donne mes infos à la policière, me rends ensuite à la banque pour qu’on me donne une carte temporaire et termine cette journée de rêve en allant faire un p’tit tour à la SAAQ pour refaire mon permis. Un sac sans surveillance se trouve sur la chaise à coté d’moi. Son propriétaire aura l’droit à un méchant speech de ma part quand il va revenir prendre son sac. LE MONDE N’EST PAS TRUSTABLE, que j’lui dirai.
Quand vient le temps de payer mon permis, la crisse de carte temporaire de la banque ne fonctionne pas. J’dois absolument faire un retrait dans un guichet RBC. Y’en a genre 3 dans tout le Québec, des guichets RBC. J’sors dehors. Il pleut encore. Il vente tellement que ça sert a rien que j’ouvre mon parapluie.
Si moi j’deviens un asshole qui s’crisse des autres à la seconde où j’vis une mini injustice, imagine lui qui a peut-être passé toute sa vie à en vivre. Il mérite ben une p’tite soirée à s’acheter des shits au Couche-Tard sur mon bras.
Une p’tite madame me sourit encore une fois. Je la regarde d’un regard glacial et continue mon chemin. Je m’en crisse. J’en ai plein l’cul. C’est l’heure du diner. Les trottoirs sont jam-packed pis on dirait que les gens font exprès pour marcher lentement. Tout le monde est laid pis cave. J’me sens révolté, j’ai envie d’aller me faire faire un tattoo dans face pis toute.
J’pense à la p’tite madame. J’feel cheap de ne pas lui avoir retourné son sourire. Elle ne m’a rien fait. J’suis juste amer. Pis là, j’me mets à penser à mon voleur crotté. Si moi j’deviens un asshole qui s’crisse des autres à la seconde où j’vis une mini injustice, imagine lui qui a peut-être passé toute sa vie à en vivre. Il mérite ben une p’tite soirée à s’acheter des shits au Couche-Tard sur mon bras. J’le comprends de s’en crisser, de moi. Moi aussi, j’men crisserais de moi.
En même temps, si moi j’dois me rappeler que y’a des gens qui vivent dans des pays de marde ou avec le cancer quand j’vis mes p’tits malheurs, mon crotté devrait faire la même chose avec ses moyens malheurs, non? Peut-être même que la p’tite madame qui m’a souri a elle aussi vécu plein de malheurs… Peut-être même bien pires que ceux de mon crotté. Pis est fine pareil, elle…
AND THAT’S THE WAY IT IIIIIS!
(Encore Céline, plus résiliente que jamais)
J’suis déçu. J’espérais que ma p’tite histoire de sac à dos me donne une belle leçon sur la vie. Une leçon sur la compassion pis la justice pis toute. Mais là, j’suis juste confus. On dirait que ma seule conclusion, c’est que dans vie, y’a toujours mieux, y’a toujours pire et que tout le monde se gère de façon différente.
J’décide quand même d’essayer d’avoir d’la compassion pour mon voleur crotté. M’semble que ça m’fait sentir mieux que si j’décide de l’haïr. D’ici quelques jours, j’vais probablement m’en crisser de mon sac de toute façon…
La prochaine fois que j’croise une p’tite madame qui me sourit, j’espère que j’vais lui sourire en retour, même si j’passe une mauvaise journée. Pis si j’croise mon crotté avec mon sac sur le dos, je lui sourirai à lui aussi. Okay non, peut-être pas à ce point-là… J’sais pu.