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La grossophobie au bureau est-elle encore tolérée?
Si vous êtes victime de harcèlement ou subissez de la discrimination sur votre lieu de travail, vous êtes protégé.e.s par la Charte des droits et libertés, normalement. C’est déjà peu facile de faire valoir ses droits, imaginez maintenant être discriminé.e pour un motif qui n’apparaît pas dans la Charte. C’est comme ça que ça se passe pour les personnes victimes de grossophobie.
Bien que ce genre de discrimination soit de plus en plus connue, on parle peu de ses impacts sur le monde du travail. Ce n’est pas qu’une question de sous-entendus ou de regards de biais : ces expériences altèrent profondément les trajectoires professionnelles des gens qui en sont victimes.
À l’embauche
À compétence égale, une personne grosse a moins de chance d’obtenir un emploi qu’une personne mince.
C’est le constat auquel sont arrivées plusieurs équipes de scientifiques. Une étude publiée dans la revue Frontiers in Psychology montre que des candidat.e.s jugé.e.s obèses étaient moins retenu.e.s pour des postes hypothétiques lorsque leur CV était accompagné d’une photo. Les auteurices de cet article en viennent à la conclusion que même si les personnes grosses sont discriminées à l’embauche dans toutes les sphères du monde du travail, cette discrimination est beaucoup plus marquée pour les emplois qui demandent plus de travail manuel.
Étant moins engagées à compétence égale, les personnes grosses ont moins d’options lorsque vient le temps de choisir un lieu de travail.
Même les participant.e.s chez qui on n’avait détecté aucun biais grossophobe grâce à des tests préliminaires en arrivaient à la même décision, ce que les auteurices d’une autre étude ont interprété comme une preuve que la grossophobie est internalisée à un point presque inconscient par la majorité de la population.
Ce désavantage aux yeux des employeurs touche davantage les femmes grosses que les hommes gros. Les femmes grosses rapportent jusqu’à trois fois plus de comportements discriminatoires à leur endroit que leurs homologues masculins. Une autre preuve que la grossophobie est étroitement liée au sexisme et que l’on juge les femmes avant tout sur leur conformité aux standards de beauté.
Étant moins engagées à compétence égale, les personnes grosses ont moins d’options lorsque vient le temps de choisir un lieu de travail. C’est aussi un frein à quitter un poste, de peur de ne pas trouver de nouveau du travail. Cette tendance est inquiétante, surtout lorsqu’on se penche sur les discriminations que subissent les personnes grosses une fois à l’emploi.
Après l’embauche
Les scénarios hypothétiques utilisés dans les études sur la grossophobie se reflètent malheureusement dans la réalité de l’emploi. En moyenne, les personnes grosses gagnent 18 % moins, occupent des positions plus subalternes, reçoivent des tâches considérées plus ingrates et travaillent de plus longues heures que les personnes minces.
Encore une fois, cette tendance est beaucoup plus marquée chez les femmes grosses.
Dans les milieux de travail, les personnes grosses sont souvent victimes de harcèlement, généralement sans que les responsables en soient conscient.e.s. Elles sont les cibles de commentaires désobligeants et de blagues péjoratives, mais ont aussi plus de chances de recevoir des mesures disciplinaires plus sévères et des formations de mauvaise qualité.
Il arrive qu’elles soient écartées d’évènements où elles seront hautement visibles pour préserver une certaine image de marque de la compagnie qui, vous l’aurez compris, est incompatible avec les corps gros. Encore une fois, cette tendance est beaucoup plus marquée chez les femmes grosses. Lorsqu’il est question de métiers où l’on doit beaucoup interagir avec la clientèle, les femmes sont généralement jugées très sévèrement sur leur poids et leur apparence, même celles qui ont un poids considéré « santé ».
Ce ne sont clairement plus des incidents isolés. Alors pourquoi est-ce encore toléré à ce point? Notre compréhension de la grosseur, encore empreinte de préjugés pourtant invalidés par la science, a probablement à voir avec ces attitudes.
Une discrimination pas comme les autres
La grossophobie est différente d’autres oppressions comme le sexisme et le racisme, bien qu’elle leur soit intrinsèquement liée. Contrairement au genre, à la sexualité ou à la couleur de peau, on considère que le fait d’être gros.se est un choix, comme c’est le cas, par exemple, lorsqu’on parle de pauvreté. Bien que de nombreuses études prouvent que le poids est le résultat d’une multitude de facteurs, dont la génétique, la qualité du sommeil, le stress et l’accès alimentaire, il existe encore cette croyance selon laquelle le poids se contrôle simplement par de la volonté et de la discipline.
Contrairement au genre, à la sexualité ou à la couleur de peau, on considère que le fait d’être gros.se est un choix.
Selon cette logique, si quelqu’un est gros.se, c’est parce qu’iel manque de volonté, d’ambition et d’autodiscipline. Lorsqu’on se penche sur la perception des personnes grosses, elles sont considérées comme moins fiables, amicales, consciencieuses et motivées, donc moins compétentes.
Ces croyances et attitudes sont malheureusement autant présentes chez les personnes minces que chez les personnes grosses. En effet, même les personnes grosses ont moins tendance à engager d’autres personnes grosses, à un moindre degré que les personnes minces, cela dit.
Comment être un.e allié.e?
Sachant tout cela, que faire? Encore aujourd’hui, la grossophobie n’est pas un motif de discrimination reconnu par la Charte des droits et libertés. Cependant, la plupart des études recommandent de mettre en place des politiques explicites contre la grossophobie en milieu de travail pour contrer l’internalisation répandue des préjugés à l’égard des personnes grosses.
Virgie Tovar, qui écrit des chroniques sur la grossophobie pour la revue Forbes, suggère des pistes de solution pour rendre le monde du travail plus inclusif, la première étant la responsabilisation des personnes de tous les poids pour combattre la grossophobie. Malheureusement, les personnes grosses sont toujours moins écoutées que les personnes minces au sujet de leur oppression. Une bonne manière de les aider, si cela vous tient à cœur, est d’utiliser votre privilège pour contester la grossophobie ambiante.
Vous entendez un.e collègue faire des commentaires répétés sur son poids ou le poids d’un.e autre? Le bureau organise des défis du type « perdre 20 livres en un mois »? Vous remarquez qu’il n’y a pas de mobilier ou de vêtements adaptés pour vos collègues gros.ses? Ce sont tous des exemples de comportements qui encouragent la grossophobie.
Au final, tout le bureau bénéficiera du fait que vous ayez pris la parole, que vous soyez gros.se ou non.