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La grande histoire de la petite casquette Ciele

Entretien avec son co-créateur Jeremy Bresnen.

Par
Jean Bourbeau
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Légère, colorée et polyvalente, toujours coiffée de son nom aux origines obscures, la casquette Ciele a consolidé au cours des dernières années son statut d’icône de la mode montréalaise. On la remarque aussi bien sur la tête de la coureuse qui vous dépasse sur la montagne que sur celle du barista du coin ou encore sur le jeune père de famille dans la file d’attente. Si sa présentation n’est plus à faire, que connaissons-nous vraiment de la célèbre petite calotte?

Retour sur une aventure qui est loin d’avoir fini d’écrire son histoire.

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J’ai rendez-vous avec son cofondateur, Jeremy Bresnen, dans leur nouvel espace au cœur de la Petite-Bourgogne. L’adresse de la rue Notre-Dame accueille dorénavant le siège social de la marque avec une boutique à l’avant et une zone réservée à la gestion derrière.

L’aménagement est sans surprise, minutieusement réfléchi, avec un style épuré qui correspond parfaitement à l’identité de l’entreprise.

Bien que leurs produits vedettes soient mis de l’avant, les rayons laissent un bel espace pour leurs collections de vêtements plus récents, le nouveau territoire du corps à conquérir.

Un employé finit de brancher le set-up du DJ, les kegs sont remisés dans un coin. Je m’assois avec l’entrepreneur, profitant d’un bref moment de répit au cours de cette journée d’ouverture officielle. Plus de 300 convives sont d’ailleurs attendus en soirée.

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Si l’entreprise montréalaise Ciele Athletics s’est d’abord définie comme une marque disponible uniquement auprès de détaillants spécialisées et en ligne, l’ouverture d’un magasin physique est la concrétisation d’un vieux projet. « Nous avions en tête cette ouverture depuis si longtemps, mais nous avons décidé d’y aller progressivement, en respectant notre philosophie “baby steps” », explique d’emblée Jeremy.

Pour mieux saisir ce mantra qui leur est cher, il faut revenir un peu en arrière.

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La genèse

Au début des années 2000, Jeremy est propriétaire d’un magasin de skateboard dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. C’est là qu’il rencontre Mike Giles, son ami et futur associé. Tous deux sont passionnés de planche et cumulent respectivement quelques réussites dans le monde du design. En unissant leurs aptitudes, ils cherchent à réaliser quelque chose de plus grand.

Fort de son expérience professionnelle et de sa passion pour les marques sportives, Jeremy a soif d’un nouveau défi, sans savoir exactement lequel. Après avoir commencé à courir pour se mettre en forme quelques années plus tôt, il a rapidement remarqué que l’offre disponible pour la course à pied était insuffisante.

Plusieurs idées sont envisagées, mais Jeremy et Mike optent pour la création d’un bermuda de course. Bien que cela puisse sembler être une tâche simple, la conception d’un short de sport comporte un grand nombre de variables qui peuvent se révéler complexes pour une jeune entreprise.

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Alors qu’il est en train de remplir un contrat de design, Jeremy fait la rencontre par hasard d’un fabricant de casquettes.

Soudain, le flash.

« Nous avons analysé le marché. Tout fait du sens, on se lance! », se souvient l’entrepreneur. C’était en 2014.

Jeremy admet que leurs projets antérieurs étaient destinés à des marchés de niche, réservés aux initiés. Cependant, pour leur nouvelle aventure, les deux associés souhaitent toucher un public plus large en rendant leur produit accessible à tous.

La vision initiale de la marque est de proposer un produit technique, de qualité et durable pour la communauté de la course à pied, tout en favorisant l’esprit de rassemblement.

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Le nom

Et quelle est l’origine de ce mystérieux nom? « Le nom est un peu une question de chance », admet Jeremy en riant.

Au départ, « Miles » est leur premier choix et figure même sur le lot initial de 576 casquettes. Cependant, après avoir découvert qu’il existait déjà une équipe sportive portant le même nom, les fondateurs décident d’aller ailleurs.

Vers des rivages, disons, plus conceptuels, car le choix du nom a été grandement influencé par l’amour calligraphique de la lettre « e », ainsi que par le désir de trouver un mot commençant par une lettre se situant au début de l’alphabet. En ajoutant deux « e » au mot « Ciel », le nom acquiert ainsi une aura énigmatique qui ne se limite pas à sa seule posture linguistique.

Il y a aussi eu un débat sur la façon de prononcer le nom « ciele », avec une prononciation à l’italienne sur le « c » ou en mettant l’accent sur le « e » final, mais sans accent visuel pour faciliter le marché américain.

Et bien sûr, le logo condamne toute majuscule.

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« On se demande encore si ça fonctionne »

Au cours de leur première année, le duo réussit à vendre 600 des 1 200 unités mises en vente, au prix de 45 dollars chacune. Bien que les ventes ne soient pas le Klondike, la marque est très bien accueillie localement, mais aussi à l’échelle mondiale. « Comme marque, on voyait le potentiel. Comme business, on ne le savait pas trop encore », confesse Jeremy.

« On avait besoin que ça marche », raconte Jeremy qui avoue avoir été difficile à convaincre au départ. « Je me disais secrètement que c’est mon dernier projet. J’avais eu des succès, mais aussi des échecs, alors quand je me suis lancé, j’avais pas le choix : Ciele devait fonctionner. On y a mis toute notre énergie. »

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Des signes encourageants apparaissent au printemps 2015, lorsque l’entreprise montréalaise figure dans un magazine de course à pied comme l’une des cinq marques émergentes à surveiller.

Ciele s’invite dans ce nouvel état d’esprit qui commence à se développer autour de la course à pied. À l’image des deux créateurs, ils remarquent de plus en plus d’hommes dans la trentaine, ayant un peu trop bu et décidant de se remettre en forme, tout en adoptant un style de vie dynamique et amusant. Ciele voulait participer activement à cette tendance.

À l’été de la même année, l’organisation du marathon de Toronto les contacte pour leur proposer d’être les fournisseurs officiels de casquettes pour l’événement. « C’était une surprise totale pour nous, mais ça a démontré que notre marque était en train de se faire remarquer ».

Malgré un fort enthousiasme autour de Ciele, son dirigeant constate à l’époque que la casquette n’est pas une priorité auprès des détaillants. « Les casquettes étaient souvent considérées comme des objets promotionnels, tandis que nous arrivions avec un produit de qualité. Ça a pris du temps, mais on a réussi à percer une ville à la fois : Montréal, Toronto, Vancouver, puis la côte est américaine. »

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En tant que nouvel acteur sur le marché, le fondateur avait l’impression que les magasins devaient encore être convaincus de leur légitimité. Cependant, avec le soutien croissant des coureurs d’élite et de la communauté de la course, leur crédibilité a commencé à être reconnue jusqu’à devenir impossible à ignorer.

Le vent tourne

« Les deux premières années, on faisait encore de la pige sur le côté pour arriver à vivre, ajoute-t-il. Puis on a signé nos premières collaborations, ensuite un distributeur en Angleterre. On voyait la communauté s’agrandir à New York, en Californie. On ne faisait pas encore de l’argent, mais le monde trippait. »

Croire au projet et avancer, un « baby step » à la fois.

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Jeremy n’hésite pas à reconnaître que la pandémie a eu un impact positif sur les affaires. La croissance du commerce en ligne, conjuguée à l’explosion du nombre de coureurs, a contribué à l’essor de son entreprise.

Avec bien sûr un petit coup de main d’Instagram.

L’entreprise a d’ailleurs très peu investi dans le marketing malgré sa présence dans trente pays différents et des distributeurs en Europe, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Japon, en Corée du Sud et en Amérique latine.

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Signe de leur popularité grandissante, Jeremy me raconte que jadis, il était rare de voir plus de trois ou quatre casquettes Ciele traverser la ligne d’arrivée du marathon de Boston, soit la course la plus célèbre en Amérique du Nord. Cependant, lors de la dernière édition du 17 avril, une ancienne représentante lui a fait savoir sa stupéfaction face à la présence surabondante du couvre-chef montréalais. « C’est incroyable, j’ai des frissons tellement il y a de casquettes Ciele sur le parcours! », s’émerveillait-elle.

Et curieusement, on m’apprend que si la marque est l’accessoire favori des hipsters de Villeray roulant en Subaru, en Nouvelle-Angleterre, elle est plutôt portée par la crème des coureurs.

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Négocier avec la popularité

Jeremy reconnaît que, malgré qu’ils puissent guider la marque, celle-ci prendra tôt ou tard son propre chemin. C’est pourquoi ils ont décidé de toujours se concentrer sur la course à pied et de vendre principalement à des boutiques spécialisées.

« On voulait avant tout que ce soit accessible à tous les coureurs! », déclare-t-il avec humilité.

Mais l’entreprise n’avait pas anticipé un tel engouement pour ses produits qui se répandent bien au-delà de la communauté cible. Par exemple, les casquettes ont été adoptées par les adeptes du ski de randonnée, autant dans les Alpes que les Rocheuses. Et bien sûr, par les brigades en cuisine. Le chef Antonin Mousseau-Rivard, apparu à Tout le monde en parle avec sa casquette Ciele, en est un fier ambassadeur.

Il m’exprime sa satisfaction de croiser ses casquettes portées par des inconnus dans la rue. « C’est gratifiant de voir notre création prospérer ainsi. Au début, lorsque nous voyions quelqu’un porter la porter, ma copine et moi, nous plaisantions en disant: “Oh oui, je le connais”, car c’était souvent le cas. Mais maintenant, nous sommes presque gênés de la voir autant. »

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Le responsable de l’entreprise, qui emploie maintenant vingt personnes, affirme que leur timing était bon et que leur idée a été bien reçue, à Montréal comme ailleurs.

« Une brand a une vie et on doit naviguer avec son destin, mais on ne changera pas de direction pour autant. On n’est pas là pour aller dans le rock et faire des casquettes en cuir », illustre à la blague Jeremy.

Ils gardent le cap, même si elle abonde sur Tinder.

Et savent-ils combien de casquettes ils ont vendues depuis les débuts? « Pour être honnête, je ne sais pas », répond l’ancien planchiste, le regard égaré.

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Ciele se fixe également des objectifs pour réduire son impact environnemental alors qu’elle poursuit son expansion. Elle vise en particulier à ce que la majorité de sa collection soit certifiée équitable et a déjà réussi en 2023 à rendre tous ses couvre-chefs entièrement recyclables.

Vous pourrez donc raconter sa petite histoire à vos amis campeurs, la prochaine fois que vous la croiserez au Poisson Blanc ou au Dairy Queen sur Jarry.

Si certains plaisantent en disant que la casquette molle est le nouveau labrador ou qu’elle définit une identité plein air un brin élitiste, il est indéniable que l’objet a réussi à franchir chaque étape, le vent dans le dos, sans jamais se soucier des taquineries.

Des petits pas pour un marathon jusqu’ici réussi.

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