Logo

La fois où un « ours » a passé la nuit à côté de notre tente

Une glacière éventrée est si vite arrivée...

Par
Philippe Julien-Bougie
Publicité

« It’s bear country. I see them everyday » (« C’est le pays des ours. J’en vois tous les jours »), nous explique la fille à l’accueil du camping avec son accent australien en ce début de mois de septembre. Nous ne sommes pas en Australie, loin de là. Ma soeur et moi sommes près de Tofino, sur l’île de Vancouver, qui abrite 12 000 ours. Ceci dit, il n’y a aucun grizzly sur l’île, seulement des ours noirs reconnus comme étant peu, voire pas agressifs.

Les règlements du camping sont très stricts. Aucune nourriture ne doit traîner sur notre terrain ou dans notre tente. Ça va de soi. Ce qui me surprend, c’est qu’il est interdit de laisser nos vêtements sur une corde à linge ou du savon sur notre terrain pendant la nuit. Les ours adorent les odeurs. Si les employé.e.s du camping nous voient faillir aux règles, nous risquons de payer une petite contravention. Aucun ours ne devrait se présenter, car je suis de nature docile et surtout… j’ai la chienne des grosses bibittes. Je vais donc respecter les règles à la lettre.

Publicité

« As-tu entendu ça? »

Il faut savoir que notre terrain est le plus éloigné de l’entrée du camping. Nous devons prendre une route de terre pendant quelques minutes pour s’y rendre. Ce n’est cependant pas l’expérience la plus sauvage. Nous voyons nos voisins de terrain et nous avons accès à une toilette publique.

Tofino oblige, nous avons surfé toute la journée. Je rectifie… Nous avons bu beaucoup d’eau salée et essayé de surfer. Exténués, nous mangeons rapidement, replaçons la glacière dans le coffre de la voiture et allons nous coucher. Pour vous donner une idée d’à quel point je fais attention aux règles, j’empêche ma sœur de laisser sécher les wetsuits à l’extérieur, de peur qu’un ours se présente. Aussitôt dans notre sac de couchage, nous dormons comme des bébés.

Il n’y a aucun doute dans notre tête, un ours noir est en train de se faire un BBQ à deux pas de notre tente.

Publicité

Il est trois heures du matin. Je ronfle sûrement. PAFFFF. « As-tu entendu ça? », me chuchote ma sœur. Bien sûr que j’ai entendu. Un animal à quelques mètres de nous semble piocher et se débattre avec un objet en plastique. Silence radio. Je suis stressé.

Un bruit sourd frappe le sol. Comme si quelque chose était tombé par terre. L’animal passe à quelques centimètres de notre tente en faisant glisser l’objet en question. Il n’y a aucun doute dans notre tête, un ours noir est en train de se faire un BBQ à deux pas de notre tente. Voulant tellement respecter les règles, j’ai même laissé le Bear Spray dans la voiture. Rassurant.

Publicité

Armé d’une clé d’auto

Tentant de trouver une réponse rationnelle à la présence de l’être mystérieux sur mon terrain, je réalise que je dors depuis quelques heures sur la clé de la voiture. Ça y est, je sais! Pendant que je dormais, j’ai sans doute appuyé par inadvertance sur le bouton ouvrant le coffre. L’ours se serait ensuite emparé de la glacière.

Mon téléphone est sur le point de mourir. Pareil pour celui de ma sœur. Nous essayons d’appeler à l’accueil du camping. Aucune réponse. Pour une raison qui m’échappe, ma sœur écrit une phrase du genre « Il y a un ours à côté de notre tente, je pense qu’on va mourir » dans notre conversation Messenger familiale.

Je passerai le reste de la nuit la main crispée à tenir une clé de voiture comme arme de contre-attaque.

Une idée me vient à l’esprit : si l’ours s’approche de nous, j’actionnerai l’alarme de la voiture, le fameux bouton rouge. Ceci créera une diversion et l’ours s’enfuira. Je m’abstiens cependant de le faire sans casus belli. Je ne voudrais pas stresser la bête. Je passerai le reste de la nuit la main crispée à tenir une clé de voiture comme arme de contre-attaque.

Publicité

Entre deux recherches Google pour savoir quoi faire, ma sœur commence à swiper sur Bumble question de se changer les idées. Pas stupide, mais il ne lui reste que 10 % de batterie dans son cellulaire et 2 % dans le mien. Au moins, elle a matché avec plusieurs surfeurs.

Là, on a eu l’air stupides…

Selon Google, nous devons parler d’une voix pleine d’assurance, mais pas agressive. Nous suivons cette directive. Faisant rapidement le tour de sujets à aborder, nous finissons par dire : « Blablablabla. » On s’arrête et… mince… la bête est toujours là. On recommence. « Blablablablabla! »

Publicité

Notre famille réveillée par une notification Messenger de nous en panique s’empresse de venir à notre secours. Ils tentent d’appeler le camping, aucune réponse non plus. Ils finissent donc par appeler le 911 pour plus de conseils. Oui. Mes parents ont appelé la police pour leur fille de 30 ans et leur gars de 22 ans qui avaient peur en camping. J’ai eu des jours plus glorieux.

«Il va manger ce qu’il a à manger et partir. Il ne te veut pas de mal.»

Nos parents entrent en contact avec un ranger et nous font parvenir son message. Le verdict du ranger : « L’ours noir, c’est une grosse bête pas vraiment dangereuse qui ne cherche qu’à trouver de la nourriture. Si tu n’as pas de nourriture dans ta tente, tu n’as qu’à parler d’un ton confiant. Il va manger ce qu’il a à manger et partir. Il ne te veut pas de mal. »

Oh! J’ai l’impression d’entendre un humain marcher près de nous, sans doute un campeur allant aux toilettes. C’est ma chance. Je m’époumone d’un anglais cassé : « Hello! Is there someone here? I think there is a bear on my campsite. » (« Allô! Y’a tu quelqu’un? Je pense qu’il y a un ours sur mon terrain. ») Aucune réponse. Le passant nocturne doit probablement se dire : « Stupid quebecers, it’s 4 a.m. Now, go to sleep. » (« Gang de Québécois stupides, y’est 4 h du matin. Allez vous coucher. »)

Publicité

Il est maintenant 4 h 30 du matin, il ne me reste qu’un pour cent dans mon cellulaire. Je tente de rassurer ma famille (qui, soit dit en passant, n’a pas peur pour notre sécurité) et j’envoie un ultime message vocal qui se veut confiant. Je réécouterai ce message vocal postérieurement et j’avoue que j’avais l’air de TOUT sauf crédible. Pour garder un minimum d’honneur, je ne vous le partagerai pas.

Sacrons notre camp

Un peu avant 6 h. Nous n’avons pas dormi depuis trois heures. La nuit laisse tranquillement place à la clarté. Je donne un coup de coude à ma sœur en lui disant un « on décalisse » des plus poétiques. Pourquoi partir maintenant? Je ne veux me faire voir par aucun.e employé.e du camping ou ranger. Je suis, disons, gêné d’avoir crié toute la nuit pour faire fuir un ours inoffensif.

Sur le point de dézipper la tente, je pense à notre glacière qui est sans doute vidée et éparpillée sur le terrain. J’étais si fier de notre épicerie, quel gâchis… J’ouvre la tente, le coffre de la voiture est fermé, le terrain est propre. Coudonc, avons-nous halluciné?

Publicité

Je m’aventure sur les abords du terrain où une glacière inconnue est éventrée. Bon, au moins, mon épicerie est sauvée. Pas grave, plions bagage avant d’être vu par quelqu’un. Je ne mettrai plus jamais les pieds dans ce camping, mais au moins, maintenant, je n’ai plus peur des ours.

Vous connaissez « l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours »? Dans notre histoire, personne n’a vu l’ours… D’ailleurs, était-ce un ours ou un gros raton laveur? Je préfère croire que c’était un ours. Pour mon honneur et celui de ma sœur.